Disparition de Patrice Leguéreau, l’artiste derrière la joaillerie Chanel

Son bureau chez Chanel était un havre de paix, lumineux, aménagé avec goût et simplicité. À la grande table au centre (entourée de divines chaises Supperleggera de Gio Ponti), il s’attablait pour dessiner mais aimait aussi recevoir ses équipes, des collègues, des visiteurs. Quand on venait le voir pour parler bijoux et haute joaillerie, il n’aimait rien tant que de sortir en introduction les dessins préparatoires qu’il avait faits. Sur de grands cartons blancs, ce diplômé de l’École Boulle donnait libre cours à ses pinceaux traçant des lignes multicolores qui le menaient à des parures inspirées. Depuis quelques mois, il s’était un peu éloigné de ce bureau pour lutter contre la maladie. Il s’est éteint hier à l’âge de 54 ans.

Armé d’une formation artistique (complétée d’un cursus à l’Institut National de Gemmologie), Patrice Leguéreau a fait ses armes dans les meilleures maisons de joaillerie, passant six ans chez Cartier puis onze ans chez Van Cleef & Arpels. En 2009, il restait place Vendôme mais quittait le groupe Richemont pour rejoindre Chanel en tant que directeur du studio de création joaillerie et haute joaillerie. Il avait également en charge les commandes spéciales et les objets précieux comme l’épée d’académicien de William Christie. 

Dernière collection de haute joaillerie 2024 dessinée par Patrice Leguéreau et dédiée au sport. Chanel Joaillerie

Avec beaucoup de talent, il a su se mettre dans les pas de Gabrielle Chanel qui dessina une seule et unique collection de joaillerie, en 1932, interprétant en diamants deux thèmes chéris, les astres avec la comète, la lune, le soleil, et la couture avec le ruban, la plume et les franges, tout en imprimant sa patte et sa créativité. Patrice Leguéreau s’est emparé de ces signatures joaillières mais a aussi élargi le spectre en s’emparant du vocabulaire de la maison de la rue Cambon, déclinant en pierres précieuses le camélia, le blé, les perles, le lion, le tweed... et même le matelassé avec sa collection Coco Crush en 2015 devenue un best-seller. Iconique, le parfum N°5 était devenu, sous ses doigts, un collier à nul autre pareil reprenant les courbes de la petite bouteille et serti d’un diamant spécial de 55.55 carats en 2021. 

La pierre de centre du collier 55.55 reprend les «huit côtés du bouchon du parfum et de taille émeraude semblable à l’octogone de la place Vendôme», expliquait Patrice Leguéreau. Chanel Joaillerie

Ce qu’il cherchait toujours et répétait souvent, c’était «aller plus loin», repousser les limites de la création vers des formes inédites, des histoires singulières, des techniques impensables, contribuant ainsi à écrire l’histoire du bijou Chanel. Aller plus loin, mais aussi «rester libre». «Si le patrimoine de la maison Chanel est extrêmement riche, l’héritage lié à la joaillerie se résume à une seule et unique collection, nous expliquait-il en 2022. C’est idéal, je peux m’imprégner tout en étant assez peu contraint, et créer, dans l’air du temps, tout en injectant le plus possible les attributs de la haute joaillerie.»

Le collier Allure Céleste rendait hommage à la seule collection imaginée par Gabrielle Chanel en 1932. Chanel Joaillerie

«Sous sa direction, le studio de design joaillerie s’est construit et développé, accueillant de nombreux talents qu’il n’a cessé d’encourager et de faire grandir. Ceux qui ont eu la chance de travailler à ses côtés se souviendront d’un homme profondément sensible, humble et accessible, animé par un grand sens du collectif», a écrit la maison Chanel pour annoncer sa disparition.