"L'Angleterre est devenue un mastodonte par rapport à la concurrence" : pourquoi les clubs anglais dépensent sans compter sur le marché des transferts

Une Europe à deux vitesses ? En cette fin juillet, il ne reste plus qu'un mois aux clubs européens pour s'activer sur le marché des transferts. Et pour l'instant, les plus actifs dans le sens des arrivées proviennent surtout du championnat anglais. Selon le site Transfertmarkt, sept clubs de Premier League trustent le top 10 de ce mercato estival en termes de dépenses, et les quatre premiers sont Liverpool (309 millions d'euros), Chelsea (244), Arsenal (224) et Manchester City (177).

Les prix de certains transferts ont interpellé les fans de football sur la véritable valeur des joueurs. L'attaquant français de 23 ans, Hugo Ekitike, a quitté l'Eintracht Francfort direction Liverpool pour 95 millions d'euros, bonus compris. L'ancien joueur du Paris Saint-Germain est ainsi devenu le cinquième joueur français le plus cher de l'histoire. Comment expliquer ces prix ? Franceinfo a posé la question à Pierre Rondeau, professeur d’économie à la Sports Management School, et codirecteur de l’Observatoire du sport à la Fondation Jean Jaurès.

franceinfo : On a l'impression de voir deux marchés des transferts cette année, celui de l'Angleterre et celui du reste de l'Europe. Comment l'expliquer ?

Pierre Rondeau : On avait déjà des prémices, et en tout cas le sentiment que cela allait se produire à la suite de la crise des droits TV, notamment en France, qui jusqu'ici était plutôt assez active en termes de ventes ou d'achats sur le marché des transferts. La France a beaucoup perdu après Médiapro, le Covid, la chute des droits TV, DAZN et maintenant leurs problématiques avec Ligue 1+, qui fait qu'ils n'ont pas de revenus de droits TV. Globalement, la plupart des championnats européens voient les droits stagner ou baisser. Et il y a le cas à part du championnat anglais, la Premier League, qui voit ses gains augmenter grâce à davantage de droits TV, notamment internationaux. Il était donc prévisible de voir l'Angleterre devenir un mastodonte par rapport à la concurrence. C'est l'illustration de ce contexte sur les championnats européens : l'Angleterre est largement devant et les autres sont derrière.

Le prix de certains joueurs semble surévalué. Cette inflation est la responsabilité des clubs vendeurs ou des acheteurs ?

Il y a tout d'abord une explication par l'offre. Les clubs anglais ont beaucoup d'argent et donc dépensent énormément. L'inflation est liée à la richesse des clubs qui se permettent de dépenser sans compter et finalement déboursent parfois leur argent n'importe comment.

"Les clubs anglais peuvent se permettre d'acheter des joueurs de niveau moyen à plus de 50, 60, 80, 90, voire 100 millions d'euros."

Pierre Rondeau, professeur d’économie à la Sports management school

à franceinfo

Un autre élément est à prendre en considération, cette fois-ci, du côté de la demande, c'est-à-dire des joueurs et des clubs vendeurs. Il s'agit de la progressive financiarisation du football, en tout cas de ses actifs, en l'occurrence de ses footballeurs. Cela se faisait déjà autrefois, mais aujourd'hui, on a l'impression que c'est devenu presque automatique. Les joueurs deviennent des actifs financiers valorisés et valorisables. Les clubs se les échangent avec des options qui maintenant deviennent presque automatiques avec des bonus, un prix variable, une part sur le bénéfice et une part sur la plus-value. 

Par exemple, avant qu'Ekitike soit vendu par Francfort à Liverpool plus de 90 millions d'euros, le Paris Saint-Germain avait vendu le joueur avec une part sur la plus-value potentielle, réalisée par le club allemand lorsqu'il allait être vendu ailleurs. De plus en plus de joueurs ont ces options dans leur contrat. Donc déjà, il y a un élément dans la négociation. Dorénavant, on va intégrer ces options et ces parts sur la plus-value dans le futur transfert.

On remarque que de nombreux joueurs français ou d'anciens de la Ligue 1 sont présents dans ces transferts. C'est devenu un marché prioritaire pour les clubs étrangers ?  

Il y a tout d'abord une réputation : beaucoup de joueurs français ont bien marché en Europe. On sait qu'ils s'adaptent très facilement à l'étranger et qu'ils sont plutôt à l'aise dans des styles de jeu différents. Ils arrivent à performer en Angleterre, en Espagne, en Allemagne ou en Italie. La France a aussi la réputation de former beaucoup de joueurs compétents. Les clubs étrangers estiment que l'on prend moins de risques de récupérer un joueur français qu'un joueur anglais par exemple, qui aura plus de difficulté à s'adapter, car il a peu l'habitude de se déplacer. Il y a cet aspect structurel et d'un point de vue conjoncturel, les clubs français sont vendeurs parce qu'ils n'ont pas d'argent. Les revenus des droits TV, qui correspondent à 36% des revenus en moyenne des clubs, sont inexistants.

Hormis beIN qui verse près de 80 millions d'euros par an, le reste sera uniquement dépendant de la performance de la chaîne Ligue 1+. Autrefois, quand c'était DAZN ou Canal+, un contrat avait été signé, donc les clubs pouvaient faire des budgets prévisionnels. Les clubs français ont donc vraiment un besoin de trouver des liquidités. Ils sont vendeurs et ils profitent aussi de l'aspect structurel de la réputation du jeune joueur formé en France, qui pourra s'adapter assez facilement à un championnat étranger.