Riposte israélienne en Iran : ce que contiennent les documents secrets américains qui ont fuité
L’administration Biden est dans l’embarras depuis la publication, le 18 octobre sur Telegram, de deux documents classés "top secret" sur les préparatifs présumés de l’armée israélienne en vue d’une riposte contre l’Iran au tir de près de 200 missiles balistiques sur l’État hébreu début octobre 2024.
Lundi 21 octobre, John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, a fait part de la préoccupation du président Joe Biden concernant "toute fuite d'informations classifiées dans le domaine public".
"Cela n'est pas censé se produire et c'est inacceptable lorsque cela se produit", a-t-il ajouté devant la presse, avant de préciser que le Pentagone étudiait la question et que l'on ignorait s'ils avaient fuité ou avaient été piratés. Selon John Kirby, les autorités n'ont aucune indication à ce stade que "d'autres documents similaires se retrouveraient dans le domaine public".
"Le FBI enquête sur la fuite présumée de documents classifiés et travaille en étroite collaboration avec ses partenaires du ministère de la Défense et de la communauté du renseignement", a indiqué de son côté le FBI américain, mardi 22 octobre, dans un communiqué diffusé par le Washington Post.
Une fuite sur une chaîne Telegram
Les deux documents, datés des 15 et 16 octobre, ont commencé à circuler en ligne vendredi après avoir été publiés sur Telegram par un compte appelé "Middle East Spectator". Dans un communiqué de presse, cette chaîne affirme avoir récupéré les documents après avoir appris qu’ils circulaient, en amont, dans un groupe privé sur Telegram.
La chaîne précise n'avoir "aucun lien avec la source originale, que nous supposons être un lanceur d'alerte au sein du ministère de la Défense des États-Unis", ont précisé ses administrateurs. Dans une déclaration antérieure, la chaîne, qui compte plus de 171 000 abonnés, avait déjà indiqué qu'elle ne connaissait pas l'identité de l'auteur de la fuite.
À lire aussiPour Israël, la dangereuse tentation de viser le nucléaire iranien
"Middle East Spectator" est décrit par plusieurs médias américains – dont le site Axios, le premier à avoir révélé la fuite le 19 octobre –, comme étant "affilié à l’Iran". Ce que ses administrateurs réfutent.
Ils ont déclaré, dimanche dans un communiqué, que le canal n'était pas lié à l'Iran et qu'il était géré par une "équipe soudée de journalistes totalement indépendants". Dans ce texte, l’État hébreu est néanmoins qualifié d’"entité sioniste" – expression notamment utilisée par Téhéran et ses alliés régionaux, dont le Hezbollah – et se conclut par "Free Palestine" ("Palestine libre").
Deux documents de la NGA
Attribués par le New York Times à la National Geospatial-Intelligence Agency (NGA), l'agence américaine qui recueille, analyse et distribue les renseignements obtenus par imagerie satellitaire et aérienne, ces documents ont été authentifiés par le Pentagone. Ce dernier a indiqué qu'il menait une enquête sur l'origine des fuites, ajoutant que "les dommages causés à la sécurité nationale semblent limités".
Ne contenant aucune image satellite, les deux textes sont estampillés "top secret", soit le niveau le plus élevé de la classification de sécurité américaine, et portent des inscriptions stipulant qu'ils ne peuvent être consultés que par les membres de l’alliance "Five Eyes" – les "cinq yeux". Cette dernière rassemble cinq pays anglo-saxons (Royaume-Uni, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande, en plus des États-Unis) coopérant étroitement dans le domaine du renseignement militaire.
"Toutefois, le formatage distinctif des documents par les États-Unis indique qu'ils n'ont probablement pas encore été diffusés aux quatre autres alliés ou que les autres pays sont la source probable de la fuite, estime le journal israélien Haaretz. Il ne reste donc plus que le gouvernement américain [comme origine probable de la fuite, NDLR]."
Le premier document, intitulé "Israël : l’armée de l’air poursuit les préparatifs d’une frappe contre l’Iran et mène un deuxième exercice d’engagement de forces importantes", fait état de l’observation d’exercices de l’armée israélienne employant des missiles balistiques (ALBM) et des missiles sol-air (SAM), des avions de chasse, des drones et des avions-ravitailleurs.
Certains de ces appareils ont été utilisés le 29 septembre lors de raids israéliens sur des sites contrôlés par les rebelles houthis au Yémen, "selon l’analyse des images".
Le second est intitulé "Israël : l’armée poursuit la préparation des munitions clés et l’activité secrète des drones presque certainement en vue d’une frappe sur l’Iran". Il décrit la manière dont l’armée israélienne compte déplacer ses missiles, ses munitions et son arsenal au cas où l'Iran riposterait aux frappes israéliennes.
"Nous ne pouvons pas prédire avec certitude l'ampleur et la portée d'une frappe sur l'Iran, et si une telle frappe peut se produire sans autre avertissement GEOINT [renseignement géospatial, NDLR]", est-il notamment écrit. Dans une autre observation, il est précisé que "la dispersion des MRBM [missiles balistiques à moyenne portée, NDLR] est presque certainement défensive, nous n'avons pas observé d'indications selon lesquelles Israël aurait l'intention d'utiliser une arme nucléaire"... Une formulation qui reconnaît l’existence de l’arsenal nucléaire d'Israël, que ni les États-Unis ni le gouvernement israélien n'ont jamais reconnu publiquement.
Une fuite qui interroge
L’enquête du FBI devra répondre aux nombreuses questions que pose cette fuite, qu'elle soit l'œuvre d’un lanceur d’alerte, d’un hacker ou une fuite délibérée orchestrée à un haut niveau. Comment les documents ont été obtenus, qui y a eu accès avant qu'ils ne soient publiés en ligne, y a-t-il d’autres documents compromis ? Ces fuites sont-elles destinées à faire pression sur le gouvernement israélien, à intimider l’Iran ou à déstabiliser l’administration Biden à moins de deux semaines de la présidentielle ?
"Une chose semble claire : la plateforme choisie [le compte Telegram] indique qu'il ne s'agit probablement pas d'une fuite délibérée des États-Unis pour faire pression sur Israël ou alerter l'Iran, estime de son côté Haaretz. Il existe d'autres moyens plus sophistiqués et de meilleurs débouchés pour ce faire."
À lire aussiQuand Washington peine à calmer les ardeurs d'un Netanyahu va-t-en-guerre
Pour le New York Times, si elles révèlent, "une fois de plus, le degré d'espionnage des États-Unis à l'égard de l'un de leurs plus proches alliés", ces fuites "offrent une fenêtre sur les vives inquiétudes des Américains concernant les projets d’Israël".
"Tous ceux qui ont accès à ces informations ont l'obligation d'en assurer la sécurité", a déclaré à ABC News Mick Mulroy, un ancien sous-secrétaire-adjoint à la Défense pour le Moyen-Orient passé par les rangs de la CIA. Les militaires israéliens "qui mèneront à bien cette mission pourraient être compromis à cause de cela, et la coordination future entre les États-Unis et Israël pourrait également être remise en question".
"La confiance est un élément clé de la relation [entre les deux pays, NDLR] et, en fonction de la manière dont la fuite a eu lieu, cette confiance pourrait être érodée", a-t-il ajouté.
Alors que les relations entre le Premier ministre israélien et l’administration Biden sont tendues, Benjamin Netanyahu avait affirmé le 15 octobre que son pays déciderait seul des éventuelles cibles à frapper en Iran, après des appels du président Joe Biden à épargner les sites pétroliers et nucléaires de la République islamique.