Manuel Valls : «Voulons-nous aussi dissoudre l’effort inédit engagé pour la Nouvelle-Calédonie et les Outre-mer ?»

Depuis plus d’un mois, les soubresauts gouvernementaux concentrent toute l’attention médiatique et politique. Réduit à un rôle d’observateur désenchanté, dépité et exaspéré, le peuple devient un acteur oublié de la vie politique.

Détenteur de la souveraineté et délégant du contrat social, il devrait être au cœur de toutes les négociations actuelles. Son intérêt devrait guider tous les acteurs politiques. Pourtant, si tout le monde s’en sert, plus grand monde ne le sert.

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Je sais d’expérience ce que représentent le poids, l’influence et la pression des indiscrétions, des alertes infos, des chaînes d’information en continu. Je sais combien elles peuvent parfois aveugler et détourner, sans le vouloir, de l’intérêt des Français.

Je veux essayer de nous ramener collectivement sur terre et plus particulièrement, du fait de mes fonctions actuelles, sur des terres éloignées de l’hexagone qui attendent beaucoup de l’État.

Lorsque j’ai parlé, il y a plusieurs semaines déjà, d’un risque de « suicide collectif », je ne visais pas seulement le personnel politique. Lorsque j’appelle à éviter la dissolution et la possible victoire de l’extrême droite, ce n’est pas par principe ou pour défendre des places, des postes et des intérêts autres que ceux des Français, encore moins parce que j’aurais peur du peuple.

Je veux éviter la dissolution notamment parce qu’elle empêcherait de mener à terme tous les chantiers engagés pour les 2,8 millions de nos compatriotes ultramarins. Voulons-nous vraiment dissoudre l’effort engagé pour nos Outre-mer depuis plus de 9 mois ?

Provoquer une dissolution, ce serait d’abord hypothéquer l’avenir de la Nouvelle‑Calédonie, érigée désormais en priorité par le premier ministre et les présidents des assemblées. La situation dans cet archipel de l’océan Pacifique, inscrit dans la mémoire collective et la conscience politique des Français, reste un sujet de préoccupation majeure. Après les violences de mai 2024, qui ont fracturé la société calédonienne et amplifié le marasme économique et financier, un nouvel accord global, porteur de stabilité a été signé le 12 juillet 2025, l’accord de Bougival.

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Pour le traduire juridiquement, il faut maintenant que le Parlement se saisisse d’une proposition de loi organique pour reporter les élections provinciales, et d’un projet de loi constitutionnelle. La dissolution empêcherait d’avancer, voire conduirait à remettre en cause l’accord. Elle serait aussi un frein à la reconstruction économique, sociale et financière et elle mettrait en cause les projets de reprise des usines qui exploitent le nickel. Le risque que la Nouvelle‑Calédonie replonge dans le chaos et la violence serait alors immense.

Provoquer une dissolution, ce serait ensuite sacrifier la refondation de Mayotte. Depuis plus de 9 mois, nous avons engagé un effort inédit pour cet archipel de l’océan Indien, frappé de plein fouet par le cyclone Chido en décembre 2024 et fragilisée de longue date par un sous-développement de ses infrastructures et par une immigration incontrôlée. Deux lois ont été adoptées pour accompagner la reconstruction et engager la refondation du territoire, programmant près de 4 milliards d’euros de crédits sur 6 ans. La dissolution et l’absence de budget pourraient empêcher de traduire ces engagements dans les faits, au sein de la loi de finances.

Les Outre-mer n’ont pas besoin seulement de gestion administrative, mais de transformation politique. C’est une tâche qui ne peut tolérer l’instabilité, l’absence de budget et la perte de temps que provoquerait une dissolution.

Manuel Valls

Provoquer une dissolution, ce serait aussi laisser la vie chère continuer à étrangler nos compatriotes ultramarins. En 9 mois, nous avons avancé. Le protocole d’objectifs et de moyens martiniquais a poursuivi sa mise en œuvre, conduisant à des baisses de prix non négligeables. J’ai également pris trois décrets et une circulaire pour renforcer le pilotage et la priorité donnée à la lutte contre la vie chère et à la transformation économique. Surtout, nous avons présenté un projet de loi sur le sujet en Conseil des ministres. La dissolution empêcherait l’examen de ce texte essentiel et extrêmement concret dans ces territoires où les écarts de prix avec l’hexagone atteignent parfois plus de 40 %.

Provoquer une dissolution, ce serait également fragiliser la lutte contre le narcotrafic qui gangrène particulièrement les Antilles, la Guyane, mais aussi de plus en plus La Réunion. Ce fléau menace de faire s’effondrer ces sociétés.

Ce serait, enfin, remettre en cause les efforts que nous menons au niveau européen pour que les spécificités des territoires ultramarins soient mieux prises en compte par le droit communautaire, à travers une adaptation des normes qui permettrait une meilleure intégration dans leur espace régional.

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Plus fondamentalement, ce serait interrompre un travail essentiel pour repenser notre rapport entre l’Hexagone et la France des océans, ce que j’ai appelé la démétropolisation. Comme ancien premier ministre et ministre d’État, j’ai pu aller au-delà de la gestion de politiques publiques et commencer à bousculer certains conservatismes. Pour le passé, je souhaite que le devoir de mémoire reste une priorité, c’est pourquoi j’ai, par exemple, accéléré le projet de mémorial des victimes de l’esclavage, engagé par le président de la République. Pour l’avenir, j’ai voulu dire qu’il fallait désormais que ces territoires, qui nous font rayonner, doivent aussi rayonner par eux‑mêmes et pour eux‑mêmes. Cela signifie aussi que chaque territoire doit être regardé avec ses spécificités et que l’aspiration institutionnelle, notamment celle de l’autonomie, doit être entendue.

Le 30 septembre, Emmanuel Macron m’a confié la tâche de constituer des groupes de travail avec les territoires qui ont des projets précis sur la table : Guyane, Martinique et Guadeloupe notamment. Si j’invite les élus à poursuivre ces processus, les affaires courantes les suspendent de facto.

Bien entendu, la continuité de l’État est assurée par l’administration. Les préfets et les administrations parent au plus urgent. Mais les Outre-mer n’ont pas besoin seulement de gestion administrative, mais de transformation politique. C’est une tâche qui ne peut tolérer l’instabilité, l’absence de budget et la perte de temps que provoquerait une dissolution. Quant à son issue, ni la France en général, ni nos compatriotes ultramarins en particulier n’ont un quelconque intérêt à une victoire du Rassemblement national au regard de son histoire, de son programme et de sa vision du monde.