L'instant + : Applis, bouillie, insectes... ces initiatives contre la malnutrition en Afrique
Entre la faim, la sous-nutrition, mais aussi le surpoids et les maladies liées à une alimentation transformée manquant de nutriments, plus de 2,8 milliards de personnes souffrent de malnutrition dans le monde, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Et l'Afrique apparaît en première ligne : un habitant du continent sur cinq souffre de la faim, et plus d’un sur deux vit en situation d’insécurité alimentaire.
À quelques pas du sommet international de lutte contre la malnutrition, qui a lieu à Paris, jeudi 27 et vendredi 28 mars, dans la serre du parc Javel-André Citroën, dans le 15e arrondissement de Paris, ONG, membres de la société civile et institutions européennes se retrouvent pour échanger sur les actions concrètes déjà mises en place sur le terrain pour enrayer ce fléau.
Aider à l'adaptation climatique, à transformer les systèmes alimentaires ou encore lutter contre les inégalités de genre : France 24 met en lumière trois initiatives présentées lors de ce "Village des solutions".
Une appli pour s'adapter aux aléas climatiques
En mars 2023, le Malawi était frappé par Freddy, le cyclone le plus long jamais enregistré. Six mois de pluies se sont abattus en seulement six jours, provoquant inondations et coulées de boue. Deux millions d'agriculteurs ont perdu leurs récoltes et vu leurs champs ravagés. Puis, quelques mois après, en novembre 2023, El Niño est arrivé. Le phénomène climatique a plongé le pays, où plus de 16 millions de personnes dépendent de l'agriculture pluviale, dans une sécheresse historique. Plus de 4,4 millions de personnes étaient déjà confrontées à une crise alimentaire.
Selon l'indice mondial des risques climatiques, le Malawi fait partie des cinq pays les plus touchés par les phénomènes météorologiques extrêmes. Les précipitations sont devenues de plus en plus irrégulières et les périodes de sécheresse ont alterné avec cinq cyclones depuis 2019.
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Pour faire face à cette nouvelle réalité, les agriculteurs tentent de s'adapter. Si pendant longtemps, ils produisaient majoritairement du maïs, aliment de base dans le pays, ils essaient désormais de diversifier leurs récoltes. Mais encore faut-il savoir quoi planter, quand, comment s'en occuper ou encore quand le récolter.
Pour les aider, Agricultural Commodity Exchange for Africa (Ace), une ONG basée au Malawi, en partenariat avec Welt Hunger Hilfe, une ONG allemande, ont développé une application mobile, "Zaulimi". "Le principe est simple, avec cette application, les agriculteurs peuvent avoir accès à tout ce qu'ils voudraient savoir sur une production céréalière – la saisonnalité, les rendements, les prix de vente, etc – ou la gestion d'un bétail", détaille Patience Perera, chargée de communication pour Ace.
Au total, 53 000 agriculteurs utilisent aujourd'hui cet outil pour les aider dans la transformation de leur exploitation, et à peu près 273 personnes ouvrent l'application quotidiennement, selon les chiffres fournis par Ace. Un nombre encore limité "mais surtout dû à la difficulté de faire connaître notre travail", estime Patience Perera.
À terme, les deux ONG espèrent aller plus loin et développer dans cette même application un système d'aide basée sur l'intelligence artificielle. "Concrètement, un agriculteur n'aurait plus qu'à donner ses informations - là où il vit, le type de terres qu'il cultive et la taille de son exploitation et le logiciel pourrait lui donner plusieurs scénarios de production", sourit Patience Perera. Une version test a récemment été mise à l'essai.

"Une potion magique" : des aliments "fortifiés" en nutriments
Si manger suffisamment est évidemment un enjeu central, la quantité ne fait pas tout. Avoir une alimentation de qualité et variée est presque tout aussi important. Dans son rapport sur la faim dans le monde, dont la dernière édition a été publiée en juillet 2024, l'Unicef alerte ainsi que des centaines de millions d'enfants de moins de 5 ans dans le monde "présentent des carences en vitamines et nutriments, bien qu'ils reçoivent des calories en quantité suffisante". Autrement dit, ils mangent assez, mais pas assez bien, et manquent ainsi de fer, d'iode, de vitamines A et C ou encore de minéraux.
Une "faim cachée", qui, à long terme, peut avoir de graves conséquences : retard de croissance, déficiences intellectuelles, de la fatigue chronique, des problèmes digestifs…
À Madagascar, où près d'un enfant sur deux âgé de moins de 2 ans souffre de malnutrition chronique selon la Banque mondiale, l'entreprise sociale Nutri'zaza, avec l'ONG Gret, tente ainsi d'apporter ces nutriments essentiels dans les régimes alimentaires. Depuis 2013, elle commercialise un complément au lait maternel : une farine infantile fortifiée vendue sous forme de bouillie, la "Koba aina", qui signifie "farine de vie" en malgache.
