Louboutin à Molitor, un chausseur sachant faire rêver
Ce mardi, au 8e étage de ses bureaux parisiens, Christian Louboutin nous présente sa nouvelle idée folle : un spectacle mêlant danse, natation synchronisée et talons aiguilles, à la piscine Molitor, en pleine Fashion Week. L'affaire est orchestrée par le photographe et réalisateur américain David LaChapelle, confortablement assis à ses côtés sur une banquette en velours. Depuis 2022, c'est le sixième « Loubishow » du Français, sorte de défilés-spectacles où sont conviés amis, people, acheteurs et médias… mais sans vêtements ! L'essentiel est ailleurs, pour le chausseur : « C'est peut-être vieux jeu, mais la mode doit donner du plaisir. Je comprends la partie business, mais pour moi, c'est le plaisir d'abord. »
David LaChapelle confirme : « C'est l'inverse d'un défilé classique avec des créations qui n'existent que sur le podium et pas dans la vie. Lui est tellement porté dans la rue, qu'il n'a même pas besoin de montrer ses produits. » Avec un chiffre d'affaires flirtant avec le milliard d'euros, celui qui, depuis 1991, a marqué au fer rouge l'industrie de la mode, peut se permettre un tel luxe. Pour la première fois, Christian Louboutin confie les clés de la direction artistique de cet événement à un autre. « J'ai eu envie de prolonger l'énergie des Jeux olympiques, et j'ai tout de suite pensé à la natation synchronisée. Je racontais ça à mon amie Daphne Guinness (performeuse et personnalité britannique, NDLR) en lui parlant d'un tableau “à la LaChapelle”. Et nous l'avons appelé dans la foulée ! »
À quelques jours du show, la piscine Molitor est déjà en ébullition. Un gigantesque mur jaune, percé d'alcôves où seront des danseurs, est plaqué à l'extrémité du bassin. Devant, on est en train de dresser un soulier monumental. Sa semelle est rouge, évidemment, son talon fidèle à la cambrure vertigineuse chère au créateur, servira de rampe de lancement à l'équipe de France olympique de natation synchronisée. La chanteuse new-yorkaise LP se produira en direct, sa voix éraillée devrait détonner avec le faste du décor. Partout autour du bassin, et dans les cabines des étages, le public sera aux premières loges… LaChapelle a pris l'idée de Christian Louboutin (« des chaussures à talon là où on les attend le moins, dans l'eau »), et en a fait un tableau maximaliste et théâtral. Ce tableau porte même un nom, « Paris is Louboutining », en référence au documentaire Paris is Burning (1991) qui dépeignait la scène Ballroom new-yorkaise. Et qui accessoirement tire le lien entre Paris et les États-Unis, entre le berceau et le premier marché (de loin) de Louboutin.
Un défilé pour le plaisir
La danse, c'est ce qui unit le chausseur et le showman depuis leurs premiers pas. Passionné de music-hall, Christian Louboutin a imaginé ses premières chaussures à l'adolescence pour des meneuses de revue qu'il admirait. LaChapelle, lui, a dès ses débuts photographié des danseuses plutôt que des modèles, quitte à le cacher aux magazines qui l'employaient. « Leur énergie est différente, plus libre », selon lui. Les deux partagent une autre passion : l'eau. De la danse dans l'eau ? Ils sont aux anges. « Nous aimons les films avec Esther Williams, Le Bal des sirènes surtout », insiste Louboutin. Pour chorégraphier les nageuses et la troupe de danseurs qui officiera hors du bassin, ils ont fait appel à leur grande amie Blanca Li. « Une vraie dream team », glisse Christian Louboutin dans un sourire. « Christian n'a pas besoin de faire un défilé, il le fait pour le plaisir, et pour faire plaisir à son public. Ça me rappelle l'unanimité qu'Antonio Lopez suscitait dans la mode grâce à sa personnalité et à son talent. Pour moi, Christian est de ce bois-là », compare l'Américain à juste titre.
Au fil des décennies, le chausseur s'est bâti une place à part dans l'industrie, toujours indépendant, toujours aussi libre et créatif. Parmi ses faits d'armes dans la mode, il a créé les souliers de l'ultime défilé haute couture d'Yves Saint Laurent en 2002, et beaucoup plus récemment, en janvier dernier, ceux du dernier show haute couture de John Galliano pour Maison Margiela, unanimement considéré comme un des plus mémorables des dernières saisons. Il soutient aussi quantité de jeunes designers. « Une jolie collection mais des chaussures qui ne tiennent pas la route, ça dévalue votre travail. Donc j'apporte ma contribution quand je peux. Des créateurs installés m'ont aidé quand j'ai débuté, c'est un juste retour des choses. »
Pilier des soirées du Palace avec ses amis Farida Khelfa, Eva Ionesco et Vincent Darré, Christian Louboutin a eu une révélation à 12 ans devant un écriteau interdisant les talons aiguilles dans un musée. Son œil et sa main s'aiguisent au fil des stages plus ou moins heureux, avant qu'il ne trouve chez Charles Jourdan, puis Roger Vivier, deux mentors qui finissent de polir son talent. Il ouvre sa première boutique à 27 ans, en 1991, rue Jean-Jacques Rousseau, à Paris (une partie de ses bureaux et une boutique y sont toujours). La sensualité et la pureté de la ligne de ses escarpins intriguent la princesse Caroline de Monaco qui achète plusieurs paires et le fait savoir. La presse s'entiche de ce nouveau chausseur qui connaît le Tout-Paris et qui a la bonne idée, un an plus tard, de rendre ses produits reconnaissables à plusieurs centaines de mètres. La légende raconte que c'est en voyant son assistante mettre du vernis rouge qu'il en a recouvert la semelle d'une chaussure. Il a dû se battre pour que cette signature visuelle reste la sienne, y compris dans les prétoires, et en a obtenu le monopole ! Cet atour flamboyant a un prix, entre 650 euros pour une paire classique et plusieurs milliers d'euros pour les pièces les plus exceptionnelles. Mais rien n'arrête ses fans (hommes et femmes) et les semelles rouges seront nombreuses ce soir à fouler les abords du bassin de Molitor. « Je sais que le public des défilés n'est pas du genre à se lâcher, mais s'ils pouvaient danser avec nous ce serait un bon début », taquine David LaChapelle. Christian Louboutin sourit, l'idée lui plaît.