Législatives en Allemagne : Friedrich Merz, un futur chancelier qui veut, comme la France, faire de la défense de l'Europe une "priorité absolue"
Il érige lui aussi la défense européenne comme chantier numéro un pour se préparer "au pire scénario". Friedrich Merz, chef de file de l'alliance entre l'Union chrétienne-démocrate (CDU) et l'Union chrétienne-sociale (CSU), a donné le ton lors de sa prise de parole après la victoire de sa formation aux élections législatives allemandes, dimanche 23 février. Le conservateur, futur chancelier allemand, a prôné le renforcement de la défense européenne afin que le Vieux Continent atteigne "progressivement l'indépendance vis-à-vis des Etats-Unis".
Face à une nouvelle administration américaine qui "se montre largement indifférente au sort de l'Europe", celui qui est appelé à former le prochain gouvernement de coalition outre-Rhin a évoqué "une capacité de défense européenne autonome" comme alternative à "l'Otan dans sa forme actuelle". "Les Européens doivent très rapidement organiser leur capacité de défense, c'est une question qui aura une priorité absolue dans les prochaines semaines", a-t-il ainsi affirmé. Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump exhorte de fait les pays européens à prendre davantage de responsabilités en matière de défense, soulevant même des doutes sur une éventuelle aide des Etats-Unis à leurs alliés en cas de besoin.
La question des investissements est "ouverte"
Fin janvier, lors d'un discours sur sa doctrine en matière de politique étrangère traduit par Le Grand Continent, Friedrich Merz a appelé au sursaut européen : "L'Allemagne et l'Europe ont profité pendant 75 ans de la promesse d'assistance américaine. C'est désormais à nous d'en faire plus pour notre propre sécurité et notre défense."
"Je veux que l'Allemagne et l'Europe soient fortes, avec des armées fortes, avec une défense civile forte, et avec une infrastructure résiliente."
Friedrich Merz, chef de file de la CDU/CSUdans un discours à Berlin, le 23 janvier 2025
Pour ce faire, sera-t-il prêt à investir dans la défense, quitte à réformer le frein à l'endettement qui plafonne le déficit budgétaire structurel à 0,35% du PIB en Allemagne ? Dans la partie consacrée à la défense de l'Europe sur le site de la CDU, les détails concernant les investissements ne sont pas mentionnés. "La méthode que nous utilisons pour financer [l'augmentation des achats militaires européens] est une question que je souhaite expressément laisser ouverte aujourd'hui, et que j'ai laissée ouverte lors des discussions", a affirmé Friedrich Merz mi-janvier, rapporte Euractiv.
Lors de son discours fin janvier, le chef de file de la CDU/CSU avait plaidé pour "un investissement dans notre défense globale (...) décisif pour la préservation de notre liberté et de la paix en Europe", tout en estimant que "la capacité de défense ne peut être traitée qu'avec plus d'argent". A la place, Friedrich Merz avait défendu "la standardisation" des armes sur le continent et la création d'"un marché intérieur pour les matériels de défense européens".
Convergence avec Paris sur la dissuasion nucléaire
Un sujet qui pourrait devenir source de tensions avec Paris, d'après Hans Stark, professeur de civilisation allemande contemporaine à l'université Paris-Sorbonne. "Berlin, qui a besoin de se réarmer rapidement, est prêt à acheter américain, coréen, ou israélien et met moins l'accent sur la souveraineté industrielle que la France, car le temps presse", juge-t-il auprès de L'Express.
Friedrich Merz se montre également ouvert à "la création d'un parapluie nucléaire pour l'Europe", option qu'Emmanuel Macron avait mise sur la table en avril dernier. Cela implique de savoir "si la participation nucléaire – du moins la sécurité nucléaire – du Royaume-Uni et de la France ne pourrait pas également s'appliquer" à l'Allemagne, a-t-il avancé. "Nous sommes plus que jamais déterminés à faire de grandes choses ensemble", a en tout cas déclaré Emmanuel Macron dimanche soir.
Reste que "même en augmentant massivement les dépenses de défense (...) les Européens auront besoin de plusieurs années, voire de décennies, pour constituer une force militaire capable de remplacer les capacités de défense actuelles des Etats-Unis", estime Liviu Horovitz, du groupe de réflexion allemand Stiftung Wissenschaft und Politik, auprès de l'AFP. L'Allemagne compte actuellement 35 000 soldats américains sur son sol, soit le plus gros contingent en Europe.
Un engagement fort pour l'Ukraine
Atlantiste convaincu, Friedrich Merz "n'aurait pas cru devoir" tenir cette position ferme vis-à-vis de Washington, qu'il a justifiée par "les déclarations de Donald Trump". En quelques jours, le président américain a jugé l'Ukraine responsable du conflit, ouvert des pourparlers avec Moscou sans participation ukrainienne ou européenne et qualifié Volodymyr Zelensky de "dictateur".
"Pour obtenir une paix juste, le pays agressé doit faire partie des négociations", a estimé sur X le conservateur, appelant l'Europe à amener l'Ukraine "en position de force" dans ces discussions. Déjà, pendant la campagne électorale, il avait martelé : "Nous devons être assis à la table principale et nous devons défendre nos intérêts vis-à-vis de la Russie et de la Chine, y compris si nécessaire en nous opposant aux Etats-Unis". A l'annonce des résultats dimanche, Volodymyr Zelensky a partagé sa "hâte de continuer à travailler pour la paix et pour renforcer l'Europe" qui doit être "capable de se défendre".
Comme le souligne le centre de réflexion américain Atlantic Council, "Friedrich Merz est plus belliciste envers la Russie que l'actuel chancelier allemand Olaf Scholz". Exemple : c'est "un fervent partisan de la livraison de missiles de croisière allemands Taurus à l'Ukraine, ce que [Olaf] Scholz a toujours refusé". Le favori à la chancellerie a tout de même conditionné cet envoi à "un accord avec les partenaires européens".