Notre critique de Sound of Falling : tant de morts pour un temps mort

Qui sera le prochain à avoir sa photo sur le buffet de la salle à manger ? Pas l’aïeule, qui n’est pas pressée de quitter ce monde. En revanche, Alma a 7 ans et se demande pourquoi elle apparaît déjà dans ce mausolée photographique. Cette interrogation d’une petite fille aux cheveux nattés et enroulés autour des oreilles sert de porte d’entrée au film de Mascha Schilinski, 41 ans, une inconnue sur la Croisette. Son histoire s’étire sur 2 h 29 pour traverser un siècle. La réalisatrice allemande n’a pas froid aux yeux.

Après nous avoir présenté Alma, elle nous transporte à une autre époque pour nous familiariser avec Angelika. Selon le même procédé suivent Lenka et Emma. On les retrouve toutes dans la même cour de ferme, probablement en Allemagne de l’Est, à des moments différents, qui vont de la période prussienne à aujourd’hui en passant par les années 1950 et 1970. Chacune a une relation difficile avec sa mère. Elles se posent les mêmes questions sur l’existence. Nul doute, leurs destins sont liés. Au fur et à mesure que l’on s’approche de l’époque actuelle - matérialisée par un smartphone et des oreillettes sans fil -, les problématiques contemporaines s’immiscent aussi dans le récit, comme cet oncle qui s’intéresse d’un peu trop près à sa nièce.

Après trois courts-métrages et un film à la Berlinale, Dark Blue Girl, en 2017, autour de la famille, Mascha Schilinski continue à creuser le sujet et surtout la continuité des liens et les failles qui déstabilisent les fratries. Pour Sound of Falling, elle le fait en convoquant des fantômes, des grondements, des bruits de platine vinyle tournant à vide, des mouches et une rivière. Il faut guetter ces signes, car ils annoncent des changements dans le récit. Seraient-ce des traces laissées par le bref passé de magicienne de la réalisatrice au sein d’un cirque itinérant durant sa vingtaine ?

Une patine fantastique

Si cette magicienne continue de vivre en Mascha Schilinski, elle fait surtout mourir beaucoup de personnages. Mais qu’importe puisqu’ils revivent dans un autre corps, dans un lointain meilleur mais pas si différent. Sauf qu’il est fort difficile de se repérer dans ce récit, qui se veut philosophique et poétique. À grand renfort d’images floues, d’écran noir, de bras inertes dans l’eau et de labyrinthes de paille, la cinéaste colore aussi son histoire d’une patine fantastique qui ne réussit qu’à perdre un peu plus le spectateur.

Une idée traverse toutefois ce film prétentieux : ce qui a été sera ou se répétera. Tels les hommes amputés d’une jambe qui continuent de souffrir de leur membre meurtri alors qu’il n’est plus là. La réalisatrice nous dit aussi qu’il y a une vie après la mort, que les âmes envolées laissent un peu d’elles-mêmes dans la génération suivante et que chacun de nous est un puzzle dont certains morceaux appartiennent à d’autres. Sous son aspect rugueux et impénétrable, le Bardo Thödol, ou Livre des morts tibétain, est cent fois plus limpide sur le sujet. On conseillera donc de le lire ou de le relire.