Après les attentats de Moscou, la France déploie des moyens exceptionnels pour éloigner le spectre d’une attaque terroriste

Le «Bataclan de Moscou», le pire attentat djihadiste commis sur le continent européen depuis ceux du 13 novembre 2015, refait chavirer la France dans un scénario de cauchemar. Perpétré vendredi soir à près de 3000 kilomètres de Paris, avec un bilan d’au moins 137 morts dont trois enfants et revendiqué par le groupe État islamique au Khorasan (EI-K), ce carnage a provoqué une onde de choc jusqu’au sommet de l’État. Dimanche soir, après un Conseil de défense et de sécurité nationale présidé par Emmanuel Macron à l’Élysée, Matignon a décidé de relever la posture du plan Vigipirate au niveau «urgence attentat», c’est-à-dire à son seuil «maximal» qui correspondait jadis à la couleur écarlate. En théorie prévu pour durer un temps limité, celui de la gestion de crise, il permet notamment d’assurer la mobilisation de moyens coercitifs, assortis au besoin de mesures exceptionnelles, comme la fermeture des routes, du métro ou encore l’arrêt des déplacements scolaires. «Nous allons nous démultiplier davantage et déployer partout des moyens exceptionnels pour asphyxier l’islamisme, qui est un engrenage de haine, se nourrit de nos naïvetés et veut tuer la République», a déclaré, lundi, Gabriel Attal. Depuis la gare Saint-Lazare, le premier ministre a annoncé le renfort de 4000 militaires supplémentaires dans la cadre des missions Sentinelle, qui mobilisait jusqu’ici 3000 soldats.

Sans attendre, la méthode «sac de sable» se déploie donc sur tout le territoire où guettent mille dangers. Alors que les catholiques sont entrés dans la semaine sainte jusqu’au lundi de Pâques, des patrouilles à pied et en voiture vont être déployées pour sécuriser les 42.000 églises du pays. Par milliers, policiers et gendarmes vont multiplier les patrouilles dans les gares et les aéroports tandis que les fouilles et les opérations de filtrage vont être renforcées à l’entrée des salles de spectacles. Enfin, des équipages en tenue quadrillent les abords des établissements scolaires depuis que près de 130 lycées et collèges ont été visés, en une semaine, par des menaces d’attentats à la bombe - accompagnés parfois de vidéos de décapitation - via les espaces numériques de travail (ENT), en Île-de-France, dans les Hauts-de-France et la région Grand Est.

Train de mesures

À quatre mois de la cérémonie d’ouverture de Jeux olympiques à très hauts risques, la mise en place de ce train de mesures accentue, comme s’il en était encore besoin, la pression sur les services français. Même si les organisateurs répètent tel un mantra que «c’est l’esprit de la fête qui devra primer», les stratèges de la Place Beauvau n’ignorent rien de l’Himalaya sécuritaire qui se dresse devant eux: ce rendez-vous planétaire, suivi par plus de 1 milliard de spectateurs, va offrir sur un plateau aux ennemis de la France l’occasion de la frapper au cœur. «La police française, les gendarmes, les préfets et les renseignements seront prêts», voulait rassurer lundi Gérald Darmanin depuis la métropole lilloise, bien conscient que «la France, parce qu’elle porte des valeurs universelles, qu’elle est pour la laïcité (…) est particulièrement menacée, notamment pendant ces événements extraordinaires que vont être les Jeux olympiques». Plus que jamais, les services vont surveiller les quelque 5200 radicalisés faisant l’objet d’un suivi actif au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Le premier flic de France n’a pas attendu l’attaque de Moscou pour tirer le signal d’alarme. «De plus, le contexte international tendu ainsi que les attentats d’Arras et de Bruxelles en octobre et de Paris en décembre 2023 ont eu pour effet de confirmer l’élévation du niveau général de la menace djihadiste sur le territoire national», a renchéri le ministre. Pour mémoire, la France a été, depuis 2012, le théâtre de 25 attentats ayant fait 273 morts et plusieurs centaines de blessés, sachant que 21 attaques islamistes ont échoué et 75 projets d’attentats ont été déjoués.

