Théâtre : Jean-Paul Farré actualise brillamment La Boétie
CRITIQUE - Le prodigieux comédien interprète le Discours de la servitude volontaire revu par LM Formentin au théâtre de l’Essaïon, à Paris.
Passer la publicité Passer la publicitéÉtienne de La Boétie a à peine 18 ans quand il écrit son fameux Discours de la servitude volontaire (1576), il étudie le droit. Comme le titre provocateur l’indique, l’auteur analyse le mécanisme de la tyrannie et la velléité des peuples à s’y soumettre. « Soyez résolus de ne plus servir, et vous serez libres », estime celui qui fut le meilleur ami de Montaigne. Les gouvernés seraient en demande de dominants. L’idée a choqué dans le passé, mais n’a rien perdu de sa pertinence. « Le peuple croit à la légitime autorité de l’État. Les hommes s’habituent à tout, entre autres à obéir ».
LM. Formentin a réactualisé le texte pourtant déjà en résonance avec l’actualité. « Pourquoi les hommes acceptent-ils la domination d’un seul ? », demande-t-il. C’est le metteur en scène Jacques Connort qui a pensé à Jean-Paul Farré pour interpréter De la servitude volontaire en 2023 au festival d’Avignon. Le comédien le reprend avec brio au théâtre de l’Essaïon à Paris 4e. Roi des planches, il nous a ces dernières années habitués à des spectacles humoristiques (Irrésistible Offenbach, Dessine-moi un piano), ou Tchekhov («La Demande en mariage» et «L’ours» qu’il rejoue en mai, au Poche Montparnasse). Il opère un grand écart en s’emparant brillamment du monologue de LM Formentin, sans jouer les moralisateurs ou les donneurs de leçon.
Choisir, s’engager, se libérer, résister
« Ce n’est pas à vous que je m’adresse, je parle tout seul, aux oiseaux, à mon vieux manteau… », commence-t-il mi-figue, mi-raisin, sous le manteau rouge d’un orateur philosophe. On le sent investi par les mots de La Boétie-Formentin, à l’écoute de l’époque et de ses maux. Le Discours de la servitude volontaire était plus que jamais dans l’actualité au moment du Covid et des confinements. Comment justifier l’acceptation des hommes aux mesures gouvernementales ? Pouvait-on encore parler de démocratie ? Pourquoi n’a-t-on pas dit « non » ? « Le pouvoir est au cœur de l’homme (…), il attend son heure, il se déchaînera le moment venu… , prédit l’acteur tribun. Le faible se soumet au fort, pourquoi le déplorer puisqu’il s’agit d’un accord tacite ? » .
L’Histoire ne manque pas de tristes exemples. Qu’est-ce que la liberté ? Le fond du plateau est couvert d’un mur de miroirs qui renvoient le public à ses propres interrogations. Utilisant un fauteuil en bois comme unique accessoire - un trône qu’il renverse ? -, Jean-Paul Farré énumère la liste de tyrans, plus longue que les doigts de ses deux mains. Cite Machiavel. Évoque ceux qui pourraient le devenir dans un avenir proche. Incite à réfléchir. « Et si demain arrivait un nouveau conflit, une épidémie… où serai-je ? », interroge-t-il en même temps que le spectateur. Avisé, met en garde contre toute forme de dictature ou de tentation de dictature. Encourage à choisir, à s’engager, à se libérer, à résister, enfin. On le sent ému au moment des nombreux rappels.
» Discours de la servitude volontaire, avec Jean-Paul Farré. Jusqu’au 27 avril au Théâtre Essaïon (Paris 4e). Rés. : 01 42 78 46 42.