Anthony Vaccarello: «J’ai imaginé une rencontre entre Robert Mapplethorpe et Yves Saint Laurent»

Et à la fin, c’est Saint Laurent qui gagne. Après deux semaines de défilés masculins à Milan puis à Paris, de propositions à boire et à manger, de beau et de moins beau, Anthony Vaccarello met tout le monde d’accord. On pourrait vous parler, en préambule, de ce défilé tenu secret (de polichinelle) jusqu’à il y a quelques jours. De la Bourse de Commerce qui, entre deux expositions, a été rhabillée de parquet Versailles. Des lustres de chandeliers trônant au milieu de la rotonde, clin d’œil aux défilés d’Yves à l’hôtel Intercontinental. De David Cronenberg, Jim Jarmusch et Charlotte Gainsbourg, entre autres noms de ce casting chicissime, comme toujours dans la maison...

Manteau piqué de plumes de coq passé sur un smoking Alessandro Lucioni

Parlons plutôt souliers. Ou plutôt, cuissardes puisque ce sont des bottes en cuir noir montant jusqu’à mi-cuisses, qui signent l’allure de l’homme Saint Laurent de l’hiver prochain. Une manière de propulser un complet on ne peut plus classique, et le garçon qui le porte, dans une autre dimension, dans un univers louche, interlope, subversif. C’est clivant, oui. C’est le but : Vaccarello n’aime rien tant que chercher cette tension qui provoque la réaction, loin de l’eau tiède dans laquelle certains de ses congénères aiment nager. « Cette saison, j’ai imaginé une rencontre entre Robert Mapplethorpe et Yves Saint Laurent, deux hommes que j’admire, raconte Anthony Vaccarello en coulisses. Tout est parti d’une campagne que Mapplethorpe avait shootée pour la maison en 1983, période durant laquelle M. Saint Laurent combattait ses addictions. D’où cette tension entre les costumes tirés à quatre épingles, ces imprimés classiques, très rive gauche, avec ce cuir sulfureux.»

Du cuir entre Belle de Jour et Mapplethorpe Alessandro Lucioni

Ces costumes, justement. Avec leur carrure années 1980, l’échancrure basse, leur pantalon ample léchant le sol et leurs tissus épais (flanelle, tweed, écossais), on les croirait droit sortis de la garde-robe d’un yuppie. D’un chic remarquable, ils ravivent une élégance très française, portés avec une chemise à rayures banquier et une cravate club, passés sur un col roulé, glissés sous un blouson en cuir (sublime), un grand trench ou un pardessus piqué de plumes à l’esprit couture. À la fois parfaits pour les tapis rouges (Vaccarello et Saint Laurent, qui ont coproduit Emilia Perez, seront bientôt sous le feu des projecteurs aux Oscars) et désirables dans la «vraie» vie.

Carrure années 1980, échancrure basse et pantalon ample pour yuppie d’aujourd’hui Alessandro Lucioni

Difficile de ne pas voir, comme en mars dernier, les fantômes du fondateur et de Patrick Bateman, le héros d’American Psycho, traverser ce vestiaire d’une sophistication à la perversité assumée. « Chez Saint Laurent plus qu’ailleurs, il est important d’affirmer des codes, reconnaît Anthony Vaccarello. Je raconte la même histoire, je parle de la même personne. Je ne supporte pas qu’on passe d’une chose à l’autre chaque saison comme le font d’autres. Saint Laurent traverse les périodes, et mon travail doit être une évolution, pas une révolution. Je veux aussi raconter mon époque, qui est plutôt sombre et fait écho aux années 1980 qu’a vécues Mapplethorpe.»