En Ukraine, des civils chasseurs de drones
"Hier soir, il était 22 heures, et j’ai entendu un drone Shahed survoler ma maison. Il volait à environ 10 mètres du sol. J’ai tout de suite appelé le commandant de l’unité mobile de défense aérienne. Il m'a dit qu’il l’avait repéré et que son équipe recherchait les endroits possibles pour l’abattre. S'il est touché au-dessus des maisons, il peut faire de gros dégâts".
C'est ainsi que le maire de Pereiaslav raconte le dernier survol en date d’un projectile russe au-dessus de sa petite commune. Située à 90 km au sud-est de Kiev, bordée par le fleuve Dniepr, elle se trouve bien souvent sur le chemin des drones et des missiles qui visent presque chaque nuit depuis trois ans Kiev, la capitale ukrainienne.
Ce lundi, le commandant qu’il a appelé dans la nuit est dans son bureau. Chaque semaine, les deux hommes ont l’habitude de faire le point. "Je dois informer la population. Nos concitoyens se sont endurcis, ils ne paniquent pas. Mais le fait qu'ils arrivent tous les soirs est devenu la norme. Nous devons les informer pour qu’ils puissent se protéger, se mettre en sécurité," explique Vyacheslav Saulko, vétérinaire de profession.
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Oleh Voroshylovskyi, un ex haut fonctionnaire en tenue militaire, explique au maire que les chasseurs de drones poursuivent leurs efforts pour protéger la ville. Constituée il y a un an, cette unité mobile de défense aérienne d’une quarantaine de volontaires peut être fière de son tableau de chasse : elle a abattu à ce jour 31 drones dans son secteur.
Connaissance du terrain et organisation militaire
"Ce sont tous des volontaires et ils sont tous très compétents" explique le commandant. "Et surtout, ce sont tous des locaux. Ils connaissent toutes les routes, tous les chemins, tous les villages. Notre succès dépend de notre capacité à nous déplacer rapidement et de la rapidité d’analyse des données sur la trajectoire du drone. Quand il change de direction, nous changeons de position. C'est là que la connaissance du terrain des gars entre en jeu" poursuit-il.
Sur un terrain d'entraînement à l'extérieur de la petite ville, sous un soleil glacial, trois groupes de quatre volontaires répètent les gestes qu’ils devront effectuer avec rapidité et précision, généralement dans le noir et sous forte pression. Bien se connaître est donc primordial.
"Nous avons des uniformes de l’armée, un fonctionnement militaire parce que nous manions des armes et que c’est dangereux. Jusqu’à présent, nous n’avons jamais eu d’accidents, de morts ou de blessés" rappelle le commandant. "De plus, nous sommes connectés au centre de contrôle de la défense aérienne avec des moyens de communication appropriés. Les militaires partagent avec nous des signaux codés. Chaque groupe peut voir ce que les radars de l’armée voient" ajoute-t-il.
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Mavka, étudiante en informatique et ex journaliste dans le civil, a les yeux rivés sur sa tablette qui lui permet de recueillir et d’analyser les données radar fournies par l’armée. C’est elle qui donne les ordres pour déterminer le point où doit se déplacer le groupe et quand ouvrir le feu.
"Je communique avec le commandement militaire" explique-t-elle. "Je reçois des informations et je les transmet à mes trois coéquipiers : où vole le drone, à quelle altitude, comment se positionner".
Maxim, DP27, VZ59, des armes antiques et efficaces
Makhno est le tireur du groupe. Ouvrier du bâtiment quand il ne chasse pas les drones, il dispose d’une mitrailleuse lourde Maxim de fabrication soviétique datant de 1944 et inventée en Grande-Bretagne en 1884 !
Avec son chargeur de 200 cartouches calibre 7,62, cet ancêtre en matière d’armement peut paraître dérisoire pour abattre un drone Shahed télécommandé mesurant 3,5 mètres de long, transportant 50 à 80 kg d’explosif et se déplaçant à une vitesse qui peut varier entre 80 et 400 km/h.
"Et pourtant elle est toujours aussi précise et efficace" affirme le commandant tout sourire. "Nous l'avons transformé en système de défense aérienne et la Maxim a déjà abattu deux drones. Nous avons récupéré ces armes anciennes dans les entrepôts de l’armée".

Le groupe dispose d’autres mitrailleuses dont la DP27, au fameux chargeur en forme de galette ronde qui a équipé l’Armée rouge pendant des décennies, et la VZ59, une arme tchécoslovaque conçue dans les années 1950. De même calibre, toutes ont une portée avoisinant 1 km. Certaines sont montées sur des pickups, d’autres sont installées sur des trépieds.
Les chasseurs de drones quadrillent le territoire
En dépit de cet armement rustique, les volontaires de l’unité de défense aérienne mobile savent que leur activité est cruciale pour la défense de l’Ukraine. Ces derniers mois, l’unité a constaté que l’ennemi russe faisait voler des leurres pour repérer les positions des groupes mobiles et gaspiller leurs munitions.
"Nous savons que chaque drone que nous abattons est une vie sauvée. Même si nous n'avons pas pu le détruire mais au moins l’endommager, il peut manquer sa cible et ainsi nous préservons nos centrales électriques. Il y a des équipes de tir mobile sur l'ensemble du territoire. Nous sommes un élément d’un réseau bien plus vaste".
Pour son coéquipier Petro, se porter volontaire pour chasser les drones russes dans le ciel de la région de Kiev est un peu plus qu’une mission patriotique. Originaire du Donbass annexé par la Russie, cet informaticien de 28 ans fait partie des 3,6 millions d’Ukrainiens déplacés par le conflit.
"J'ai déjà perdu ma maison à Donetsk en 2014. J'ai déménagé et je me suis installé ici il y a onze ans, à Pereiaslav. C’est logique pour moi de protéger les gens d’ici et de Kiev".
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