Les faits remontaient au 10 septembre 2021. Amélie - prénom que lui avait donné Mediapart pour préserver son anonymat -, disait avoir subi une agression sexuelle sur le tournage du film Les Volets verts, de Jean Becker, à Paris. La décoratrice de 53 ans avait témoigné de gestes déplacés, de blagues graveleuses, avant d’être «attrapée brutalement», comme le relatait le site d’investigation Mediapart, le 25 février dernier. L’acteur de 75 ans lui avait, disait-elle encore, «pétri la taille, le ventre, en remontant jusqu'à ses seins» avant d’être arrêté par l’un de ses gardes du corps. Son témoignage s’ajoutait à celui de Sarah, 33 ans, troisième assistante réalisatrice sur ce même tournage, accusant Gérard Depardieu de lui avoir touché «la poitrine et les fesses» par deux fois.
Ce mardi 13 mai, après deux mois de procès, Gérard Depardieu vient d’être condamné à 18 mois de prison avec sursis pour agression sexuelle par le tribunal judiciaire de Paris. Si son avocat, Me Jérémie Assous, a annoncé qu’il ferait appel de la condamnation, les victimes et d’autres présumées crient leur joie.
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La plainte de Charlotte Arnould
Car avant le tournage des Volets Verts, Gérard Depardieu a été accusé par d’autres femmes. La première accusation date de fin août 2018, lorsqu’une jeune actrice du nom de Charlotte Arnould, 24 ans, se rend au commissariat de police pour porter plainte contre le géant du cinéma français. L’acteur a 70 ans à l’époque. La jeune femme affirme avoir été violée deux fois, le 7 puis le 13 août, dans l’hôtel particulier du comédien. Après sa première plainte classée sans suite, elle réitère ses propos en 2020 entraînant cette fois l’ouverture d’une mise en examen pour «viols» et «agressions sexuelles». Un an plus tard, le parquet de Paris annonce que «la chambre de l'instruction considère qu'il existe, à ce stade, des indices graves ou concordants qui justifient que Gérard Depardieu demeure mis en examen.» Une première victoire pour Charlotte Arnould qui déclare «vivre un enfer» depuis plusieurs années, auprès des médias.
Et puis plus rien, jusqu’à la première enquête de Mediapart en avril 2023, qui mène à une véritable déflagration. Ici, il n’est pas encore question de plaintes, mais bien de dresser le climat hostile qui règne pour les femmes gravitant autour de lui. Au total, 13 témoignages viennent appuyer les accusations de Charlotte Arnould, désormais entourée et soutenue - par l’actrice Anouk Grinberg, notamment. Le site d’investigation ajoute que le récit de l’une d’entre elles, une actrice étrangère, a été ajouté au dossier. Cette dernière dénonce des faits d’agressions sexuelles remontant à 2014, lors du tournage de Big House à New York. Quelques jours après la publication de l’article à charge, le parquet de Paris déclare auprès de Libération : «Cela ne veut pas dire que tous (ces témoignages, NDLR) auront une issue judiciaire, mais nous en aurons tenu compte. Toutes les personnes qui ont souhaité être entendues ont eu l'occasion de l'être».
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Celle d’Hélène Darras
Parmi ces personnes se trouve la comédienne Hélène Darras. Dans les colonnes de Mediapart, elle déclare avoir été agressée sexuellement par Gérard Depardieu sur le tournage du film Disco, en 2007. L’actrice, qui a décroché un petit rôle, doit donner lui donner la réplique ainsi qu’à Franck Dubosc. Mais hors champ, l'acteur des Valseuses la choque. «Il me regarde comme si j'étais un morceau de viande. Moi, j'ai une robe ultramoulante, il me rapproche de lui par la taille, ensuite, il passe sa main sur mes hanches, sur mes fesses…», déclare-t-elle. Après avoir livré pour la première fois son histoire, elle décide de porter l’affaire en justice cinq mois plus tard, en septembre 2023, constituant ainsi la seconde plainte contre le comédien. Si les faits sont prescrits, elle dira «s’en foutre» et justifier ce geste pour prendre en crédibilité.
Deux mois plus tôt, en juillet 2023, une autre accusatrice avait livré son témoignage sur France Inter, sans aller devant la justice. Assistante sur le plateau d’un téléfilm en 2015, elle s’était souvenue des remarques lourdes et vulgaires sur son physique ainsi que des propositions à caractère sexuel provenant de Depardieu. Un jour, contrainte de rester dans sa chambre, elle avait comme été «prise en otage», ce dernier «baissant devant elle son pantalon» pour lui «montrer son sexe». Et une autre technicienne de raconter quant à elle, comme le rapporte Libération : «J'ai tourné le dos à Gérard Depardieu pour dire à l'assistante mise en scène que j'étais prête. J'ai senti sa grande main, sa grosse main dans mon entrejambe, me choper l'entrejambe avec volonté, en laissant échapper un gros rire graveleux. J'étais liquéfiée, pétrifiée. C'est ce moment-là qu'il avait choisi pour m'humilier».
