ENQUETE. Qui est John Mark Dougan, l'ancien shérif américain qui tente de déstabiliser les élections allemandes ?

Dans son rapport très documenté consulté par la cellule investigation de Radio France, NewsGuard (en lien avec Correctiv) montre qu'un ancien marine américain installé à Moscou, John Mark Dougan, a, dès l'été dernier, commencé à créer de faux sites en langue allemande pour relayer des fausses informations et amplifier des narratifs pro-Kremlin. Mais cette offensive a surtout débuté après que le chancelier Olaf Scholz a annoncé, début novembre 2024, l'éclatement de la coalition gouvernementale allemande et la tenue rapide d'élections, le 23 février 2025.

À ce jour, John Mark Dougan a lancé pas moins de 102 faux sites internet, dont les contenus en allemand sont largement réécrits par l'intelligence artificielle, affirme NewsGuard. "Ce n'est pas quelqu'un qu'on vient de découvrir. John Mark Dougan vient de cibler les élections américaines avec un réseau très actif qui a été à l'origine de nombreuses fake news, précise Chine Labbé, porte-parole de NewsGuard pour l'Europe. En Allemagne, ce réseau semble avoir pour objectif de semer la confusion dans l'esprit des électeurs et de servir de rampe de lancement à certaines fausses informations". Ces faux sites d'information imitent d'authentiques médias allemands d'actualité locale et nationale, ou d'anciens journaux régionaux historiques tels que le Berliner Tageblatt ou le Hamburger Anzeiger, aujourd'hui disparus. Grâce à l'IA, de vrais articles provenant de médias allemands d'actualité connus pour leurs reportages clivants ou des contenus provenant du média d'État russe RT (ex-Russia Today) sont réécrits.

"Nourrir un sentiment anti-immigration"

Ces sites ne se contentent pas de diffuser des contenus pro-russes et eurosceptiques mais publient également des fausses informations et des contenus favorables à Alice Weidel, cheffe du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) ou Elon Musk, allié de Donald Trump et propriétaire de X, décrit dans certains articles comme un "visionnaire moderne". L'une des dernières infox diffusées par Dougan est liée à la question migratoire en Allemagne. "Ces sites prétendent que l'Allemagne prévoit d'accueillir 1,9 million de travailleurs kényans, précise Chine Labbé, de NewsGuard. Ce chiffre n'existe pas et reprend un accord migratoire entre le Kenya et l'Allemagne qui ne mentionne pas du tout l'accueil de ces presque 2 millions de travailleurs kényans. L'objectif, c'est bien de déformer une information existante pour nourrir un sentiment anti-immigration". Ces derniers mois, le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne a prôné une politique moins alignée avec l'Otan et les positions pro-Ukraine.

Sollicité par NewsGuard, le ministère allemand des Affaires étrangères dit surveiller ce réseau de sites qui chevauche d'autres campagnes de désinformation en cours contre le processus électoral en Allemagne. Quant à John Mark Dougan, il nie être à l'origine de cette campagne de désinformation et tout lien politique et financier avec le renseignement militaire russe (GRU). Selon une antenne du département du Trésor américain en charge du terrorisme, les liens entre John Mark Dougan et les intérêts russes ne font pas de doute.

Cette source américaine estime que depuis Moscou, l'ancien shérif adjoint travaillerait main dans la main avec la direction du Centre d'expertise géopolitique, un institut moscovite qui lui fournirait les serveurs hébergeant les outils d'IA générative utilisés pour la campagne de désinformation allemande.

Affiche d’un documentaire intitulé "Breaking Bad Wolf" et diffusé sur RT consacré au déménagement de John Mark Dougan jusqu’en Russie. (DR)

Un faux site web du parti d'Emmanuel Macron

Interrogées par la cellule investigation de Radio France, plusieurs sources gouvernementales françaises en lutte contre les tentatives d'ingérences étrangères confirment que l'ex-shérif a déjà ciblé la France. "On le connaît bien depuis les opérations pro-russes dites ‘Storm' (nom de code de plusieurs campagnes de désinformation), explique un analyste qui souhaite garder l'anonymat. L'an dernier, son réseau a relayé en France de fausses vidéos, dont l'une du Hamas qui évoquait des possibles attaques pendant les Jeux olympiques de Paris 2024. Pendant les législatives anticipées, nous avons identifié que John Mark Dougan a aussi enregistré un faux site web de l'équipe de campagne du parti d'Emmanuel Macron, qui s'appelait 'Ensemble-2024'". Toujours selon cette source bien informée, John Mark Dougan "utilise toujours le même mode opératoire avec des faux sites web, des faux comptes sur les réseaux sociaux et la publication de fausses vidéos pour diffuser des narratifs relayés par des influenceurs anglophones, russophones ou africains. Le rôle de John Mark Dougan, c'est de 'blanchir' et d'amplifier les fake news comme il le fait certainement en Allemagne".

Après ces campagnes de désinformation contre les élections américaines et allemandes, désormais documentées, la France surveille les tentatives d'ingérence de John Mark Dougan. Le "troll" américain, qui a obtenu la nationalité russe en 2023, pourrait tout à fait s'inviter à l'occasion des futurs scrutins dans l'Hexagone.


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