Attaque à Nantes : «On va promettre que les choses changeront, puis se recueillir à nouveau parce que rien n’a changé»

Ophélie Roque est professeur de français en banlieue parisienne. Elle vient de publier Antisèches d’une prof. Pour survivre à l’Éducation nationale (Les Presses de la cité, 2025).


La professeur que je suis ne peut que se sentir profondément émue de ce qui s’est passé, jeudi 24 avril, au lycée privé Notre-Dame-de-Toutes-Aides. L’effroi et la sauvagerie viennent s’abattre, à nouveau, au sein de l’école. Encore une fois, ce même trouble face à la brutalité de l’inattendu. C’est que le mal se dissimule bien souvent derrière le masque du banal. Un adolescent en perdition vient d’entraîner quatre de ses camarades dans le gouffre de sa déraison. L’une d’entre eux est décédée, les trois autres sont blessés dont l’un en urgence absolue.

À 12h30, dans le quartier Doulon de Nantes, un élève de seconde âgé de quinze ans a commis l’impensable en choisissant de perpétrer une attaque au couteau. Selon les premiers témoignages, l’élève, prénommé Justin, serait entré dans une classe du deuxième étage armé de deux couteaux dont l’un spécifiquement destiné à la chasse. Il a poignardé une lycéenne avant de se diriger vers une autre salle où il s’est rué sur trois autres élèves. L’intervention rapide des enseignants, qui ont tenté de contenir l’assaillant à l’aide d’une chaise (comme l’on tente de contenir un grand fauve) a permis d’éviter un bilan plus lourd encore.

À qui, à quoi peut bien ressembler le suspect ? A priori scolarisé dans l’établissement, il est pour l’instant décrit comme un adolescent sans antécédents judiciaires. Visiblement rien de particulièrement alarmant dans son profil même si, selon une source policière, il présentait un trouble dépressif et aurait agi à la suite d’un différend entre lui et plusieurs autres élèves. On parle d’une histoire d’amour peut-être contrariée, on parle également de cet étrange manifeste envoyé à ses camarades avant le début du massacre, au contenu aussi inquiétant qu’obscur.

Première bizarrerie, le titre, « L’action immunitaire ». Deuxième particularité, que peuvent bien signifier les fourches de cet Y inversé ? Troisième singularité, le contenu en lui-même. C’est une construction étrange, presque baroque, organisée autour de trois « agressions » : l’écocide globalisé, l’aliénation sociale et le conditionnement totalitaire. Bref, ça part dans tous les sens et ça revendique à tout-va l’amour de la planète, la profonde douleur de la solitude et les villes qui déshumanisent un homme réduit à son seul substrat économique. Et pourtant, rien dans ce texte qui revendique le massacre effectué. C’est confus, touffu et probablement aussi décousu que l’esprit du jeune Justin.

Ce drame n’est en rien un cas isolé. Bis repetita dans l’horreur. Ces dernières années, on ne cesse de dénombrer une inquiétante multiplication des violences en milieu scolaire

Ophélie Roque

Autre étrangeté, Justin est-il le seul auteur de ce manifeste ou une IA a-t-elle rédigé une grande part ? Autant de questions, pour l’instant, sans réponse.

Antoine Leroy, procureur de la République de Nantes, s’est naturellement rendu sur place, rapidement rejoint par les ministres de l’Intérieur, Bruno Retailleau, et de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, qui ont tenu à prendre la parole. Comme souvent, il ne reste plus que cela à faire : se recueillir, promettre que les choses changeront et se recueillir à nouveau parce que rien n’a changé.

Car ce drame n’est en rien un cas isolé. Bis repetita dans l’horreur. Ces dernières années, on ne cesse de dénombrer une inquiétante multiplication des violences en milieu scolaire, notamment l’augmentation du nombre d’attaques commises à l’arme blanche. Comment expliquer une telle montée des violences ? Surtout quand le choix des armes se focalise sur des objets a priori courants, du quotidien. Nous touchons alors à un problème insoluble : si les couteaux sont nécessaires et légitimes dans le cadre d’une cuisine, que faire pour qu’ils ne se retrouvent pas dans les poches d’adolescents de plus en plus impulsifs ?

Sans compter l’omniprésence des réseaux sociaux qui jouent, pour le moins, un rôle délétère en amplifiant les phénomènes de harcèlement ou de conflits entre pairs, transformant des querelles qui auraient pu, auraient dû, rester anodines en véritables drames.

Par ailleurs, ouvrons les yeux : la question de la santé mentale des adolescents ne saurait plus être éludée. Selon une étude de Santé publique France, 20% des 15-24 ans déclarent avoir déjà souffert de troubles anxieux. Si chaque adolescent dépressif ne se transforme fort heureusement pas en une bombe à retardement, il est toutefois navrant de constater qu’une partie de la jeunesse reste murée dans ses obsessions et ses silences.