RECIT. Open d'Australie : blessures à répétition, dépression puis remontée au classement, Lucas Pouille, la résurrection d'un dur au mal
Il s'était fixé l'objectif de réintégrer le tableau principal de l'Open d'Australie, là où il avait atteint les demi-finales en 2019. L'objectif est donc coché pour Lucas Pouille, 104e à l'ATP, passé tout près d'une qualification grâce à son classement (101e mondial au moment du "cut", celui-ci étant à 100 cette année), mais invité par les organisateurs australiens. Cette présence au premier tour du Majeur des antipodes, où il affrontera Alexander Zverev dimanche matin, est le symbole d'une revanche pour le Nordiste de 30 ans, ex-top 10 mondial (en 2018).
Pour arriver jusqu'ici, Lucas Pouille est revenu de l'enfer. Après avoir atteint en apothéose le dernier carré de l'Open d'Australie en 2019, il met un terme à sa saison quelques mois plus tard pour une blessure au coude droit. Il n'est opéré qu'en juillet 2020, avant d'entamer une longue rééducation. Mais son retour est perturbé par son corps meurtri, cabossé de toutes parts, du dos, à l'épaule, en passant par les côtes et les abdos.
Une longue remontée de l'abîme
En juillet 2021, l'ancien numéro 1 français sort du top 100, une première pour lui depuis le printemps 2015. Un an plus tard, sa chute se poursuit au-delà du top 200, et en parallèle, arrête de nouveau sa saison, toujours enquiquiné par des blessures à répétition. À bout, il décide de "ranger les raquettes et de ne plus jamais les ressortir", confiait-il dans un entretien accordé à L'Equipe en 2023.
"Il y a une phrase qui revenait tout le temps dans ma tête, pendant et après chaque défaite, après chaque moment un peu compliqué sur le terrain : 'Qu'est-ce que tu fous là ? Qu'est-ce que tu fais sur le terrain ? Pourquoi tu joues ?'", livrait celui qui a vécu cette période comme "un engrenage". "Je m'enfonçais dans un truc glauque. (....) J'ai commencé à avoir un côté plus sombre et à entrer dans une dépression qui m'a amené, après Roland, en Angleterre, à dormir une heure par nuit et à boire seul", témoignait-il encore.
À l’époque, il n'en parle à personne dans son équipe. "Je l'ai vu se dégrader, mais sans imaginer tout cela. Lucas est un taiseux, perfectionniste, très dur au mal, qui va loin dans l'effort, avec une grande force de travail et de courage", glisse Olivier Choupeau, son kinésithérapeute historique, qui le connaît depuis ses 18 ans, et qui apprendra ce qu'il a vécu dans la presse. "Je n'en parlais pas et c’était aussi l'erreur, c’était de ne pas en parler assez vite", reconnaissait d'ailleurs l'intéressé à Brut en mai 2023, regrettant de ne pas avoir vu "quelqu’un tout de suite" pour l’aider "à surmonter ça".
Le déclic du retour à Bercy
Après avoir touché le fond, Lucas Pouille, qui a été contraint de repasser par le circuit secondaire, entame une folle remontée à travers les méandres du classement et renoue avec le top 100 à l'automne 2024. Le déclic a lieu à la fin de l'année 2022, quand Pierre-Hugues Herbert, vainqueur de cinq titres du Grand Chelem en double, l'appelle pour taper la balle avec lui, à l'occasion du Rolex Paris Masters. Sans rien en attendre, Lucas Pouille, qui n'avait même plus de raquette, se surprend à "prendre plaisir à jouer".
Au même moment, l'hommage rendu à Gilles Simon à Bercy pour sa fin de carrière est l'élément déclencheur. "Ça m'a fait un peu mal de me dire que je ne vivrais plus jamais ça, que je n'aurai plus jamais ces frissons sur le terrain, cette adrénaline qu'on peut ressentir, avoue le joueur à Brut. Et à ce moment-là, je me suis dit : 'Allez, repart, parce que ces émotions te manquent et ce serait dommage de terminer là-dessus'". "Bercy a été un déclic", confirme son entraîneur Enzo Py.
"Autrement, quand allait-il retrouver le public français ? Autour d'un trophée et d'un film hommage de deux minutes où tout le monde l'applaudit ? C'est très mal connaître Lucas. Il en avait encore sous la pédale."
Enzo Py, entraîneur de Lucas Pouilleà franceinfo: sport
Pour l'accompagner dans ce nouvel objectif, Lucas Pouille propose à son ami de longue date de devenir son entraîneur. "Il m'a dit : 'Je reprends. Est-ce que tu es libre les deux premières semaines de janvier pour aller sur une tournée Challenger en Thaïlande ? J'aimerais bien que tu viennes avec moi'", raconte Enzo Py. Ni une ni deux, l'aventure "Pypouille" est lancée [contraction de leurs deux noms de famille, qui étaient annoncés de cette manière par les arbitres quand ils jouaient ensemble les doubles juniors].
Une reprise semée d'embûches
Mais le chemin s'annonce long et sinueux. "Il avait arrêté pendant huit mois. On partait de très loin parce qu'il n'était plus entraîné du tout, ni physiquement, ni tennistiquement. On ne savait pas du tout où est-ce qu'il en était", se souvient son coach. Une seule chose est certaine : son envie et sa motivation de retrouver la compétition, avec en ligne de mire les Jeux olympiques de Paris 2024 [qu'il ne jouera finalement pas].

