Connaissez-vous Raphael, l’inépuisable Alain Barrière espagnol ?

Il y a si longtemps qu’il trône dans le paysage. Comme l’Alcazar de Séville ou le Palais royal de Madrid, Raphael fait figure de monument en Espagne, où il a exploré en soixante ans de carrière et 80 disques toute la gamme des sentiments amoureux. Cette vedette s’apparente à Alain Barrière par le lyrisme gentillet et Aznavour par la puissance vocale. Mais s’il fallait ne lui accoler qu’un seul nom, il s’agirait de celui de Julio Iglesias. Son compatriote, le plus célèbre crooner latino, dont il fut le seul rival.

Depuis la sortie de Mi gran noche, en 1967, Raphael n’a jamais déserté les salles de concert. « Je pourrai chanter une douce chanson / Au clair de lune / Et caresser et embrasser mon amour », fredonne-t-il dans cette rengaine composée par Salvatore Adamo. Les compteurs, sur YouTube, affichent cent millions d’écoutes. En 2022, elle accompagnait les footballeurs espagnols lors de la Coupe du monde. Veste pailletée, visage rafraîchi par la médecine, l’octogénaire la chante toujours sur scène. « Je devrais rester à la maison à regarder la télé ? », s’amusait-il dans la presse espagnole. Avant d’ajouter avec malice : « J’ai toujours été jeune ». 

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Duo avec Aznavour

Il l’a plus précisément été dans les années 1960, lorsque sa gestuelle théâtrale et sa voix souple – cet ancien choriste écoutait à la fois Carlos Gardel et Elvis Presley - conquéraient Madrid. Il participe au concours de l’Eurovision, en 1966 et 1967. S’il ne gagne pas, il s’impose comme l’un des phénomènes de la chanson. Les portes de la télévision et du cinéma s’ouvrent pour lui. Celles des théâtres étrangers, aussi. On l’entend à New York ou à Paris, à l’Olympia.

Raphael admire Édith Piaf, qui disparaîtra avant qu’ils ne se produisent en duo. Il a pu se consoler au côté de Charles Aznavour, avec qui il a chanté La Bohème. Avant d’enregistrer des années plus tard, en 2024, un album de reprises de tubes français.

Depuis six décennies, cet Espagnol parle d’amour. C’est d’ailleurs le titre de l’une de ses chansons : Hablemos del amor. Sa discographie fleur bleue compte aussi Yo soy aquel, Qué sabe nadie ou, une reprise enregistrée en 1980, Como yo te amo. Le refrain donne envie de formuler une demande en mariage sur la terrasse d’un château andalou.

« Dieu du maniérisme »

Pour le quotidien El País, cet artiste qui s’est aussi aventuré sur le terrain de la pop ou la musique folklorique est le « Dieu païen du maniérisme ». Rien de moins. Depuis dix ans, sa ville natale, Linares, abrite son autel, un musée où les disques d’or succèdent aux affiches de concerts. Pour retracer sa trajectoire, de l’Andalousie pauvre de l’après-guerre à ses soucis de santé, qui ont inquiété la presse people dans les années 2000, Netflix prépare de son côté une série. En parallèle d’un projet sur Julio Iglesias, qui le devancera toujours...

Les deux chanteurs, qui affirment entretenir des relations cordiales, offrent des versions différentes d’un même lyrisme, réjouissant à force d’être excessif. Le journaliste et écrivain Francisco Umbral, une figure des lettres madrilène disparue en 2007, voyait en Raphael « l’expression vivante de notre kitsch, une manifestation du baroque sentimental espagnol. » En un mot, le Velasquez de l’amourette.