"Elle est composée de farine de maïs, de soja et de riz rouge auxquels on a ajouté du calcium, des vitamines et des sels minéraux", détaille Ratsito Anjaratiana, responsable communication de Nutri'zaza. "La bouillie à elle seule permet de couvrir les besoins journaliers en micronutriments des enfants de 6 à 24 mois, en plus de leur alimentation quotidienne.
Et pour la faire parvenir au plus grand nombre, le système est désormais bien rodé. "La "Koba aina" est distribuée en sachets dans des points de vente fixes et dans des milliers d'épiceries de rue de la capitale pour l'équivalent de 30 centimes d'euros", explique Ratsito Anjaratiana. "Mais surtout, tous les matins, un réseau d'animatrices sillonne les quartiers et font du porte-à-porte pour vendre la bouillie déjà cuisinée, prête à consommer. Pour beaucoup, c'est comme cela que c'est devenu la solution pratique pour le petit-déjeuner des enfants."
Pour les populations les plus précaires et les plus isolées, Nutri'zaza vend une partie de ses produits à des ONG gouvernementales, qui se chargeront ensuite de la distribution gratuite.
Au total, environ 105 millions de "repas" ont été distribués depuis le lancement de Nutri'Zaza. Et à la "Koba aina" sont progressivement venus s'ajouter d'autres produits pour enfants et adultes comme des barres de cérales ou du muesli. Si le complexe de treize minéraux qui enrichit la poudre (zinc, calcium, fer, vitamine C…) provient d’Afrique du Sud, toutes les matières premières qui composent la "Koba aina" sont produites à Madagascar.
Mais dans ce pays où la quasi exclusivité de l'alimentation repose sur le riz, faire adopter ces nouveaux repas ne s'est pas fait du jour au lendemain. "Il a fallu faire beaucoup de sensibilisation dans les quartiers pour parvenir à changer les habitudes alimentaires et rompre certaines idées reçues", explique la chargée de communication.
Autre frein, alors que 75 % des habitants de Madagascar vivent avec moins de 1,60 euro par jour. Selon la Banque mondiale, la portion de "koba aina", malgré son faible coût, reste difficilement accessible à tous. Mais en choisissant la vente plutôt que le don, Nutri’zaza a pu pérenniser son projet et créer des emplois.
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Promouvoir les droits des femmes pour briser le cycle de la malnutrition
C'est le résultat d'un cercle vicieux. Aujourd'hui, plus d'un milliard de femmes et de filles souffrent de sous-nutrition, de carences en micronutriments ou d'anémie dans le monde, soit 126 millions de plus que les hommes, selon un rapport de l'Unicef intitulé "Dénutries et oubliées". Et les femmes vivant en Afrique subsaharienne apparaissent comme particulièrement touchées avec trois femmes sur cinq souffrant d'anémie.
La faute aux inégalités de genre, pointe immédiatement Violet Gwokyala, directrice générale de l'ONG Mother against malnutrition and hunger (Mamah), basée en Ouganda. "Aujourd'hui encore, dans la majorité du pays, il n'est pas rare que des hommes mangent à leur faim et ne laissent que les restes de leur repas à leur femme", déplore-t-elle. "Cela est dû aux traditions de la société patriarcale et il est urgent de détricoter ces comportements."
Face à ce constat, Mamah a voulu placer les femmes au centre de ses opérations. Depuis plusieurs années, l'ONG tente de démocratiser l'usage de farine d'insectes dans les régimes alimentaires. Criquets, ténébrions, cicadelles… un cocktail surprenant mais plein de bienfaits nutritifs… et économiques. "Ce sont de très bonnes sources de protéines, aussi riches que celles auxquelles on a l'habitude comme la viande", insiste Violet Gwokyala. "Mais surtout, ces farines d'insectes sont très faciles à produire et peu coûteuses."
"Pour en produire, les femmes n'ont pas besoin de demander une terre à leur mari ou à leur clan, elles peuvent juste utiliser un petit espace dans leur foyer. Elles n'auront plus qu'à concasser les insectes avec des pelures de bananes ou de pommes de terre", détaille encore l'Ougandaise. "Et ainsi, elle pourra facilement améliorer son alimentation et celle de sa famille", sourit-elle.
Par ailleurs, poursuit l'activiste, garantir une meilleure sécurité alimentaire aux femmes "bénéficie aussi aux générations futures". Le rapport de l'Unicef souligne en effet qu'une insuffisance pondérale d'une femme pendant sa grossesse ou sa petite taille sont des facteurs de risque pour des retards de croissance et d’émaciation dès la petite enfance. En d'autres termes, s'assurer de la bonne nutrition des femmes permet aussi de garantir la santé de ses enfants.
"Au-delà des bienfaits pour leur santé, mettre en place ce nouveau système permet aussi de donner davantage de responsabilités aux femmes et de briser le cycle négatif dans lequel elles sont emprisonnées en brisant certains tabous et idées reçues", continue Violet Gwokyala. Un processus qui ne peut cependant se faire qu'à grands renforts de sensibilisation constante avec chefs de clans, autorités religieuses et avec désormais un espoir : parvenir à faire sortir les femmes de l'enceinte du foyer pour, bientôt, commercialiser leur production et ainsi gagner en indépendance économique.
