INTERVIEW. Marine Le Pen : "Que François Bayrou arrête de demander des efforts aux Français, qu'il commence par en faire lui"

Nouvelle-Calédonie, gouvernement Bayrou, ZFE, justice et présidentielle 2027... Marine Le Pen, en déplacement en Nouvelle-Calédonie, a donné un entretien à franceinfo durant lequel la cheffe des députés RN a balayé de nombreux sujets politiques. Elle revient également sur sa petite phrase prononcée à notre micro à propos de Jordan Bardella. Entretien.

franceinfo : Marine Le Pen, vous êtes à mi-parcours de votre visite en Nouvelle-Calédonie. Vous avez déjà rencontré beaucoup d'acteurs politiques, y compris les indépendantistes dont vous n'êtes pourtant historiquement pas proches. Que vous voulez-vous montrez ? Est-ce un message adressé au gouvernement ?

Marine Le Pen : Non, je ne suis pas dans une compétition de ce type. Je veux montrer qu'en réalité, mettre la réforme institutionnelle comme seul et unique sujet de discussion, c'est évidemment repositionner les gens les uns face aux autres, les uns contre les autres. Je pense que la situation économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie nécessite qu'on ait une réflexion urgente sur la reconstruction, sur le développement économique, sur quelles grandes filières, quels grands projets, quelles grandes infrastructures pour l'archipel.

"À partir du moment où on aura réfléchi à cela, alors, il faut expliquer aux indépendantistes que, pour obtenir les financements, pour obtenir des investissements, il faut envisager un nouveau référendum d'ici 40 ans."

Marine Le Pen

à franceinfo

Certains vous répondent que c'est "renvoyer aux calendes grecques"...

Non ! Car pour ces investissements avec des infrastructures lourdes, comme, par exemple, des centrales nucléaires modulaires pour pouvoir obtenir une électricité à bas coût pour les trois usines qui sont aujourd'hui dans des lourdes difficultés à cause du prix de l'électricité, il faut quand même les prévoir sur un certain temps. Il faut pouvoir faire revenir les investisseurs, pour faire investir les privés. Il ne faut pas que les types se disent qu'ils investissent dans une énorme usine avec la crainte de la voir partir en fumée au bout de quelques mois. Ce n'est pas possible. La Nouvelle-Calédonie a besoin de stabilisation, mais aussi d'économie, parce que, derrière, il y a aussi le social. Or, les accords de Nouméa, qui devaient en fait rééquilibrer la province nord et la province sud, ont effectué un rééquilibrage social, mais pas un rééquilibrage économique. Et du coup, ça ne marche pas.

Vous demandez Marine Le Pen à Emmanuel Macron de participer aux consultations qu'il va organiser le mois prochain à Paris. Vous dénoncez pourtant les mauvaises méthodes du gouvernement sur la Nouvelle-Calédonie. Pourquoi vouloir participer?  

Je dis encore une fois que la mauvaise méthode que je reproche au gouvernement, c'est précisément de se focaliser exclusivement sur la réforme institutionnelle. Regardez la classe politique calédonienne. Je n'ai entendu aucun projet structurant pour la Nouvelle-Calédonie pour l'avenir. Il y a quand même des habitants qui attendent demain d'en savoir plus sur l'emploi, sur le pouvoir d'achat, sur des décisions pour eux, pour leurs enfants... Ils n'obtiennent aucune réponse. Il y a un face-à-face entre les loyalistes et les indépendantistes, qui ont d'ailleurs tendance à se radicaliser les uns les autres. Et le gouvernement valide cela. C'est une mauvaise méthode. Je pense que ce n'est pas comme ça qu'il faut faire. Il faut partir encore une fois du travail en commun sur l'économie pour réussir potentiellement à rapprocher les positions sur la réforme institutionnelle. Ou en tout cas sur le chemin de la réforme...

Vous pensez qu'Emmanuel Macron vous invitera sans inviter les autres forces politiques ?

