TEMOIGNAGE. "Il y a trop de gars à aider" : avec son association, un Ukrainien, ancien prisonnier des Russes, tente de libérer la parole sur les tortures subies
Alors que Donald Trump tente de pousser Moscou aux pourparlers de paix avec l'Ukraine, sur le terrain la Russie poursuit ses exactions contre les civils. Dans les zones occupées, les tortures sexuelles sur les prisonniers sont une pratique courante, voire systématique selon l'ONU. Mais les témoins manquent, car les hommes se taisent par crainte de la stigmatisation. Oleksii Sivak, détenu à Kherson pendant l'occupation russe en 2022, tente de libérer leur parole.
Ce sont ses cernes et son regard, terriblement noir, qu'on aperçoit en premier. Oleksii est resté près de deux mois prisonnier des Russes : "Il y avait tellement de tortures différentes, que je ne peux pas me souvenir de tout. Ils m'ont fait des choses… Aucune personne normale ne peut imaginer ça. Ils m'ont attaché des fils électriques aux parties génitales et, pendant qu'ils m'électrocutaient, ils me frappaient avec des matraques. Et quand je tombais de la chaise, ils ajoutaient des coups de pied", relate-t-il.
"C'est comme s'ils mettaient en pratique en même temps tout ce qu'ils avaient vu dans les films d'action d'Hollywood."
Oleksii, torturé lorsqu'il était prisonnier des Russesà franceinfo
En novembre 2022, les Russes se retirent et Oleksii est rendu à la liberté. Pour tenir à distance le traumatisme et l'humiliation, il veut parler. Mais il n'y a personne pour l'écouter. Être un homme victime de tortures sexuelles reste un sujet tabou. "La perception des autres est tout de suite négative, explique l'ancien prisonnier. Il y a une forme de rejet, même pas un rejet : plutôt une barrière qu'on élève pour vous mettre à distance. La société va évoluer, mais ça prend du temps. Il y a un ministère de la Réintégration, qui reconnaît qu'on a été détenus de manière illégale, mais ce n'est pas un statut officiel. Il y a encore beaucoup de choses à revoir."
"Ce réseau me donne de la force"
Très vite pourtant, Oleksii comprend qu'il n'est pas seul. Il crée une association, qu'il appelle avec ironie "les Alumni", "les anciens élèves", pour soutenir ceux qui acceptent de rompre le silence, pour ceux aussi qui sont toujours entre les mains des Russes. "À part les gens comme moi, personne ne peut porter leurs paroles, leurs cris, leur douleur." Oleksii marque une pause, ses doigts maigres attrapent une nouvelle cigarette. "J'ai des troubles de la mémoire, poursuit-il, et je perds souvent le fil de mes pensées. Physiquement, ça ne va pas trop non plus mais, honnêtement, je n'ai plus le temps de m'occuper de moi. Il y a trop de gars à aider, trop de problèmes. Et en même temps, c'est ce réseau qui me donne de la force."
"La guerre ne se mène pas uniquement sur le champ de bataille, avec des obus ou des balles, c'est aussi une guerre de l'information, une guerre sous toutes ses formes", ajoute-t-il. Son association espère un jour pouvoir intenter de vrais procès pour crime de guerre devant la Cour pénale internationale.