Le soutien de l’UE à l’Ukraine soumis au chantage de Viktor Orban

Ce devait être le sommet du soutien inconditionnel et durable à l’Ukraine. En raison des veto du Hongrois Viktor Orban sur les 50 milliards d’euros promis par l’UE et sur le coup d’envoi des négociations d’adhésion, la réunion pourrait virer au fiasco, offrant au président russe Vladimir Poutine des motifs de se réjouir.

Les Vingt-Sept se retrouvent ce jeudi à Bruxelles pour un Conseil européen à très haut risque, où pas une voix ne doit manquer à l’appel puisque les décisions à prendre sur l’Ukraine requièrent l’unanimité des leaders. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, en a souligné mercredi les très lourds enjeux. «Nous devons donner à l’Ukraine ce dont elle a besoin pour être forte aujourd’hui. Afin qu’elle soit plus forte demain au moment de négocier une paix juste et durable, a-t-elle déclaré. Alors que la guerre se prolonge, nous devons prouver ce que signifie soutenir l’Ukraine “aussi longtemps qu’il le faudra”. L’Ukraine ne se bat pas seulement contre l’envahisseur, mais aussi pour l’Europe. Rejoindre notre famille sera sa victoire ultime.»

Message de fermeté

Viktor Orban exige au contraire une discussion stratégique et un rapport étayé de la Commission afin que chacun puisse prendre la mesure des enjeux que pose à l’UE le pays en guerre. Qu’il s’agisse des conséquences financières redoutables qu’aurait l’entrée de ce pays dans l’UE, et de la poursuite du soutien financier à Kiev alors que la guerre s’éternise et que les Européens pourraient être lâchés par les Américains.

Beaucoup de diplomates reconnaissent, sans trop s’appesantir, que Viktor Orban soulève les bonnes questions, tant vis-à-vis des Vingt-Sept qui n’ont jamais vraiment pris le temps de les poser que vis-à-vis desopinions publiques européennes. Dans un sondage publié cette semaine, Eupinions conclut que 56 % des Européens estiment que l’Ukraine devrait recevoir un soutien financier «pour reconstruire le pays». Mais 59 % des personnes interrogées jugent que la reconstruction du pays sera «un fardeau économique pour l’UE», dont 60 % en France et 70 % en Allemagne. Certains leaders l’ont bien compris et veilleront lors du sommet - où il sera plus largement question de la difficile révision de mi-mandat du budget européen 2021-2027 - à ce que le soutien à l’Ukraine n’obère pas les autres priorités de l’UE. Pour l’Italienne Giorgia Meloni, il n’est pas question de renoncer à l’argent promis pour lutter contre l’immigration illégale. Ses homologues slovènes, autrichiens et slovaques ne veulent pas non plusfaire passer les besoins de l’UE au second plan. Sauf que l’argent est rare, du fait de budgets nationaux très contraints.

Le double signal de l’Union - financier et géopolitique - est pourtant vital pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Les 50 milliards d’euros promis sur quatre ans par l’UE (17 milliards de dons et 33 milliards de prêts) permettront à l’État ukrainien de continuer à fonctionner et au pays de se redresser et de commencer à se reconstruire, tout en donnant à Kiev de la prévisibilité. Selon le FMI, l’Ukraine risque d’être à court de liquidités au premier trimestre. Le bailleur de fonds international a d’ailleurs débloqué en début de semaine une nouvelle tranche de 900 millions de dollars. «L’économie ukrainienne continue de faire preuve d’une résistance remarquable, bien que les perspectives restent soumises à une incertitude exceptionnellement élevée liée à la guerre», pointe le communiqué publié à cette occasion.

Un feu vert des Vingt-Sept sur le coup d’envoi des négociations d’adhésion - même assorti d’une nouvelle confirmation formelle en mars 2024 une fois faites toutes les réformes demandées par Bruxelles - n’est pas moins important. En renforçant les perspectives européennes de l’Ukraine, l’UE adresserait un nouveau message de fermeté à Moscou. Alors que le président Zelensky a vu ces derniers mois des voix discordantes et critiques monter contre lui, obtenir ce sésame le renforcerait. À défaut, ses opposants pourraient faire valoir qu’il est le dirigeant d’un pays lâché - voire trompé - par les Occidentaux.