S'il veut inviter les autres forces politiques, il peut le faire. Moi, je demande à être présente parce que je fais 40 % au second tour de l'élection présidentielle en Nouvelle-Calédonie et que je m'y intéresse depuis de nombreuses années. J'ai beaucoup travaillé sur ce sujet. Je suis à la tête du premier groupe à l'Assemblée nationale. C'est dommage d'écarter, puisque le débat un jour aura lieu à l'Assemblée, puisque le débat aura lieu un jour au Congrès, la première force politique de l'Assemblée nationale de ce type de discussion. Et puis, peut-être ai-je des choses, à apporter. J'ai été reçue par l'ensemble des acteurs, et de manière extrêmement courtoise. Et je crois, pour un certain nombre d'entre eux intéressés. 

Marine Le Pen au micro de franceinfo, le 29 mai 2025, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Marine Le Pen au micro de franceinfo, le 29 mai 2025, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Vous disiez ce matin à notre micro de pas être "sûre que Jordan Bardella connaisse très bien les problématiques de la Nouvelle-Calédonie". C'est votre remplaçant pourtant...

D'accord, mais, en l'occurrence, nous avons travaillé sur des dossiers différents. Moi, je connais très bien la Nouvelle-Calédonie. Mais Jordan Bardella est tellement performant que si vous lui demandez s'il connaît la Nouvelle-Calédonie, deux jours après, il va maîtrisez l'ensemble des sujets qui sont importants...

Ce n'est pas forcément très rassurant pour les électeurs RN...

Vous essayez toujours de tirer des éléments négatifs. Maintenant, partout où je vais, il faut qu'on soit main dans la main avec Jordan Bardella. Vous ne trouvez pas ça ridicule ? Vous ne croyez pas qu'on a assez de travail à faire ? Il va aller à l'étranger, je ne vais pas venir avec lui. On se partage le travail. Je connais très bien ce dossier de la Nouvelle-Calédonie, je l'ai beaucoup travaillé...

"Ce n'est pas honteux de dire que je connais mieux le dossier que Jordan Bardella parce que ça fait très longtemps que j'y viens. Donc voilà, on se partage le travail en toute sérénité et en toute tranquillité, en toute confiance."

Marine Le Pen

à franceinfo

Imaginons : vous arrivez à l'Elysée demain. Comment résolvez-vous la crise calédonienne d'un point de vue institutionnel ?

Je démarre avec les propositions de développement économique.

Est-ce que la Nouvelle-Calédonie pourrait être un objet de censure au Parlement, si jamais le gouvernement n'écoutait pas vos considérations ?

Non, mais il faut arrêter, à chaque fois qu'on a un désaccord avec le gouvernement, de nous poser la question de savoir si on va censurer ou ne pas censurer. Ça devient ridicule. La censure n'est pas un but en soi. Moi je ne suis là pour me faire plaisir à censurer un gouvernement. On l'a fait parce que quand Michel Barnier proposait 20 milliards d'impôts supplémentaires, on a dit : ce n'est pas possible, il va tuer les entreprises qui sont déjà dans des difficultés et il va alourdir la charge sur les Français qui n'en peuvent plus. Si François Bayrou fait la même chose au prochain budget, les mêmes causes entraîneront les mêmes effets, qu'il en soit absolument assuré.

Le message, c'est : revoyons-nous à l'automne ?

C'est : attention, ce que nous avons dit à Michel Barnier, nous l'avons dit à François Bayrou. Et nous le redirons à M. Bayrou. Qu'il arrête de demander des efforts aux Français, qu'il commence par en faire lui. Sur le train de vie de l'Etat, sur les agences qui coûtent une fortune et qui n'apportent pas objectivement toutes un bénéfice majeur aux Français. Qu'il commence par mettre en œuvre la réduction des investissements financiers que nécessite la politique parfaitement dérégulée d'immigration. Qu'il commence par ça. C'est toujours la même chose. C'est tellement facile de demander des efforts aux Français ! Sauf que les Français ne peuvent plus en donner, des efforts. C'est impossible, ils sont à l'os.

