Notre critique du Clan des bêtes : la violence des hommes

Si William Shakespeare écrivait et mettait en scène de nos jours Roméo et Juliette ou Hamlet, nul doute qu’on lirait dans le dossier de presse que ses pièces traitent de la masculinité toxique et du patriarcat. Le Clan des bêtes n’échappe pas à cette phraséologie paresseuse et passe-partout qui enfile les perles, réduit un film à un sujet, transforme une histoire en message.

Le premier long-métrage de Christopher Andrews, en compétition à Reims Polar, est pourtant du genre taiseux. À la différence des bergers québécois (voir Bergers, de Sophie Deraspe, et son héros publicitaire en quête de sens en Provence), les bergers irlandais ne s’épanchent guère. Michael (Christopher Abbott, vu récemment en loup-garou dans Wolf Man ) encore moins qu’un autre. Seul avec ses moutons, sous l’œil suspicieux d’un père impotent, belliqueux et irascible, il est en conflit avec Gary, le propriétaire de la ferme voisine, et accessoirement le mari brutal de Caroline, femme que Michael a aimée jadis. Quand deux béliers disparaissent de son troupeau, les ennuis ne font que commencer.

Deux hommes écrasés par la colère des pères

À mi-chemin, alors que le sang a déjà coulé, Christopher Andrews reprend le récit depuis le début. La même histoire est racontée du point de vue de Jack, le fils de Gary, interprété par Barry Keoghan, acteur irlandais définitivement spécial dans sa façon de mêler candeur et inquiétante étrangeté (Mise à mort du cerf sacré, Les Banshees d’Inisherin, Bird). Gary n’en sort pas grandi. Encore que, au détour d’un dialogue avec son fils, son envie d’ailleurs, très loin de cette terre vallonnée et maudite, le rende presque touchant. S’il pouvait, il choisirait la Hollande, plat pays sans tragédie à en croire un reportage qu’il a vu à la télévision.

Depuis Rashômon (1950), d’Akira Kurosawa, la multiplication des points de vue a été maintes fois utilisée au cinéma. Si le procédé n’est pas d’une originalité folle, ni toujours très justifié, il n’est pas ici gratuit. Le changement de perspective est moins une façon de rappeler qu’il n’y a pas une seule et unique vérité qu’une manière de montrer que la transmission de la violence n’épargne aucune famille. C’est le sens du titre, Le Clan des bêtes. Michael et Jack appartiennent au même clan, victimes du même atavisme. Christopher Andrews filme une lutte quasi fratricide entre deux hommes écrasés par la colère des pères. Il le fait avec une certaine sauvagerie, sur un territoire bien plus hostile que les paysages des publicités pour whisky, avec coucher de soleil et chien fidèle.

Une sauvagerie qui ne va pas sans une certaine complaisance. Le recours à la décapitation, mise à mort pourtant plus répandue chez les terroristes islamistes que chez les bergers irlandais, laisse sceptique. Ce final, pour excessif qu’il soit, a au moins le mérite d’envoyer paître toute forme de résilience, lieu commun aussi répandu de nos jours que la masculinité toxique.