Notre critique de Jouer avec le feu: ses enfants après lui

Les Américains ont les Tom Cruise movies. L’acteur hollywoodien y sauve le monde en courant très vite, quelle que soit la menace (invasion extraterrestre, attentat terroriste…). Les Français ont les films de Vincent Lindon. L’acteur y rend le monde meilleur, ou tout du moins un peu moins désespérant, en disant non (à la loi du marché, à l’injustice…). Seul au volant de sa voiture (le récent Le Choix ) ou seul parmi les autres (les films de Stéphane Brizé), Lindon est souvent ce chevalier blanc dans un monde tout noir.

Dans Jouer avec le feu, Delphine et Muriel Coulin l’emmènent ailleurs, une zone grise où personne n’est tout à fait irréprochable ni innocent. Nul besoin de voyager très loin. En Lorraine, Pierre (Vincent Lindon), cheminot de nuit revenu du combat syndical, veuf, élève seul ses deux fils. Louis (Stefan Crépon), le cadet, fait tout bien et s’apprête à partir étudier à la Sorbonne, à Paris. Félix, l’aîné, dit « Fus » (Benjamin Voisin), vivote entre son équipe de football et un avenir d’ouvrier métallurgiste bouché. Il traîne avec ses nouveaux amis, crânes rasés et idées courtes, membres d’un groupuscule d’extrême droite. Leur violence reste hors champ mais s’insinue dans le foyer.

Lindon, une bête d’acteur

Les Coulin captent bien l’air du temps, viriliste et brutal, sur fond de déclassement et de ressentiment. Mais Jouer avec le feu n’est pas un tract militant. Les réalisatrices préfèrent les non-dits aux beaux discours. Elles filment une maison sans femme, hantée par le fantôme d’une épouse et mère adorée. Le chagrin reflue parfois, la joie revient par moments et ces trois hommes s’aiment autant qu’ils se déchirent. Le Scope n’est pas un format trop large pour embrasser ces corps pleins de larmes et de rage. Lindon rappelle qu’il est une bête d’acteur. 

«Jouer avec le feu» avec Vincent Lindon © 2024 Felicita - Curiosa Films - France 3 Cinema/Ad Vitam

Pour paraphraser Truffaut à propos de Godard, Lindon n’est pas le seul à jouer comme il respire, mais c’est lui qui respire le mieux. C’est d’autant plus vrai ici, avec des partenaires à la hauteur. Les jeunes Benjamin Voisin et Stefan Crépon, à l’image de leurs personnages, le poussent dans ses retranchements. Si le daron reste le patron - le prix d’interprétation à la Mostra de Venise est pour Lindon, pas pour les gamins - il vacille superbement. Ses valeurs, ses convictions se heurtent à la chair de sa chair.

Les sœurs Coulin ont revu L’Horloger de Saint-Paul, le premier long-métrage de Bertrand Tavernier, et relu le roman de Georges Simenon, L’Horloger d’Everton, à l’origine du scénario. Une scène les a particulièrement marquées. Celle où Noiret dîne dans un bouchon lyonnais. Il se met à parler un peu fort de son fils, coupable du meurtre d’un vigile à l’usine. Une dame se tourne alors vers lui. Il la fixe et explose : « Oui, madame, je suis le père de l’assassin. » Noiret hurle de honte en même temps qu’il se désigne. Lindon ne prononce pas cette phrase. Sa tirade au tribunal est un leurre. Elle ne dit rien de sa douleur ni de sa tendresse. Mais tout dans son regard, son silence, dit la culpabilité et l’impuissance d’un père. Son dernier geste arrache le cœur.