C’est sans doute la première fois que l’on voit Catherine Deneuve passer de vie à trépas sous l’œil de la caméra. À 81 ans, la reine Catherine s’amuse à surprendre son monde dans Yokai, le monde des esprits, du réalisateur singapourien Eric Khoo (Hotel Singapura, Be With Me, My Magic). Il semble presque que le scénario ait été bâti autour de la figure iconique de l’actrice française aux quelque 150 films. L’intrigue emmène avant tout Deneuve à Tokyo. Comme pour mieux l’isoler loin de ses bases. L’actrice incarne une chanteuse très populaire au Japon depuis les années 1960, Claire Emery, qui entreprend une ultime tournée d’adieu à Tokyo.
Parallèlement, on suit son plus vieux et plus grand admirateur, Yuzo (Masaaki Sakai), qui écoute religieusement ses disques sur sa platine vinyle. Mort subitement, le vieil homme se mue en un yokai, sorte de créature fantomatique issue du folklore nippon qui erre dans les limbes, sentant que son passage sur terre n’est pas terminé. Après sa mélancolique prestation tokyoïte, suivie d’une déprimante séance d’autographes durant laquelle elle a signé un CD au fils de Yuzo, Claire Emery s’échappe et va se soûler au saké dans un petit bar malfamé. C’est là qu’elle s’effondre sur le comptoir… Pour mieux réapparaître en fantôme. On aura compris que sa mission n’est pas achevée non plus. Les deux esprits errants se retrouvent alors pour une dernière mission consistant à empêcher le fils de Yuzo de tomber au plus profond d’une dépression après avoir perdu une femme dont il était fou amoureux.
L’actrice française a l’air de s’amuser à jouer un fantôme perdu, errant avec désinvolture, une pointe d’humour et d’ironie, entre questionnements métaphysiques et voyage initiatique spirituelLe film ne perd jamais de vue Catherine Deneuve, notre légende vivante nationale métamorphosée en spectre flottant qui explore les frontières floues entre le monde des vivants et celui des esprits. Quasiment de tous les plans, l’actrice française a l’air de s’amuser à jouer un fantôme perdu, errant avec désinvolture, une pointe d’humour et d’ironie, entre questionnements métaphysiques et voyage initiatique spirituel.
Tourné entièrement au Japon, dans l’immensité des villes, dans de vastes cimetières traditionnels, sur des routes de campagne ou face à la mer déchaînée au milieu des rochers, Yokai, le monde des esprits s’apparente presque à un road-movie documentaire sur Catherine Deneuve. La mort sert de thème principal au film, mais il n’en effleure cependant que la surface. L’intrigue, qui met en scène des figures éthérées guidant les vivants vers l’acceptation d’un deuil ou d’un chagrin, n’a rien de très nouveau.
Il n’est qu’à se rappeler du fascinant Sixième sens de M. Night Shyamalan, sorti en 1999, pour s’apercevoir que Yokai, le monde des esprits n’en est qu’une variation japonaise au petit pied, déguisée en œuvre contemplative. Reste la présence magnétique et pas du tout fantomatique de Catherine Deneuve qu’on aime voir s’investir dans ce rôle inattendu. Et l’on sauvera également les trois belles chansons aériennes, mélancoliques et nostalgiques, composées par Jeanne Cherhal (si loin de Dieu est un fumeur de havane), qui vont bien au teint de l’actrice et pourraient se suffire à elles-mêmes, loin de ce long-métrage un peu trop pompeux et solennel.
La note du Figaro : 2/4