Parlons des zones à faibles émissions (ZFE) : les députés ont voté leur suppression, mercredi soir à l'Assemblée. Vous n'y étiez pas, puisque vous êtes à Nouméa en ce moment. Vous parlez d'une "victoire"... Une victoire sur l'écologie ?

Non, d'une victoire sur l'écologie punitive. Mais surtout d'une victoire pour les Français et notamment pour les plus modestes, ceux qui n'avaient pas les moyens d'acheter une voiture électrique et qui ont une voiture qui parfois a huit ans, neuf ans, dix ans, mais qu'ils entendent conserver jusqu'à ce que celle-ci ne roule plus. Quand on est dans des situations économiques tellement difficiles, on ne met pas en place un apartheid social, c'est-à-dire une différence entre ceux qui peuvent se payer la voiture électrique et ceux qui ne peuvent pas se payer la voiture électrique.  La liberté de circulation dans l'ensemble du territoire français est un droit. C'est un droit que nous défendrons. Et je n'entends pas défendre des politiques qui mettent en place le droit pour ceux qui ont les moyens de se déplacer ou de venir dans les centres-villes et l'interdiction pour ceux qui n'ont pas les moyens de le faire. Je considère que c'est profondément une honte.

"Évidemment, nous avons combattu pour que ces ZFE soient supprimées. Elles sont supprimées, je m'en réjouis."

Marine Le Pen

à franceinfo

Si je vous pose la question, c'est qu'on ne vous entend plus jamais parler d'écologie...

Vous avez totalement tort. Quand nous défendons l'idée que nous devons produire sur place, faire de la relocalisation d'activités, nous luttons pour l'environnement. 50 % des émissions de CO2 sont le fait des importations, donc le fait de baisser les importations en produisant sur notre territoire est un moyen précisément de défendre l'écologie. Mais l'écologie punitive, c'est non. C'était non hier, c'est non aujourd'hui, ce sera non demain. Et on voit d'ailleurs qu'elle recule parce que les Français se rendent bien compte que les mesures qui leur sont demandées sont profondément injustes et, en plus, accessoirement, inutiles, et que ceux qui les portent sont en totale contradiction avec eux-mêmes. Si les écologistes étaient cohérents, ils lutteraient pour la relocalisation de l'activité en France et ils défendraient le nucléaire, parce que c'est l'énergie la plus propre. Est-ce qu'ils le font ? Réponse : non. Bon, et bien voilà.

Un mot du procès en appel qui vous attend l'année prochaine dans l'affaire des assistants d'eurodéputés du FN pour lequel vous avez été condamné à une peine d'inéligibilité. Est-ce que oui ou non vous allez changer votre ligne de défense dans ce deuxième procès ?

Et pourquoi je changerais ma ligne de défense ?

Parce que vous avez été condamnée.

Ah bon ? C'est comme ça que ça fonctionne ? Il faut s'adapter à qui, à quoi ? Vous la connaissez, ma ligne de défense ? Ma ligne de défense, ça a été de dire que nous n'avons rien à nous reprocher pour une raison simple, c'est que vous jugez aujourd'hui des faits qui ont eu lieu il y a vingt ans. Il y a vingt ans, les réglementations qui étaient en application n'étaient pas les mêmes que celles d'aujourd'hui. Et que faire de la politique avec son assistant parlementaire, c'est précisément le rôle d'un député d'opposition quand il est dans sa circonscription nationale. Je n'ai pas été entendue dans les arguments que j'ai développés auprès du tribunal, qu'il n'ait pas souhaité m'entendre - je crois comprendre pourquoi, en lisant le jugement, il y a quand même un sacré parti pris de la part du tribunal. Je n'ai pas été entendue, je vais retenter d'être entendue lors de l'audience de Cour d'appel.

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