COP29 : de nouvelles règles pour les transactions carbone entre pays
Les pays riches pourront désormais remplir leurs objectifs climatiques en payant des pays d'Afrique ou d'Asie au lieu de réduire leurs propres émissions de gaz à effet de serre, grâce à l'adoption à la COP29 samedi de nouvelles règles déjà suspectées de «greenwashing». Cette décision, prise samedi soir par les pays réunis à la conférence sur le climat de l'ONU à Bakou et accueillie par des applaudissements, intervient après des années d'un débat épineux sur le commerce de crédits de réduction des émissions de carbone.
Jusqu'ici, les crédits carbone étaient surtout utilisés par les entreprises désireuses d'annuler leurs émissions pour se revendiquer neutres en carbone, un marché qui a échappé à toutes règles internationales et fut marqué par de nombreux scandales. Désormais, pour atteindre leurs objectifs climatiques découlant de l'accord de Paris, des pays - principalement les riches pollueurs - pourront acheter des crédits carbone, ou signer des transactions directement avec d'autres pays «bons élèves» qui surpasseraient leurs propres objectifs.
Cette faculté était prévue par l'article 6.2 de l'accord de Paris de 2015, le socle de l'action climatique mondiale; la décision de samedi la rend effective. Des experts craignent que ces mécanismes permettent aux États de se déclarer plus vertueux qu'ils ne le sont vraiment, créant un «greenwashing» à grande échelle. Mais les pays en développement, principalement en Afrique et en Asie, comptent grandement sur ces transactions pour obtenir des financements internationaux.
La Suisse pionnière
Concrètement, les pays riches financeraient des activités qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre dans les pays plus pauvres: planter des arbres, remplacer des véhicules thermiques par des électriques, ou réduire l'utilisation du charbon. Il s'agit ensuite d'enregistrer dans leur propre bilan carbone la réduction correspondante d'émissions.
Anticipant le feu vert des pays membres de l'ONU, 91 accords bilatéraux ont déjà été signés, principalement par le Japon, la Corée du Sud, Singapour, pour 141 projets pilotes, selon l'ONU au 7 novembre.
La Suisse est pionnière. Elle a signé avec le Ghana, par exemple pour réduire les émissions de méthane provenant des déchets, ou avec la Thaïlande pour financer une flotte de bus électriques à Bangkok, la seule transaction déjà réalisée. «C'est important qu'on réduise le plus vite possible et si on a la possibilité de faire une réduction (d'émissions) à l'étranger et en même temps les aider, c'est gagnant-gagnant», a dit à la COP29 le ministre suisse de l'Environnement, Albert Rösti.
«Menace»
Les promoteurs des transactions carbone soulignent qu'elles permettent de générer des revenus dans les pays en développement. Mais ses détracteurs craignent qu'elles permettent à des pays riches de signer des chèques plutôt que de réduire les émissions chez eux. «C'est la plus grande menace contre l'accord de Paris», dit Injy Johnstone, chercheuse spécialisée sur la neutralité carbone à l'université d'Oxford et qui a suivi de très près les négociations finales à Bakou. Sa crainte: que de nombreux pays «comptent sur lui pour atteindre» leurs objectifs.
À côté de ce système décentralisé, d'États à États, il existera un autre système - centralisé - d'échanges de crédits de carbone, ouvert à la fois aux États et aux entreprises, connu sous le nom d'article 6.4 dans le jargon onusien.
Au premier jour de la COP29, les États ont adopté de nouvelles normes encadrant ce marché avec ce qui est présenté comme des standards améliorés, sous la supervision d'un organe onusien. «Le marché va pouvoir démarrer, il y a de nombreux projets qui attendent», dit Andrea Bonzanni, de l'organisme IETA (International Emissions Trading Association), qui regroupe plus de 300 membres dont des entreprises comme BP ou TotalEnergies.
Malgré l'impulsion donnée à la COP29, des experts doutent que la qualité des crédits carbone soit réellement rehaussée sur ces marchés régulés. Pour Erika Lennon, avocate au Centre pour le droit international de l'environnement (CIEL), il faudra s'assurer que ces marchés «ne créent pas encore plus de problèmes et de scandales que les marchés volontaires du carbone», des marchés non régulés entre entreprises. Plusieurs études ont montré l'inefficacité de nombreux projets qui avaient été certifiés par des organismes privés peu rigoureux, parfois au détriment des populations locales.