Si la France, et d’autres pays européens comme l’Italie, ont décidé de hausser la garde, c’est en effet parce que l’attentat de Moscou est un message adressé à l’ensemble des pays visés par l’État islamique. Vendredi soir, dans sa revendication, Daech évoquait d’ailleurs non pas la Russie et Vladimir Poutine, mais une attaque «contre un grand rassemblement de chrétiens» menée «dans le contexte de la guerre faisant rage entre (Daech) et les pays combattant l’islam». Or Paris sait parfaitement que l’État islamique, et tout particulièrement sa branche afghane l’État islamique-Khorasan, cherche tout autant à frapper «des chrétiens» (ou autres cibles) en France, «pays combattant l’islam» selon l’EI-K. Lundi, Emmanuel Macron a d’ailleurs souligné que l’EI-K «avait conduit ces derniers mois plusieurs tentatives sur notre propre sol». Le chef de l’État a confirmé, sans donner plus de détails, qu’après l’attentat de Moscou, la France avait proposé à la Russie «une coopération accrue». Une proposition qui illustre la réalité et l’intensité que fait peser «le djihadisme collectif» sur l’ensemble des «mécréants» quelle que soit leur nationalité.

L’EI-K, une organisation redoutable

La menace est d’autant plus grave que l’EI-K (de son nom «officiel» «État islamique en Irak et au Cham-Wilaya de Khorasan», né en 2014) est une organisation redoutable qui a profité du retrait américain d’Afghanistan en 2021. En 2022, des experts de l’ONU lui attribuaient quelque 4000 combattants, dont «près de la moitié sont des terroristes étrangers».

Or ce même EI-K est apparu sur les radars des services de renseignements français et européens depuis plus d’un an. En novembre 2022, à Strasbourg, à quelques jours de l’ouverture du marché de Noël, des policiers de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) interpellaient deux djihadistes, un Tadjik et un Russe d’origine tchétchène, qui venaient d’arriver en France. Pour les enquêteurs, les deux hommes étaient commandités par l’EI-K pour frapper dans l’Hexagone. En juillet 2023, six Tadjiks et trois autres citoyens de pays de l’Asie centrale (deux Kirghizes, un Turkmène) étaient interpellés à leur tour, mais cette fois en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas. Une partie des suspects étaient de faux réfugiés ayant transité par l’Ukraine.

Six mois plus tard, de nouveau en Allemagne mais aussi en Autriche et en Espagne, plusieurs Tadjiks en lien avec l’EI-K étaient arrêtés. Pour les enquêteurs allemands, ils visaient des lieux de culte chrétiens comme la cathédrale de Cologne. Enfin le 19 mars, trois jours avant l’attentat de Moscou, la police allemande arrêtait deux Afghans, en lien avec l’EI-K dans un Land de l’est du pays. Les deux hommes sont accusés d’avoir préparé un attentat en Suède pour «punir» ce pays après l’affaire des corans brûlés au cours de manifestations. Ils recherchaient des armes et envisageaient d’ouvrir le feu sur la foule aux abords du Parlement suédois.

Mais l’impact de l’attentat de Moscou ne se limite pas aux agissements de l’EI-K. Il peut aussi avoir des répercussions sur la mouvance endogène regroupant des individus sans lien opérationnel avec Daech, mais pouvant être motivés par la réussite de l’opération et décider de passer à l’acte avec des moyens rudimentaires (couteau, véhicule bélier…). Car depuis vendredi soir, la mouvance djihadiste exulte et salue un «succès» contre les «kouffar». Comme les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre, l’horreur moscovite peut avoir des conséquences. À noter enfin que le terroriste ayant perpétré l’attentat de Bir Hakeim, le 2 décembre, se disait motivé par le conflit israélo-palestinien mais avait aussi adopté le nom de guerre d’Abou Talha al-Khorasani, «une référence, selon le procureur national antiterroriste Jean-François Ricard, à l’organisation terroriste État islamique agissant actuellement à partir de l’Afghanistan». Jamais le spectre de la menace n’a été aussi présent.