À Avignon, l’esprit frondeur de Miss.Tic imprègne le Palais des papes

De notre envoyée spéciale à Avignon

À Avignon, l'immuable Palais des papes accueille en ses murs tout ce que l'art a de plus audacieux et éphémère. Disséminées dans l'imposante bâtisse, les œuvres de Miss.Tic insufflent l'esprit frondeur de cette pionnière de l'art urbain qui a su s'imposer avec force et talent dans un domaine dominé par les hommes. Articulée en trois parties, Miss.Tic : A la vie, à l'amor, entraîne le public, jusqu’au 5 janvier, dans un monde où la rue se mue en espace créatif où l'esthétique et la poésie ont droit de cité : « L'exposition ambitionne de porter Miss Tic comme artiste plasticienne et poétesse, de rendre compte de cette force d'élévation qu'elle nous offre », rappelle la curatrice Camille Lévy Sarfati.

Derrière le pseudonyme emprunté au personnage de la sorcière dans les aventures de Picsou, s'incarne une énergie créatrice et vitale forgée par la capacité à dépasser la douleur. Son enfance marquée par la perte de sa mère, de sa grand-mère et de son frère dans un accident de voiture dont elle réchappe handicapée de la main droite, imprègne son travail. Une tragédie surmontée par la vertu de la poésie, un sentiment inaltérable de liberté et une grande combativité.« Le drame qui a marqué sa vie au départ l'a poussée à s'échapper d'une situation quelle n’a pas choisie, comme une émancipation, confie Antoine Novat son beau-fils et ayant droit. Elle a beaucoup souffert mais avait conscience de la valeur de la vie, des choses essentielles. C'était une femme très rieuse, toujours partante pour les rencontres, la découverte de l'autre.»

«Partir pour déshabiller l'habitude et laisser mon ombre rêveuse», 1990. Encre aérosol sur palissade 126 x 88 cm. Atelier Miss.Tic

Une ardeur qui ne la quittera jamais: « Miss.Tic a gardé son regard vivace jusqu'à la fin, une éternelle jeunesse dans la force de travail et de propositions, l'art l'habitait », se souvient et salue Maxime Gurriet, son dernier assistant qui a collaboré avec l'artiste trois années.

Susciter la surprise au détour d'une ruelle ou d'une impasse, célébrer la liberté, offrir aux citadins une parenthèse enchantée dans leur quotidien, jouer avec les mots pour provoquer, interpeller, embellir, sublimer l'ordinaire… Les pochoirs et les aphorismes saisissants de Miss.Tic entremêlent fenêtres ouvertes vers l'imaginaire et esprit critique. Cette première rétrospective posthume -l’artiste est décédée le 22 mai 2022- célèbre la richesse d'une œuvre qui s'est exprimée sur tous les supports. Palissades, tôle, boîtes aux lettres, boîtiers électriques, poubelles se transforment en éléments de décor.

«Des rêves d'anges heureux», 2008. Encre aérosol sur tôle 100 x 100 cm. Atelier Miss.Tic

Au Palais des papes, la scénographie recrée l'univers de l'artiste où les matériaux bruts de la rue deviennent le socle d'une pensée subtile, empreinte de poésie et d'humour. Dans les jardins, les premières œuvres exhibent une écriture expansive où domine l'intime. De grandes palissades révèlent la savante combinaison du pochoir et du verbe, exhibant le corps érotisé de femmes qui ne s'en laissent pas conter. «Refus d'identité. En cessant d'avoir un nom, j'hurle que mon désir s'en choisit mille », « la poésie ébauche les contours d'une ville à colorier », « Partir pour déshabiller l'habitude et laisser mon ombre rêveuse », figurent parmi les mots qui accompagnent ces œuvres élaborées sur des matériaux de fortune. Le visiteur observe d'emblée l'ébauche du talent de typographe de celle qui a inventé, plus tard, une signature reconnaissable entre toute faite de lettres rouges et noires dédoublées.

Au fil de son activité, l'artiste privilégie la fulgurance des aphorismes pour composer une œuvre profondément engagée et plus universelle, avec en filigrane la rage de justice sociale qui l'anime. Une série telle que «Miss.Tic présidente» élaborée dès la fin des années 1980 dans un contexte politique tendu en est l'une des brillantes expressions. Les tirages qu'elle colle alors sur les murs imaginent non sans ironie une femme présidente de la République dont les slogans détournent les clichés des campagnes présidentielles. Ses femmes aux corps et sourire enjôleurs mettent au cœur de l'espace public la question du désir des femmes, du désir comme force vitale. « Miss.Tic revendiquait la représentation de la femme fatale qui, selon elle, renferme un haut potentiel subversif », souligne la curatrice.

«Miss tic présidente», 1988. Encre aérosol sur Une de libération,58 x 37 cm. Atelier Miss.Tic

Cet esprit libre et révolté sera néanmoins rattrapé par la justice. En 1999, un procès pour « détérioration d'un bien pour inscription, signe ou dessin » qui se solde par une amende 22.000 francs (une somme conséquente à l’époque), pousse l'artiste à faire le choix définitif de la légalité. La pérennité des huiles sur toile, des affiches lacérées élaborées dans le sillage du pionnier Jacques Villeglé, les expositions en galerie prennent alors le pas sur l'art fugace de la rue. Une reconstitution de son dernier atelier du 13e arrondissement marque la jonction de ce glissement d'une activité artistique tournée vers l'intérieur. Bombes aérosols, pinceaux, tôle, toile, affiches, tissus, bois composent un riche fatras, illustrent néanmoins la présence immuable de la rue et le bouillonnement créatif dont la street artiste ne se départira jamais.

«Plus fort que la passion l'illusion», 2010. Encre aérosol sur fragment d'affiches 202 x 152 cm. LAWRENCE PERQUIS

Nourrie de poésie surréaliste et de littérature, Miss.Tic savait aussi rendre hommage à celles et ceux qui ont abreuvé son art. À l'instar des femmes de lettres qu'elle admirait. Virginie Despentes, Marguerite Duras, Patti Smith, Françoise Sagan pour ne citer qu'elles composent la prestigieuse liste de ces femmes célébrées par leur portrait bombé sur des pages précises de leurs ouvrages.

Marguerite Duras: «Faire d'un mot le bel amant d'une phrase», 2011. Collage livre et encre aérosol sur toile 73 x 92 cm Atelier Miss.Tic

Plus personnelle, une dernière partie emmène le visiteur dans le processus créatif de l'artiste, riche de carnets, vidéos, enregistrements, photos, lettres… Impressionnantes, 90 matrices suspendues au plafond de la chapelle sur lesquelles sont gravés les dessins, les phrases qui ont composé son œuvre, offrent une plongée vertigineuse dans la multitude d'un esprit habité par la conviction du pouvoir de l'art et de la poésie pour élever et apaiser les esprits, métamorphoser les murs de Paris qu'elle qualifiait de «plus belle galerie du monde.»

Miss.Tic A la vie à l'amor , Palais des papes, Avignon, jusqu’au 5 janvier 2025.