«Sortir cet emblème de la boue des tranchées» : aux Invalides, le Bleuet de France inaugure un atelier éphémère pour son centenaire

Sous la lumière voilée d’un ciel d’automne, les grilles bleues et or de la Cour des Invalides s’ouvrent à une petite foule parée de bleuets cartonnés. Elle répond à l’invitation de l’Œuvre nationale du Bleuet de France, qui, à l’occasion de son centenaire, a inauguré mercredi 5 novembre un atelier éphémère pour enfants. Là, dans un abri vitré de 25 m², les enfants et les curieux sont invités à confectionner leur propre bleuet. Rare pousse dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, la fleur bleue emblématique et les dons qu’elle charrie adoucissent toujours le quotidien des soldats blessés. Une invitation à porter la mémoire combattante au-delà des souvenirs de la Grande Guerre.

Le geste perdure

Pendant l’entre-deux-guerres, sous la direction de deux infirmières, Charlotte Malleterre et Suzanne Leenhardt, les pensionnaires des Invalides confectionnaient des bleuets pour retrouver une activité et un complément de revenu. Un siècle plus tard, le geste perdure. Ce 5 novembre, uniformes gris bardés de médailles et costumes de circonstance se pressent dans un abri vitré bondé, dominé par le bleu outremer.

L’abri de 25m2 qui accueille l’atelier éphémère Paul de Breteuil
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Les drapeaux tricolores tapissent le mur du fond. Derrière le comptoir et ses boîtes de pétales cartonnés et d’épingles, s’activent les bénévoles de l’association Vétérans Opex. Ils aideront les plus jeunes à assembler leur propre bleuet. Quotidiennement, excepté le dimanche, et jusqu’au 20 novembre, l’atelier accueillera son public. Les emblèmes ont été confectionnés dans l’Allier, plus précisément par l’ESAT de Creuzier-le-Neuf, un établissement qui emploie des travailleurs en situation de handicap. Au-delà des Invalides, les bleuets seront distribués dans tout le pays en commémoration du 11 novembre. En échange de ces derniers, les deniers récoltés aideront les 25.000 bénéficiaires que soutient l’Œuvre : soldats blessés, familles endeuillées, pupilles de la Nation et victimes d’actes terroristes .

L’idée d’organiser cet atelier est une nouveauté. Elle vient de l’ancienne ministre déléguée chargée de la Mémoire des Anciens combattants, Patricia MirallèsAlice Rufo lui a succédé depuis. Elle est présente pour l’inauguration. S’écartant de ses notes, la ministre parle d’«une histoire magnifique». Le bleuet lui évoque Brassens et sa chanson «une jolie fleur», qui «mène par le bout du cœur». «Dans le contexte international que nous traversons, le bleuet est probablement ce qui nous rassemble le plus», reprend-elle. Pendant la Grande Guerre, les bleuets et les coquelicots n’ont jamais cessé de pousser dans la terre meurtrie d’obus. En hommage à leurs soldats, les Britanniques revêtirent le coquelicot, les Français le bleuet. «C’est un symbole de résilience, d’espoir, de cohésion, explique la ministre. Et nous avons besoin de cette unité.»

Les bénévoles de l’association Vétéran Opex s’activent derrière le comptoir Paul de Breteuil

Acte de mémoire et reconstruction

Les prises de parole s’enchaînent, sans fioritures. «Chaque bleuet sera un acte de mémoire», croit Patrick Remm, président de Bleuet de France. À ses côtés, le général René Peter, président de la Fédération nationale André Maginot (FNAM), salue l’esprit de solidarité qui a traversé le siècle.

Un esprit qu’entend diffuser Pierre-Emmanuel de Laforcade, le directeur général de Bleuet de France. «Longtemps, seuls les militaires français portaient le bleuet en mémoire des poilus». Le Royaume-Uni, qui confectionne chaque année 40 millions de coquelicots, donne corps au rêve du Bleuet de toucher un public élargi, plus soucieux encore du sort de ses soldats. «Il faut sortir le bleuet de la boue des tranchées», formule le directeur général.

Boîtes de pétales cartonnés et d’épingles permettront aux enfants d’assembler leur propre bleuet Paul de Breteuil

Au-delà de la volonté de conserver le souvenir des tranchées, celle de ne pas ignorer la chair meurtrie de ceux que la France déploya les dernières décennies. Ex-lieutenant du 1er régiment de parachutistes d’infanterie de marine (RPIMA), César est tétraplégique depuis un accident dans le Sahel en 2012. Un accident qui n’a en rien entamé la volonté de servir de cet ancien des forces spéciales. «Je me suis reconstruit en plusieurs temps», témoigne-t-il. «D’abord, j’ai dû me réhabituer à mon nouveau corps, ensuite j’ai voulu reprendre un emploi. Je voulais continuer à travailler pour mes camarades sur le terrain». En parallèle, César s’épanouit dans le tir sportif. Le Bleuet de France a contribué à lui financer une nouvelle carabine qui lui a permis de remporter le championnat de France de la Fédération des Clubs de La Défense.

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«On est une minorité de jeunes à s’intéresser aux questions de défense, mais on existe»

En s’adressant à un public rajeuni, Bleuet de France et les associations de combattants espèrent aussi éveiller des vocations au service du pays. «Je sens un engouement de la jeunesse pour les questions de Défense», abonde la ministre déléguée Alice Rufo, citant la recrudescence des demandes pour intégrer les classes défense. «J’ai l’impression que le contexte international et les questions mémorielles sont importants pour la jeunesse», se réjouit-elle.

Alice Rufo pose aux côtés des cadets de la Garde républicaine Paul de Breteuil

Un engouement que partage Émilie. Étudiante en histoire à la Sorbonne et membre de l’association Sorbonne Défense, elle participe à la collecte de dons. «Personne dans ma famille n’est militaire, mais j’ai toujours été attirée par la Défense», confie-t-elle. «Depuis toute petite, j’ai ce sentiment de fierté pour mon pays, cette envie de contribuer à quelque chose de plus grand que moi». Pour Émilie, le bleuet est bien plus qu’un symbole : «C’est un moyen de rassembler, de montrer qu’on peut s’engager sans être catégorisé. Beaucoup de jeunes ont une image négative de l’armée, parce qu’ils ne la connaissent pas. Ils se contentent des clichés qu’ils voient sur les réseaux.», regrette-t-elle. «On est une minorité de jeunes à s’intéresser aux questions de défense, mais on existe.»

En face de la Cour des Invalides, le rond-point du Bleuet de France donne sur les tilleuls et le pont Alexandre III. Paul de Breteuil