Le silence coupable du président Macron sur l’accord UE-Mercosur

Gérard Le Puill

Alors que l’hostilité à cet accord que la présidente de la Commission européenne est allée signer, toutes affaires cessantes le 6 décembre est vive chez les syndicats d’agriculteurs en France, le président Macron garde le silence sur le sujet. Faut-il en conclure qu’il a donné l’accord de la France à Ursula Von der Leyen avant son départ pour Montevideo ?

Hier, les chaînes de la télévision ont diffusé des images de manifestations paysannes dans plusieurs départements français. Mais, six jours après la signature de l’accord de libre-échange entre la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen et les dirigeants des pays du Mercosur, le président Macron n’avait toujours pas émis le moindre avis sur cette décision particulièrement dangereuse pour la souveraineté alimentaire de la France et pour le revenu de ses paysans. Il y a pourtant de nombreuses réactions hostiles à cette décision dans les filières agricoles de notre pays. Une déclaration publiée dès le 6 décembre par la Confédération générale des betteraviers (CGB) français indiquait en titre que « les États Membres de l’Union européenne et les députés européens doivent désavouer la présidente de la Commission européenne! ».

Le texte de cette déclaration livrait les informations suivantes : « En ce qui concerne la filière sucre, cet accord donne au Mercosur des facilités d’exportation pour 190.000 tonnes de sucre, soit la production d’une usine Française; 8,2 millions d’hectolitres d’éthanol, soit l’équivalent de toute la production française d’alcool et d’éthanol de betterave en France . Ces deux concessions représentent au moins 50.000 hectares de betterave. Elles vont tirer vers le bas les prix européens du sucre et de l’éthanol. Aucune mesure miroir ne figure dans cet accord : les produits importés seront issus de cultures produites avec des produits phytosanitaires interdits dans l’UE (au moins 40, substances actives interdites dans l’UE sont autorisées au Brésil ) et n’auront aucune traçabilité alors que la canne à sucre transgénique est cultivée au Brésil. Par ailleurs, cet accord n’est d’aucune façon un cadeau fait aux agriculteurs brésiliens, mais plutôt à des grands groupes industriels : ce sont eux qui cultivent, en direct, les deux tiers de la canne a sucre ».


Une incitation à la déforestation en Amazonie


Ajoutons que ces mêmes groupes versent parfois des primes à des ouvriers sous-rémunérés pour provoquer des incendies volontaires dans la forêt amazonienne, afin de défricher de nouvelles terres pour accroître les cultures d’exportation. Il faut avoir tout cela en tête au moment de lire la réaction de Jean-Philippe Garnot, secrétaire général de la CGB rédigée en ces termes : « À l’heure où la campagne grogne, pas seulement en France, mais partout dans l’Union européenne, à quoi joue donc la Présidente de la Commission européenne ? Est-ce que nos dirigeants bruxellois réalisent la violence du message qu’ils envoient aux agriculteurs? Nos coûts de production explosent; nos prix baissent: c’est sur le terrain que l’on attend nos responsables européens, pas à Montevideo pour flatter les exportateurs brésiliens! ».


Cet accord intervient alors que le prix de la tonne de betterave à sucre payée aux producteurs français a baissé de 20% cette année en raison des importations de sucre de betterave en provenance d’Ukraine sans droits de douane dans les pays de l’Union européenne depuis deux ans. Outre le sucre, les exportations de viande bovine, de volailles de maïs et de soja dans droits de douanes en Europe depuis les pays du Mercosur feront chuter les prix au départ de la ferme en France et dans d’autres pays membre d l’Union européenne. C’est tellement évident qu’un courrier signé de plus de 600 parlementaires français (députés, sénateurs et députés au Parlement européen) a été envoyé à Ursula Von der Leyen pour lui demander de ne pas signer cet accord.


La commissaire et les intérêts de l’industrie allemande

Dans une déclaration commune de la FNSEA et du syndicat Jeunes Agriculteurs publiée le 6 décembre, on peut lire que « cette validation» de l’accord de libre-échange UE-Mercosur « est non seulement une provocation pour les agriculteurs européens qui appliquent les standards de production les plus élevés au monde, mais aussi un déni de démocratie alors que la quasi-unanimité de nos parlementaires français se sont exprimés contre cet accord. Madame Von der Leyen a certainement davantage en tête les intérêts particuliers de l’industrie automobile allemande, que les enjeux de souveraineté alimentaire européenne et de lutte contre le réchauffement climatique! Mais la bataille continue. Nous ne nous avouons pas vaincus. Nous engagerons tous les moyens au niveau européen pour que cet accord ne soit pas ratifié, ni par le Conseil, ni par le Parlement européen, ni par les Parlements nationaux », affirment les deux syndicats.

Dans un communiqué publié le même jour, la Confédération paysanne qualifiait la signature de cet accord par Ursula Von der Leyen de « coup de poignard pour les paysans de France, d’Europe et d’Amérique du sud. Nous avons démontré que ces accords de libre-échange tirent les prix vers le bas et organisent la course au moins disant social et environnemental. Ils se font au détriment du revenu paysan et de l’intérêt général. Nous appelons à poursuivre la lutte, un combat sur lequel nous sommes précurseurs depuis plus de 30 ans ».

Le syndicat CFDT de l’agroalimentaire a également publié un communiqué dans lequel il demande « au futur gouvernement français et à l’Union européenne de cesser de céder aux sirènes du libre-échange à tout prix et de construire des politiques agricoles qui placent les salariés au cœur des décisions. Refuser l’accord UE-Mercosur, c’est affirmer une volonté politique claire : celle de défendre une agriculture juste, sociale et durable ».


Malgré tous ces appels à la raison, le président Macron est toujours aux abonnés absents concernant cet accord. Faut-il en conclure qu’il a donné carte blanche à la présidente d la Commission européenne avant son départ pour Montevideo? Il est grand temps de lui poser la question !