«Underconsumption core» : quand la Gen Z appelle sur les réseaux sociaux à moins consommer
«Tous mes vêtements sont vintage ou issus de la seconde main. Je n’achète plus de maquillage avant que tous mes produits soient finis et les produits frais c’est tous les 5 jours, comme ça, je ne gâche jamais de nourriture». Dans une vidéo TikTok, l’influenceuse texane Caroline Candace détaille son mode de vie à ses 24.000 abonnés. Un mot d’ordre: «underconsumption core», un nom qui peut paraître barbare pour un concept finalement assez simple. Sur les réseaux sociaux, la terminaison « core » décrit une esthétique partagée par les utilisateurs, le « cottage core » désigne par exemple un train de vie à la campagne, entouré de fleurs et d'animaux. En français, l’underconsumption core pourrait donc se traduire par l’esthétique de la déconsommation, ou de la décroissance, qui prône un mode de vie plus sobre et des achats raisonnés.
Les internautes adeptes de ce mode de vie se targuent de continuer à utiliser des articles qu'ils possèdent déjà, de porter des vêtements jusqu’à l’usure au lieu d'en acheter de nouveaux, économisant donc de précieux dollars. Une attitude en rupture avec ce qu’il est habituel de voir sur la plateforme chinoise, où les «hauls Shein», les déballages de colis Amazon et vidéos sponsorisées se comptent par milliers. Désormais, les vidéos invitant à la sous-consommation s’accumulent, quitte à devenir le nouveau filon pour faire «buzzer» les vidéos sur TikTok.
Sobriété, minimalisme et désinfluence
L'une des premières à utiliser le terme « underconsumption » sur TikTok est Maya Feldman, une Allemande de 18 ans. Dans une vidéo datant de juillet, elle montre un vieux sèche-cheveux qu'elle utilise encore, des habits qu’elle porte depuis le collège et des jeans troués au fil du temps. Très vite, sa vidéo devient virale et grimpe jusqu’à 2,3 millions de vues. Dans les commentaires, de nombreux utilisateurs indiquent mener un style de vie similaire, et d’autres avouent qu’elle les a motivés à faire plus attention à leurs dépenses. « Je n'avais pas grand-chose quand j'étais enfant, et j’ai vite compris que ce n’était pas bien de jeter des objets parfaitement utilisables », explique l’influenceuse à la chaîne américaine CNBC.
Dans une autre vidéo, l’influenceuse Devamsha Gunput détaille, comme dans un journal de bord, son chemin vers la sous-consommation. La jeune femme passe en revue tous ses achats inutiles, compactés dans trois grands sacs-poubelle et un sac de course, dont l'un est « entièrement rempli de chaussures », précise-t-elle. «Il y a des produits que j’ai achetés sur Ebay en 2011 avec la toute première paie de mon premier job. Il y a des choses dont je n’ai même pas essayé de me débarrasser ou de vendre, soit parce que j’y suis émotionnellement attachée ou juste parce que je suis paresseuse ».
Ce mode de vie, s’il est louable, n’est pourtant pas nouveau et ressemble à une réinterprétation du minimalisme (la philosophie de se se recentrer sur l’essentiel, notamment en attachant moins d’importance aux objets). Une adaptation, aussi, d’autres courants qui ont gagné en popularité ces derniers mois comme le «loud budgeting». L’idée: être prudent avec ses dépenses, surveiller son budget et ne pas s'en cacher. «Ça ne veut pas dire: ’je n’ai pas assez d’argent’, mais plutôt ’je ne veux pas dépenser pour rien’. Si votre ami vous propose d’aller boire un verre, répondez-lui que vous préférez garder votre argent pour de l’essence plutôt que pour l’écouter parler de son ex pendant 3 heures» explique ainsi l’influenceur Lukasbattle sur TikTok.
Le concept de « de-influencing » (la «désinfluence»), où un créateur conseille à sa communauté de ne pas acheter certains produits, a également fait grand bruit. Tant de concepts différents pour une critique en symbiose: lutter contre la surconsommation. Sur Google, les recherches associées à la «sous-consommation» ont connu un pic cet été aux États-Unis.
«Burn-out financier»
Cette tendance américaine est fortement liée à la conjoncture économique du pays. Si cet été, l'inflation a ralenti (à 2,9 % en juillet, soit son plus bas niveau depuis mars 2021), les jeunes adultes souffrent de la flambée des prix depuis la pandémie de Covid-19 et d’un taux de chômage de 9,1% selon Trading Economics. «Quand on essaye constamment de vous vendre quelque chose et que les prix ne font qu'augmenter, vous finissez par faire un burn-out financier», appuie ainsi Kara Perez, influenceuse américaine spécialisée dans les questions financières et écoresponsables, à l’AFP.
Utiliser de vieilles serviettes comme torchons, récupérer les meubles de ses grands-parents, porter les mêmes chaussures depuis 2 ans… n’est-ce pas quelque chose de déjà très répandu? Ce qui s’apparente à de la sous-consommation dans certains pays comme les États-Unis, s’avère souvent être un rythme d’achat tout à fait modéré dans d’autres régions du monde. Tout est une question de perception.
Impossible, aussi, d’occulter que ces vidéos peuvent provoquer l’inverse de l’effet escompté. En présentant des articles de maquillage, des vêtements ou des meubles, ces influenceurs peuvent pousser les internautes… à vouloir faire du shopping. Bien loin de déranger TikTok, Instagram ou même WhatsApp, qui, avec leurs fonctionnalités de commerce en ligne, offrent une vitrine idéale aux marques désireuses de promouvoir leurs nouveaux produits.
Qu'il s'agisse d'une prise de conscience écologique ou d'un besoin de préserver son pouvoir d'achat, ces tendances sont souvent éphémères et disparaissent après quelques mois d'engouement. Pourtant, l'underconsumption continue de séduire de plus en plus d'adeptes. À Washington, les ateliers de couture et de réparation d'objets connaissent un véritable engouement auprès des Américains désireux de freiner leurs achats compulsifs et de promouvoir une mode éthique et durable, bien loin des milliers de colis de fast-fashion qui traversent le globe chaque jour.