Cette fois, c’était la bonne. Brutalement interrompue, l’année dernière, par l’élévation soudaine du niveau de la Loire, la nouvelle campagne de fouille archéologique organisée en cette fin d’été près d’Ancenis (Loire-Atlantique), sur le bord de l’île Mouchet, touche enfin au but. En lutte incessante avec les sables ambivalents du fleuve et le courant revêche de cette partie de la Loire, à quelque vingt kilomètres de Nantes, une dizaine de chercheurs achève, samedi 5 septembre, l’étude d’une rare et étonnante épave : un bateau carolingien, préservé depuis plus d’un millénaire dans la vase ligérienne.
Cela faisait belle lurette que les archéologues tournaient autour de cet appétissant vestige, long de près de 15 mètres. Quatre ans, pour être précis. La présence de cette embarcation a été repérée dès 2021, à l’époque des premiers sondages archéologiques réalisés en amont des grands travaux de rééquilibrage du lit de la Loire, réalisés sous la maîtrise d’ouvrage de Voies navigables de France (VNF). Bien cachée, à deux mètres de profondeur, l’épave fait alors partie de la quinzaine d’embarcations identifiées sur les 450 hectares de grève examinées par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Contrairement aux gabares de l’époque moderne et autres restes de bateaux contemporains dénichés lors de ces premières opérations, l’embarcation de l’île Mouchet - datée au carbone 14 - avait pourtant un petit quelque chose en plus. Un vrai petit mystère.
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À mesure qu’ils fouillaient l’épave, les archéologues ont en effet commencé à se rendre compte qu’ils ignoraient à quel type de bateau ils avaient affaire. «C’est très curieux», confie l’archéologue Yann Viau, responsable d’opération sur la fouille de l’île Mouchet. D’une largeur de 2 mètres, ce long bateau, semblable à une pirogue, était composé d’un assemblage de deux pièces de chêne monoxyles - taillées d’un seul tenant - et d’une série de planches. Des pieux ont aussi été découverts autour de l’embarcation. L’ensemble, droit et rectiligne, était maintenu par de gros clous et ne ressemble à aucun autre modèle de bateau connu. «Nous ne lui connaissons, pour l’heure, aucun équivalent dans la batellerie. Des modèles d’origine rhodanienne, suisse et néerlandaise s’en rapprochent, mais datent tous de l’époque antique, soit plusieurs siècles avant notre épave», analyse Yann Viau, aussi déconcerté que ravi face à cette énigme d’architecture navale.
L’archéologue et son équipe brûlent de l’envie de comprendre les secrets de fabrication et de fonctionnement de ce navire vraisemblablement consacré au transport de charges ou de marchandises. Des études xylologiques et dendrochronologiques à venir sur des échantillons de l’épave pourraient apporter quelques détails utiles à sa compréhension, comme l’origine et l’âge plus précis des bois qui le composent. Des examens tracéologiques scruteront également les plus infimes traces d’outils dénombrés au fil de l’épave, pour tenter de retrouver les gestes et les outils employés à la construction du navire.
Hors de question, cependant, de prélever l’ensemble de l’épave. D’une grande fragilité, le bois du mystérieux bateau doit être constamment maintenu humide, pour éviter toute dégradation rapide. À part quelques éléments architecturés bientôt transférés en laboratoire, le vestige demeurera sur les bords de la Loire, faute de financement. Les archéologues de l’Inrap procéderont toutefois à son déplacement puis son enfouissement, hors de danger des travaux à venir et du lit rééquilibré du fleuve. Le bateau trouvera ainsi une nouvelle tombe, un nouveau cercueil d’eau et de sable, toujours à proximité immédiate de la Loire. Et toujours accessible aux archéologues du futur.