Anne-Charlène Bezzina est une juriste française, spécialiste de droit constitutionnel.
Consacrée dès l’origine à prouver la résilience française, la Ve République vit aujourd’hui une crise d’identité profonde alors que la fracturation politique menace de la jeter dans les abîmes des républiques précédentes. Un tour d’horizon des éléments constitutionnels de cette crise s’impose.
Passer la publicitéCe lundi, le premier ministre a demandé à l’Assemblée nationale de le soutenir autour d’éléments qui ne font pas partie de sa politique et qui ne déterminent pas non plus son accession au pouvoir. Il aura ainsi créé un précédent dangereux qui consiste à solliciter un soutien de l’Assemblée au moment où elle propose sa défiance dans une guerre qui rappelle les errements de la IVe République où l’usage des outils constitutionnels n’était plus nécessaire tant les blocages politiques se suffisaient à eux-mêmes. Il suffira désormais à un Gouvernement d’actionner l’article 49 alinéa 1 au moment le plus (in)opportun, pour renvoyer aux oppositions la responsabilité de la défiance dans un acte de démission provoqué contraire à l’esprit du texte.
Le plus grave vient de la situation du «jour d’après».
Toujours au-devant d’une Assemblée nationale fragmentée, après avoir reçu, comme l’oblige l’article 50 de la Constitution, une démission forcée du premier ministre, le Président de la République se trouve face à un choix qu’aucun président n’avait eu à faire avant lui.
En effet, la nomination d’un nouveau premier ministre a toujours relevé d’une évidence sous la Ve République, consistant soit à déterminer qui choisir entre des fidèles, soit, en période de cohabitation, à avaliser une défaite.
Lundi soir, il a fallu dénombrer les votes de confiance pour voir qu’il n’y a plus ni socle ni commun dans cette famille centriste.
Anne-Charlène Bezzina
Depuis 2024, le choix du premier ministre par le président revient à construire une logique de majorité de compromis, c’est-à-dire à dessiner et redessiner le visage de l’Assemblée nationale par la logique des votes négatifs. Cette pratique est coutumière outre-Rhin, au Portugal, en Autriche, en Italie, en Espagne, partout où le Président détermine quel homme pourra bâtir une coalition pour l’avenir du pays. La solution de la « non-censure » a été privilégiée avec Michel Barnier et François Bayrou en prenant pour poumon le bloc central, le plus à même de proposer l’alliance, par tradition et par tropisme. Lundi soir, il a fallu dénombrer les votes de confiance pour voir qu’il n’y a plus ni socle ni commun dans cette famille centriste.
Passer la publicitéIl restera alors au président de la République à déterminer quels groupes sont aptes à se coordonner et pour cela il devra choisir une personnalité suffisamment loin à la fois des deux premiers ministres déjà essayés, de lui dont la cote de popularité est en chute libre, des extrêmes qu’il redoute, au risque que cette personne soit loin du peuple et de ses réalités.
La France est désormais embourbée dans un choix entre l’immobilisme et l’esprit insurrectionnel. Attention aux peurs contenues dans les grands mots, la logique d’insurrection ne signifie pas qu’une Révolution se prépare, ni une guerre ou une crise historique, seulement les solutions de déstabilisation et de table rase pourraient être préférées à celles de la continuité.
Au sein des solutions d’immobilisme, comme évoqué plus haut, le choix d’un nouveau Premier ministre à travers un nouveau jeu de socle commun est une possibilité. À la manière du Rubik’s cube, il faudra tourner et retourner l’objet pour parvenir à ce que quelques couleurs s’allient (les oranges, les verts, les bleus et toutes les nuances de rouge) ; les Allemands n’évoquent-ils pas les «coalitions arc-en-ciel» ?
Une autre hypothèse est séduisante : là où les Français n’ont plus confiance en la politique, il pourrait leur être proposé de vivre la grande parenthèse des Jeux olympiques jusqu’en 2027. Quitte à ne rien faire, autant le faire avec personne ! Si rien n’interdit au président de la République de conserver en affaires courantes le gouvernement démissionnaire de François Bayrou jusqu’en avril 2027, la logique pourrait le pousser à choisir un premier ministre «technique» qui soit à la fois suffisamment apolitique, apte à proposer des solutions de crises pour trouver enfin, un Parlement de consensus. Reste que ces trois éléments paraissent introuvables.
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Dans le lot des solutions d’insurrection : la dissolution ? Elle conduirait, au pire, à la recomposition des mêmes blocs, au mieux, à la cohabitation qui bloquerait non plus l’Assemblée devenue à nouveau majoritaire, mais les exécutifs. Le jeu pourrait être dur au vu des circonstances internationales et du très fantasmé domaine réservé du Président de la République en la matière. La démission ? Agitée par de plus en plus de formations politiques, elle existe autour d’une fausse évidence : le problème vient du Président et il ne reste plus qu’à en changer. Vue comme un geste gaullien ? Jamais le Général n’a cédé aux appels à la démission agités de tous bords en 1968 en se présentant comme le seul représentant de l’Ordre. Vue comme une solution de retour aux urnes, dans une campagne d’à peine 35 jours ? Ces campagnes ont, par deux fois sous la Cinquième République (1969, 1974) conduit à une solution de continuité des visages et des majorités, totalement inverse à la logique qui préside au moment 2025. Vue comme une solution pour avancer le temps ? Mais la période est courte : il reste globalement à tenir une campagne municipale, quelques mois de session parlementaire et la précampagne présidentielle arrivera tout de go dès le mois d’octobre 2026 (financements, temps de parole, meetings, primaires etc.).
Passer la publicitéQuelle que soit la solution, il faudra parvenir à ressusciter la dynamique majoritaire, ou à gouverner la minorité avec de nouvelles forces et de nouvelles solutions.
La petite musique de l’instabilité a fait les chroniques de l’histoire parlementaire française, plus agitée que tout autre. Les Républiques se meurent et seul reste l’esprit partisan. Que restera-t-il de notre avenir commun si la Ve République périt ? Comment se transformer en un pays parlementaire apte au consensus, là où l’opinion ne croit plus à la politique ? Comment retrouver le goût du vivre ensemble lorsque la sécurité, la vie, la réunion, les libertés, sont en danger ? Sans vouloir faire de catastrophisme dystopique : les Français sont bien placés pour savoir qu’en 1870, en 1914 où en 1939, les conjonctions de crises politiques, de probité, d’économie, internationale et sociale ont conduit à une perte totale de contrôle menant au pire.
Reste donc à déterminer le sens de cette année charnière.
Il sera bon de réfléchir en 2026 à l’avenir des institutions, des politiques et des hommes, mais d’ici là, la logique de l’Histoire nous conduit à penser qu’un attentisme vaut mieux que tous les extrémismes institutionnels. Raccourcir les mandats et les campagnes, pour conduire à une déstabilisation permanente des modalités du vivre ensemble ne peut produire que l’effet escompté, c’est-à-dire sans cesse plus de défiance, comme seul programme de gouvernance.
Il faudra composer et recomposer des gouvernements, chercher tant bien que mal à ce que les solutions parlementaires soient trouvées par le plus grand nombre, avec le moins de charge politique possible. C’en est fini des budgets courageux, des «réformes»...
Ne pourrait-on pas imaginer qu’un président limité aux affaires étrangères, un premier ministre passant son temps à la recherche de coalitions et un Parlement occupé à chercher du commun soient une solution de sortie de crise qui correspond, au fond, à l’esprit des institutions ?