Internes en médecine: « Rien n’empêche Catherine Vautrin d’ouvrir plus de postes»

La pression monte sur le gouvernement, après l’annonce de la suppression de 1500 postes d’internes en cette rentrée. Car ce sont autant de jeunes médecins qui vont manquer dans les CHU dès cet automne. Une décision dont l’hôpital public n’avait vraiment pas besoin, alors même qu’une cinquantaine d’établissements sont actuellement sous tension de l’aveu même de Frédéric Valletoux, ministre délégué à la santé démissionnaire. «Si les autorités ne comblent pas le déficit de postes d'internes, les hôpitaux feront appel aux médecins étranger , affirme le Professeur Peyromaure, chef du service d'urologie de l'hôpital Cochin.

Une décision qui provoque le désarroi des 7500 étudiants, qui après six années d’études acharnées, ont essuyé les plâtres de la réforme du concours de l’internat cette année. Ceux qui se désignent eux-mêmes comme la «promo crash test» vont, du fait des 1500 postes supprimés, avoir beaucoup moins de latitude pour choisir la spécialité qu’ils exerceront toute leur vie, et la ville où ils vont poursuivre leurs études pendant encore 5 ou 6 ans. 

Une situation vécue comme une «injustice», dénoncée dans une pétition sur Change.org, qui a dépassé les 55.000 signatures. Les termes de la réforme «n'avaient pas encore été posés clairement lorsque nous avons commencé notre deuxième cycle, et n'ont fait que changer au cours du cursus. Les référentiels du concours ne sont pas sortis en temps et en heure», accuse Hélène Hérubel, à l’origine de la pétition, lancée le 8 août.  

Alors que certains, se disant écœurés, envisagent de partir à l’étranger, le député LR Yannick Neuder, médecin et rapporteur général de la Commission des Affaires sociales, dénonce «l'amateurisme» avec lequel la réforme du concours de l'internat a été mise en place, et demande au gouvernement de revoir sa copie.

LE FIGARO.- Vous avez écrit aux ministres de la Santé et de la Recherche pour qu'ils ouvrent plus de postes aux internes de la promotion 2024. Est-il encore temps à deux semaines de la fin du processus d'attribution des postes ?

Yannick NEUDER.- Il n'est jamais trop tard pour corriger une évaluation qui a été faite sous l'effet de la surprise. Le gouvernement ne s'attendait pas à ce que 1500 élèves ne se présentent pas à l'examen et préfèrent perdre un an pour le présenter l'année suivante. Les ministères concernés ont donc préféré punir la promotion « crash test » en réduisant l'accès à certaines spécialités afin de forcer les étudiants à choisir celles qu'il juge plus en souffrance. Or elles sont toutes en sous-effectifs ! En faisant ce choix, le gouvernement a scandalisé et démotivé les futurs internes et nous perdons sur tous les tableaux. Moins + moins, font encore beaucoup moins.

Un gouvernement qui « gère les affaires courantes » peut-il modifier un arrêté ?

Pourquoi ne pourrait-il pas modifier l'arrêté qu'il a lui-même émis alors qu'il était déjà sursitaire et en situation de « gestion des affaires courantes » ? Rien n'a changé depuis le début du mois de juillet, et Mme Vautrin, M. Valletoux, Mme Retailleau sont toujours ministres.

Le sujet peut paraître marginal aux yeux du grand public. Pourquoi prenez-vous le parti de cette mobilisation ?

Il n'est pas marginal. Il s'agit de 7 800 personnes qui vont faire l'hôpital de demain alors que nous avons déjà fait fuir 5 000 étudiants à l'étranger pour leurs études à cause de ces enchevêtrements de réformes qui s'appliquent dans une forme de chaos et désespèrent nos jeunes. Je constate que la pétition qu'ils ont lancée réunit déjà 55 000 signatures. C'est un signal de colère qui ne peut pas être sous-estimé. Le sujet est d'autant moins marginal que c'est le patient qui paye tout ça en bout de chaîne. 87% du territoire est un désert médical, et c’est une situation qui touche autant les grandes agglomérations que les campagnes. Autant la médecine générale que l’hôpital public. L'hôpital fait face à une charge encore trop importante quand, en parallèle, les délais pour obtenir certains rendez-vous chez des spécialistes en ville ont explosé.

La conférence des doyens de médecine vient de publier un communiqué qui soutient le choix du gouvernement. Cela siffle-t-il la fin de la récré ?

Non. Je vous rappelle que le 24 août dernier, l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) a voté à une très large majorité des UFR de médecine de notre pays, une motion demandant une ouverture de postes pour augmenter le taux d'adéquation entre la vocation et l'affectation. Ce besoin est estimé à 800 postes dans l'immédiat. Et par ailleurs, je fais de mon côté un constat de député et de médecin qui écoute ce qui se passe sur le terrain : les chefs de service déplorent qu'ils soient obligés de les remplacer par des médecins formés à l'étranger pendant que les étudiants fuient le système de formation pour aller à l'étranger et d'autres sont prêts à retarder leur internat et enfin les patients sont moins bien pris en charge à l'arrivée dans nos établissements. Quelque chose ne colle pas.

Pensez-vous que la procédure du gouvernement pourrait être contestée devant un juge administratif pour « rupture d'égalité » ?

Ce n'est pas aux parlementaires d'apprécier cela. Comme député, je concentre mes efforts sur mes pouvoirs de contrôle de l'action du gouvernement. Je suis co-rapporteur à l'Assemblée nationale de l'évaluation de la loi « Ma Santé » et nous remettrons évidemment le sujet sur la table ! Il faudra d'ailleurs à nouveau auditionner les représentants des étudiants en médecine du deuxième cycle qui apporteront des éclairages sur ce mauvais atterrissage de la réforme.

Dans votre lettre, vous citez une enquête réalisée il y a dix jours par les étudiants en médecine de Paris, qui montre qu'ils souhaitent de plus en plus quitter la France…

Les élus étudiants de l'UFR de médecin d'université Paris-Cité ont sondé les étudiants de la promotion 2024/2025, soit 10% des étudiants de l'effectif national. Près de 70% de l'échantillon déclare prévoir de partir à l'étranger si son affectation ne correspond pas à son projet professionnel et 57% déclarent avoir déjà fait des démarches pour partir à l'étranger. Plus préoccupant encore, plus de 95% de l'échantillon déclare que leur rang de classement en 2024 en vue du 3e cycle leur aurait permis d'obtenir leur poste s'ils faisaient partie des promotions précédentes. C'est le résultat de la surdité gouvernementale aux réclamations raisonnables de cette promotion.

La réforme des études de médecine engagée ces dernières années n'est-elle pas censée remplacer le numerus clausus par le numerus apertus ?

On en est pour le moment très loin. Je le redis, plus de 5 000 étudiants Français se forment ailleurs car la France leur tourne le dos, à cause d'un numerus encore trop restrictif. Face à cette situation, le gouvernement a annoncé avoir recours aux praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE). Une situation incompréhensible. C'est aussi pourquoi j'ai proposé et fait adopter en première lecture à l'Assemblée nationale un texte qui renverse la logique en prenant en compte les besoins par territoire pour la formation de nos médecins mais aussi qui facilite le rapatriement des étudiants partis se former à l'étranger.

Pourtant, à partir de l'année prochaine, il y aura des promotions plus nombreuses…

Elles le seront l'année prochaine, en partie. Mais nous parlons de cette année. Les médias relatent sans arrêt le contexte de tension continue de l'offre de soins de notre pays. La diminution du nombre de postes ouverts aux internes est non seulement injuste, mais en plus elle fragilise encore davantage notre système de santé.