«Mouvement du 10 septembre et passation de pouvoir : une rue en ébullition d’un côté, un calme apparent de l’autre»

Rédacteur en chef de la Revue Politique et parlementaire et professeur associé à l’université Paris-Sorbonne, Arnaud Benedetti est le fondateur du comité de soutien à Boualem Sansal.


Il existe des télescopages qui paraissent offrir une lecture immédiate des événements. C’est bien l’impression d’une atmosphère de crise qui s’installe entre la passation de pouvoir à Matignon, après la chute de François Bayrou et les échauffourées perlées dans la rue du mouvement « Bloquons tout ». Cette collision ramasse l’esprit du moment : le hiatus démocratique qui vient de loin, dont le résultat des législatives de 2024 est l’une des conséquences, constitue une ressource pour les professionnels de l’agit-prop qui y voient là une opportunité pour pousser leur agenda. Toute colère est multiforme, et ses débouchés, divers et contradictoires. À vrai dire nul ne peut dire quelle en sera l’issue.

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Le calme apparent d’un côté entre un ancien et un nouveau premier ministre sur le perron de Matignon, le bruit et l’ébullition d’une rue sporadiquement éruptive de l’autre : le contraste pour être saisissant a aussi quelque chose de trompeur. Ceux qui assuraient la continuité de l’État comme ceux qui la contestaient sont les uns et les autres d’abord en situation d’échec, ce qui ne les empêche pas tout en se combattant de trouver dans leur opposition respective des moyens pour se relégitimer. Gouvernement impossible contre Révolution impossible, tel pourrait être le résumé de cet étrange face-à-face du 10 septembre entre ce qui reste du macronisme en fin de quinquennat et ce qui, dans le prurit des radicalités gauchistes, tente de toucher les dividendes d’une défiance désormais très largement majoritaire à l’encontre de l’exécutif.

C’est surtout cette vérité « hors champ » qui se dégage d’abord des images opposées d’un pouvoir en passation et d’une comédie « révolutionnaire »

Arnaud Benedetti

Les petits-bourgeois du gauchisme entreprennent de « hacker » le mécontentement, le sentiment de dépossession citoyen aussi, quand les détenteurs cornérisés d’un pouvoir fragilisé et instable escomptent sur le besoin d’ordre et d’autorité pour retrouver un semblant d’oxygène. Le spectacle de cette journée de blocage autoproclamé mais sans réelle prise sur le quotidien est d’abord celui du Janus de « l’arc républicain » des législatives de juillet 2024.

Deux minorités, alliées de circonstance en leur temps dans un entre-deux tours dont on n’a pas fini de subir les répliques telluriquement destructrices, se retrouvent in fine confrontées aux conséquences d’une alliance aussi explosive et impromptue que contre-nature. Ce sont les associés inconciliables qui sont désormais contraints inévitablement de s’affronter dans le piège de leur propre sauve-qui-peut de juillet 2024 ! C’est surtout cette vérité « hors champ » qui se dégage d’abord des images opposées d’un pouvoir en passation et d’une comédie « révolutionnaire » mélangeant apprentis « insurgés », radicalisés des milles et une nuance du gauchisme, et un zest de lumpenprolétariat...

En creux, la dramaturgie rappelle que si la société n’aura pas été bloquée dans son fonctionnement, nonobstant des ersatz de mobilisation, la démocratie n’en finit pas de l’être par un usage inapproprié des institutions et ces mêmes institutions avec.

Le nouveau premier ministre entre à Matignon sans page blanche et vraisemblablement sans état de grâce, tant il lui faut assumer un bilan dégradé dont celui qui l’aura nommé est le premier des comptables. Les agitateurs du 10 septembre jouent évidemment et non sans cynisme sur ce constat partagé par de très larges segments de l’opinion qui en appellent, par ailleurs et sondages à l’appui, au retour aux urnes.

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De part et d’autre la démocratie est otage : d’un pouvoir sans majorité, de minorités activistes qui miment le peuple sans le peuple contre ce pouvoir sans majorité. Cette béance-là suscite un immense sentiment de flottement : tout avance en faiblesse, en hésitation, en lignes brisées, tout autant l’exécutif sans assise solide que les ultras de gauche sans appui populaire. Au brouillon du pouvoir répond le brouillon d’une mobilisation réduite principalement aux acquêts de quelques groupuscules d’extrême-gauche. La crise démocratique peut hélas continuer, loin des théâtralités politiques auxquelles les Français dans leur large majorité se sentent étrangers…