«Certains se sentent ciblés par l’administration Trump» : ces chercheurs qui fuient les États-Unis pour intégrer l’université d’Aix-Marseille

James n’avait aucune intention de s’installer à Marseille il y a encore quelques mois. Certes, le chercheur américain a fait plusieurs années d’études à Nice, suffisamment pour parfaire sa maîtrise de la langue de Molière. Il a également vécu un temps à Avignon dans le cadre de son cursus professionnel et ne cache pas aimer le sud de la France. Il confesse toutefois ne connaître que très peu la cité phocéenne. Avec sa femme, il vivait une vie on ne peut plus classique comme chercheur, quelque part dans le Massachusetts.

Mais l’élection de Donald Trump est venue bouleverser les plans de James et de son épouse. Elle est chercheuse en sciences politiques. Lui est climatologue. Et tous deux voient en Donald Trump une menace pour leur avenir professionnel. «Les domaines dans lequel je travaille, à savoir le climat et l’environnement, sont visés aux États-Unis, s’alarme James. Ce sont des sujets politiquement difficiles à aborder. Il y a aussi moins de soutien financier. Je sais qu’ici, j’aurais un environnement beaucoup plus fiable pour continuer mes recherches.» James et son épouse font partie des 300 chercheurs américains qui ont candidaté à «Safe place for science» . Ce programme d’accueil de chercheurs américains voulant fuir l’administration Trump a été initié par l’université d’Aix-Marseille, il y a seulement quelques mois.

James et son épouse sont en phase finale de sélection pour signer, à la clé, un contrat de trois ans avec l’université d’Aix-Marseille. L’université leur promet un budget recherche pouvant atteindre 600.000 euros en trois ans, pour une enveloppe totale de 15 millions d’euros. Pour l’heure, 39 places sont ouvertes et les candidats viennent d’universités prestigieuses comme Berkeley, Stanford, ou Columbia, voire même de la Nasa. Bien que les sélections ne soient pas terminées, une cérémonie d’accueil de ces chercheurs américains a été organisée ce mercredi en présence de nombreux journalistes du monde entier.

En négociation avec le gouvernement

«En cette circonstance, vous êtes ici chez vous», lance le président de l’université d’Aix-Marseille, qui voit en son programme un «asile scientifique» pour des chercheurs «réfugiés» qui fuient «la censure scientifique». «Accueillir, ici, c’est permettre à la science de gagner face à l’obscurantisme», estime Éric Berton. Le président de la plus grande université francophone d’Europe y voit même un parallèle avec la Seconde Guerre mondiale. «Ce qui se joue aujourd’hui n’est pas sans rappeler une autre période sombre de notre Histoire, estime Éric Berton. Il y a plus de 80 ans, l’Amérique accueillait les chercheurs exilés, leur tendait la main et leur permit de continuer à faire vivre la science. La France sombrait à ce moment-là dans l’occupation et la répression. Et de nombreux scientifiques européens durent fuir leur pays pour continuer à travailler librement, pour sauver leurs recherches, leurs idées, parfois leur vie. Beaucoup trouvèrent refuge aux États-Unis. »

«Voici qu’aujourd’hui, dans un triste renversement de l’Histoire, ce sont certains d’entre vous, scientifiques américains, qui venez chercher en France un espace de liberté, de pensée, de recherche», poursuit Éric Berton. «Le principe de liberté académique, de même que tout le système de l’enseignement supérieur est vraiment en danger aux États-Unis», estime Brian Sandberg, un historien originaire de l’Illinois également candidat à ce programme présenté comme unique en Europe. «Certains de mes collègues chercheurs américains se sentent potentiellement ciblés par l’administration Trump.» «Dans mon institut de recherche, la plupart sont déjà partis, soupire Mary*, chercheuse spécialiste de la biologie évolutive installée dans le Wisconsin. La plupart sont au Canada mais aussi en Chine.»

«Quand j’ai vu que Trump était réélu, la première chose que je me suis dite, c’est qu’il fallait que je parte», abonde Lisa*, chercheuse en médecine légale. «J’avais déjà essayé la première fois qu’il avait été élu mais je n’avais pas pu le faire, se souvient-elle. Je travaillais déjà en collaboration avec l’université d’Aix-Marseille ces dernières années. J’adore Marseille. Et la Camargue est mon endroit préféré.» Une croix de Camargue pend au cou de la chercheuse américaine, mariée et mère de deux enfants. «Je n’ai pas envie de les élever dans un environnement hostile, poursuit-elle. Et ici, pour conduire mes travaux, ce sera beaucoup moins stressant.» La jeune femme a déjà fait appel à un professeur pour apprendre le français à ses enfants, et n’exclut pas de s’installer définitivement en France. «Mais il faut voir si mon mari sera d’accord...», sourit-elle.

Et à en croire Éric Berton, les candidatures continuent à affluer malgré la clôture officielle des inscriptions. Le président de l’université d’Aix-Marseille affirme avoir «bon espoir» pour élargir le programme à de nouveaux candidats, et discute pour cela avec le gouvernement français qui devra financer leurs arrivées éventuelles. Pour rappel, après des discussions avec Éric Berton, François Hollande avait déposé une proposition de loi ambitionnant de créer un statut spécifique de «réfugié scientifique» pour faciliter l’accueil de chercheurs américains voulant fuir les États-Unis.

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.