Mais la reprise est entachée par le retour des blessures. "Il ne fait pas une saison pleine, pointe Enzo Py. Le sentiment qui domine à l'issue de cette première année est que nous n'avons pas pu avoir un réel scanner de ce qu'est devenu Lucas Pouille." En mai 2023, il tombe à la 675e place mondiale, son pire classement depuis onze ans. La reprise n'est pas au beau fixe, mais Roland-Garros 2023 signera une parenthèse enchantée pour lui, qui sort des qualifications, et passe un tour du tableau principal (défaite face au Britannique Cameron Norrie).
À chacun de ses passages, que ce soit sur le court 14 ou le Suzanne-Lenglen, le public entre en communion avec le Français. De quoi lui donner les frissons. "Roland-Garros a été la touche bonheur de l'année, c'était magique", se souvient Enzo Py. "Il exprime peu de choses, mais quand il rayonne de joie, cela se voit, et là il était heureux de partager ces belles émotions avec le public de Roland-Garros", se remémore à son tour son kinésithérapeute de toujours, Olivier Choupeau.
"À l'issue de ce Roland, je me dis qu'il en a encore dans la raquette", est persuadé Enzo Py. Mais une fois la parenthèse parisienne refermée, la réalité le rattrape de nouveau. Au troisième tour des qualifications de Wimbledon, il déclare forfait, blessé au dos. Une nouvelle fois à l'arrêt, il reprendra sa raquette en septembre.
2024, la remise sur les rails
Le nouveau cap est donc mis sur 2024. "Une très bonne année, mais pas épargnée par les blessures", résume Enzo Py. Sorti des qualifications, il abandonne en finale du Challenger de Nonthaburi (Thaïlande) après des douleurs au dos. "On reprend en février. C'est très dur car il n'y avait pas de rythme, se souvient Enzo. Pour autant, je sens qu'il n'est pas loin, il ne lui manque que du volume d'entraînement".
Le coach a vu juste. En mai, il remporte son premier titre depuis 2019 au Challenger de Mauthausen (Autriche). Il enchaîne avec un troisième tour à Wimbledon après être sorti des qualifications (il abandonne après avoir contracté une blessure aux abdominaux).
Il atteint ensuite la finale du Challenger de Saint-Tropez en septembre, puis remporte le titre à Mouilleron-le-Captif (Challenger) le 6 octobre, où il enchaînera avec une finale à Saint-Brieuc la semaine suivante. "On sent qu'il n'est pas au classement qu'il veut, qu'il ne développe pas la qualité de tennis qu'il veut. Mais il n'a jamais été aussi près de la développer", estime son entraîneur.
"Quelque chose se dégage. Depuis trois ans, il n'a jamais aussi bien joué au tennis."
Enzo Py, entraîneur de Lucas Pouilleà franceinfo: sport
"À ce moment-là, je me dis : 'L'année prochaine, c'est sûr, on ne va pas en Thaïlande'", sourit Enzo Py. Et pour cause, Lucas Pouille vient de réintégrer le top 100. "C'était une première grosse étape, on y a tous collectivement laissé des plumes. Mais aujourd'hui, il a réussi ce qui était un énorme défi, c'est-à-dire rebondir en tant que sportif et en tant qu'homme. Mais personne n'est surpris", assure Enzo Py. "Sa coupure avec le tennis lui a permis de découvrir qui il était en tant qu’homme, plus seulement en tant que joueur", poursuit son entraîneur, qui se projette désormais vers l'après : "Il a retrouvé le top 100, sans faire une année complète. Maintenant, il faut qu'il intègre le plus vite possible le top 60."
"Il appartient au circuit principal"
Le tableau principal de l'Open d'Australie devient alors accessible, mais une blessure au poignet le contraint à s'arrêter en fin d'année. Pendant ces dernières semaines, les joueurs qui le talonnent grappillent des points pour lui passer devant au classement, lui faisant rater la qualification à Melbourne. Qu'importe, la wild-card (invitation) lui permet d'assurer sa place. "J'ai toujours été convaincu qu'il avait le niveau pour jouer le circuit principal, pour s'y exprimer pleinement. Par sa qualité de jeu, il appartient au circuit principal", souligne Enzo Py, qui ne le voit nulle part ailleurs.
"Je n'ai jamais douté de lui. C'est dur de revenir. Cela demande des sacrifices énormes. Il a toujours trouvé les ressources pour y retourner. Lucas est capable de tout."
Olivier Choupeau, kiné de Lucas Pouilleà franceinfo: sport
Avec ce tableau principal en Australie, 2025 s'ouvrirait ainsi sous de meilleurs auspices ? D'après le clan Pouille, les voyants sont enfin au vert. "Il est mieux que lors de ces trois dernières années. S'il y a une année qui va compter, c'est celle-là. Je ne serai pas surpris de le voir revenir dans le top 50", assure Olivier Choupeau. Un état de forme qu'a confirmé Lucas Pouille à la veille de son entrée en lice, samedi 11 janvier, même si sa préparation a été perturbée par une blessure au poignet droit.
"Je pense que mon niveau de jeu sur la fin de l'année était très bon et est proche d'un niveau top 30. Maintenant, pour atteindre ce classement-là, il me faut une année complète, sans blessure [il n'a joué que 20 tournois en 2024]. Je vais donner le maximum avec l'objectif de me rapprocher des 50 premiers." Et la tâche s'annonce immense dès dimanche, puisque le Tricolore affrontera dès son premier tour, le numéro 2 mondial, Alexander Zverev.