La pression est d’autant plus forte que l’UE ne parviendra pas à livrer d’ici à mars le million de missiles promis à Kiev et que 20 milliards d’euros de soutien militaire poussés par le haut représentant de l’UE, Josep Borrell, sont déjà balayés. Surtout, l’enveloppe de 61 milliards de dollars proposée par la Maison-Blanche est toujours bloquée au Congrès, en dépit du déplacement du président ukrainien à Washington en début de semaine.

«Mission suicide»

«Cela n’a jamais été pire», s’inquiète un diplomate d’un pays du Nord de l’Union. «Nous trouverons des solutions et cela finira par se faire», tempère un autre. Les alternatives existent, notamment celle qui consisterait à bâtir un accord à vingt-six États membres sur le soutien financier à l’Ukraine, isolant de fait laHongrie. À l’inverse, il n’y a pas d’autre parade que l’unanimité sur le coup d’envoi des discussions d’adhésion. Et si Viktor Orban maintient son veto, les perspectiveseuropéennes attendues par la Moldavie, la Géorgie et la Bosnie-Herzégovine seront, probablement, balayées.

Le premier ministre hongrois, proche de Poutine, multiplie les outrances depuis des mois,accusant notamment Bruxelles de se comporter comme le faisait l’Union soviétique. Sur le soutien à l’Ukraine, ilad’abord laissé planer le doute sur ces intentions, plaidant en novembre pour un «réajustement» du soutien. La semaine dernière, dans une lettre adressée au président du Conseil européen, Charles Michel, il agitait la menace d’un veto. «Je vous exhorte respectueusement à ne pas inviter le Conseil européen à prendre une décision sur ces questions en décembre, car l’absence évidente de consensus conduirait à l’échec», mettait-il en garde.

Ni l’annonce de la Commission de lâcher 10 milliards des 30 milliards de fonds européens retenus par Bruxelles pour inciter l’illibéral gouvernement hongrois à remettre le pays au niveau des standards européens, ni la pression politique exercée sur l’homme fort de Budapest ne l’ont fait bouger. Le déplacement du président du Conseil européen à Budapest - qualifié de «mission suicide» par un diplomate européen - n’a rien donné. Tout comme le dîner auquel Orban a été convié la semaine dernière à l’Élysée. Parmi d’autres leaders européens, l’Espagnol Pedro Sanchez - son pays exerce actuellement la présidence tournante de l’UE - et l’Estonienne Kaja Kallas ont aussi fait chou blanc. À la veille du sommet,Paris et Berlin faisait monter la pression. «Je plaiderai en faveur d’un soutien financier durable et fiable à l’Ukraine dans les années à venir», a déclaré le chancelier Olaf Scholz, tandis qu’Emmanuel Macron appelait l’UE à être «au rendez-vous du soutien et durable à l’Ukraine». «Il n’y a guère que Donald Trump qui pourrait le faire changer d’avis», ironise Fabrice Pothier, directeur général de Rasmussen Global, une société qui conseille Kiev, en référence à l’entente entre le premier ministre hongrois et l’ancien président des États-Unis.

En réalité, les capitales européennes sont perplexes. Orban n’est, certes, pas un leader facile à manier. Mais il a toujours fini par lâcher, une fois arrachés à l’UE plus d’argent ou d’avantages. Pas cette fois-ci. Même si le porte-parole de l’homme fort de Budapest a brouillé les cartes mardi soir en indiquant que la Hongrie pourrait accepter de lever son veto sur les 50 milliards d’euros à l’Ukraine si son pays obtenait le déblocage de la totalité des 30 milliards retenus par Bruxelles - il sait que c’est impossible à ce stade. L’opposition d’Orban va bien au-delà de ces questions d’argent. À moins de six mois des élections européennes, alors que les mouvements d’extrême droite montent en Europe, l’intéressé semble considérer qu’un vent nouveau souffle. «Mon projet, expliquait-il mercredi, n’est pas de quitter l’UE, mais de reprendre Bruxelles. Mon idée n’est donc pas que la Hongrie reste à l’écart, à l’écart du cercle extérieur, mais qu’elle aille vers l’intérieur.»