Le suicide d'Emmanuelle Debever
Et puis, arrive le 6 décembre 2023, jour tragique où l’actrice Emmanuelle Debever se jette dans la Seine. Elle est la première à avoir accusé publiquement Gérard Depardieu, et son suicide frappe le monde du cinéma. On se souvient alors de son message, posté sur Facebook en 2019 à travers lequel elle répugnait le comportement du comédien quelques mois avant la sortie du film Danton, en 1982. «Le monstre sacré s'était permis bien des choses durant ce tournage... Profitant de l'intimité à l'intérieur d'un carrosse. Glissant sa grosse patte sous mes jupons pour soi-disant mieux me sentir. Moi, ne me laissant pas faire», lisait-on dans la missive. À sa mort, l’une des figurantes se souviendra, toujours auprès de Libération : «Sur ce film, il fallait beaucoup poireauter. Gérard Depardieu, il patientait au bistrot et il arrivait toujours bien rougeaud sur le plateau. (...) Je l'ai vu faire. Il a passé sa main sous ses jupons, il a essayé de remonter le long de la cuisse. Elle a retiré sa main, il l'a remise, elle l'a retirée à nouveau, il l'a remise. Toujours en ricanant. Elle était si jeune, si gênée. Elle ne disait rien, elle avait l'air si timide. Cette scène m'a tellement choquée que je ne l'ai jamais oubliée.» Après le décès d’Emmanuelle Debever, à 60 ans, une enquête est ouverte par le parquet de Paris pour «rechercher les circonstances ayant pu conduire à ce décès». Selon l'AFP, plusieurs internautes assurent en effet qu'une plainte avait été déposée par l'actrice en 2019, avant d'être classée sans suite.
Ruth Baza, l’écrivaine espagnole
Quelques jours plus tard, le 21 décembre 2023, une femme pousse à son tour les portes d’un commissariat. Il s’agit cette fois d’une Espagnole, la journaliste et écrivaine Ruth Baza. Celle-ci assure avoir été violée en octobre 1995 à Paris, alors qu’elle interviewait l’acteur pour la revue spécialisée Cinemanía. À cette époque, elle a 23 ans, lui 46. «En arrivant, il a tout jeté sur un fauteuil, la revue que je lui avais donnée et j'ai failli recevoir son casque de moto sur moi. Il était très violent et très agressif», explique-t-elle dans la foulée au micro de RTL. «Il me méprisait, je me sentais humiliée et j'ai éclaté en sanglots, continue-t-elle avant de jurer avoir été attrapée puis violée : «Je ne peux pas bouger, je ne peux pas m'échapper, je ne peux pas parler. Je me retrouve bloquée face à une situation que je ne comprends pas». Fin décembre, c’est Sophie Marceau qui vient encore ajouter une pierre au triste édifice. Dans Paris Match, l’actrice phare du cinéma français raconte : «J'ai dit publiquement à l'époque que je ne supportais pas son attitude, grossière et très déplacée. Beaucoup de gens se sont retournés contre moi en me faisant passer pour la petite peste». La comédienne avait joué avec lui dans le film Police, en 1985.
Enfin, le 9 janvier 2024, une assistante de 24 ans dépose une cinquième plainte pour «agression sexuelle sur une personne vulnérable par personne abusant de l'autorité de sa fonction». L'agression se serait produite en mars 2014 alors qu’elle travaillait avec le comédien sur le film Le Magicien et les Siamois, de Jean-Pierre Mocky. Après être allée une première fois dans son hôtel particulier du 6e arrondissement de Paris, celle qui se fait appeler Pauline dit avoir d’abord été «snobée», alors qu’elle était accompagnée de plusieurs collègues. «Il m'a grogné à l'oreille en se collant à moi. Au bout d'un moment, il m'a tourné le dos et dit qu'il n'avait pas le temps et qu'il fallait que je revienne dans la semaine.» Chose faite. Quelques jours plus tard, la jeune femme se rend de nouveau dans la demeure, seule. Alors qu’il est entouré de trois personnes, Depardieu lui intime de monter à l’étage, pour plus de tranquillité. Là, elle affirme avoir été poussée dans un placard, ce dernier lui «prenant les fesses en criant : “Hurle! Hurle ! Ça va les faire jouir en bas.”» Une enquête préliminaire a été ouverte à Paris le 16 février, rappelle BFM TV .
Si tous ces faits n’ont pas été jugés ce mardi, ils permettent néanmoins d’apporter un éclairage sur les agissements de Gérard Depardieu et de mieux contextualiser les plaintes des deux dernières femmes. «Il y a très certainement d'autres victimes. À ce stade, autour de 20 à 25 femmes ont dénoncé des faits qui vont de l'outrage aux violences sexistes en passant par du harcèlement ou des agressions sexuelles. Il est temps qu'il soit jugé», avait déclaré auprès de l’AFP l’avocate Me Carine Durrieu-Diebolt en février dernier.