La firme JBS et le libre-échange UE-Mercosur

Gérard Le Puill

Le 6 décembre 2024, l’accord de libre-échange entre l’Europe des 27 et les pays du Mercosur fut signé par Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne. S’il est appliqué, il servira surtout les intérêts de la firme JBS qui domine l’industrie de la viande au Brésil. L’Europe peut rejeter cet accord si aux moins quatre pays représentatifs de 35% de la population des 27 votent contre.

Nous avons rappelé dans notre article d’hier que l’accord de libre-échange UE-Mercosur ferait reculer notre souveraineté alimentaire. Après une année 2024 très difficile pour leurs paysans, les 27 pays membres de l’Union européenne devront se prononcer sur la validation ou le rejet de l’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur en cette année 2025. Il se dit que la Commission européenne a fait inclure dans cet accord le refus des importations de produits issus de zones agricoles récemment soumises à la déforestation en Amérique du sud. Mais une telle clause ne vaut rien dès lors que les pays exportateurs du Mercosur peuvent poursuivre la déforestation pour approvisionner leur marché intérieur, voire pour exporter dans des pays qui ne formulent pas une exigence similaire à celle de l’Union européenne.

Le quotidien Le Monde publiait le 17 décembre 2024 un article de sa correspondante au Brésil consacré à la firme brésilienne JBS, spécialisée dans le commerce de la viande. Un intertitre de cet article d’Anne-Dominique Correa, indiquait que « la multinationale peut abattre 75.000 bovins, 14 millions de volailles et 115.000 porcs par jour ». L’article rappelait aussi que cet accord – que la présidente de la Commission européenne et allée signer à Montevideo – autorise les pays du Mercosur à exporter 99.000 tonnes supplémentaires de viande bovine par an en Europe avec un droit de douane réduit à 7,5% avant d’ajouter ces précisions : « JBS produit la plupart des viandes haut de gamme du Brésil qui sont les plus prisées en Europe »   analyse Alessandro Francisco Trindade de Olivera de l’Institut fédéral du Parana , pour qui le Brésil « pourrait doubler ses exportations de viande vers l’Union européenne ».


« Viandes haut de gamme » et méthodes d’élevage douteuses


Quand on parle ici des « viandes de haut de gamme », il s’agit de viandes rouges désossées et issues des parties nobles de l’animal. Mais cela ne dit rien sur les méthodes d’élevage, ce qui fait dire à Allan de Campos, spécialiste de l’impact agroalimentaire sur la santé publique à l’université d’Etat de Sao Paulo que « les Européens ont raison de se méfier. Au Brésil, le bétail et alimenté de maïs et de soja qui contiennent de fortes quantités de pesticides et il subit des traitements aux antibiotiques ».


Se référant toujours aux propos d’Allan de Campos , Anne-Dominique Correa ajoutait  « En outre, il assure que les multinationales ne contrôlent le bétail que lorsqu’il est dans les fermes de finition, dernière étape avant l’abattage, ignorant donc les conditions sanitaires des fermes où les animaux naissent et sont engraissés. Ce manque de contrôle soulève aussi des doutes quant à la capacité des multinationales à freiner la déforestation. Près de la moitié du cheptel brésilien, qui atteint un record de 238, 6 millions de têtes en 2023, se concentre dans la région amazonienne où l’élevage est le principal facteur de déforestation : entre 1985 et 2022, 77% des terres ont ainsi été converties en pâturages selon MapBiomas ».


Le Brésil compte plus de bovins que d’humains

A ce stade, il convient de préciser que le Brésil compte plus de bovins que d’humains, puisque la population du pays s’élève 216 millions d’habitants. La France détient le plus important cheptel de bovins dans les pays membres de l’Union européenne. Mais leur nombre est de 15,7 millions de têtes pour 68 millions d’habitants, ce qui donne un bovin pour 4,5 habitants. Longtemps excédentaire en viande bovine, notre pays voit son cheptel diminuer d’année en année pour cause de sous-rémunération des éleveurs, ce qui rend de plus en plus difficile l’installation des jeunes alors que l’âge moyen des chefs d’exploitation dépasse largement la cinquantaine.

La firme JBS dont le chiffre d’affaires annuel est de 364 milliards de reais, soit l’équivalent de 57,48 milliards d’euros, ne fait pas que de l’abattage. Selon la correspondante du Monde « elle possède plus de dix unités d’engraissement au Brésil, d’une capacité de 2 millions de bovins (…) le groupe concentre aujourd’hui 25% du marché mondial de la viande et des abas de bœuf et opère dans 17 pays. Et il ne compte pas s’arrêter là : la direction a annoncé, le 21 novembre, un investissement de 2, 5 milliards de dollars (2,38 milliards d’euros) sur cinq ans au Nigeria pour six usines de transformation ».


Signer l’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur permettrait à JBS de continuer de faire croître sa production pour l’exportation en accélérant le processus de déforestation en Amazonie. Alors qu’en France tous les syndicats d’éleveurs se prononcent contre la signature de cet accord par les pays membres de l’Union européenne, 484 députés français de toutes les formations se sont également prononcés contre sa ratification lors de vote intervenu le 26 novembre à l’Assemblée nationale; seulement 70 députés votaient pour la ratification. L’Allemagne, l’Espagne et le Portugal sont pour la ratification pour des raisons divergentes. Mais la France pourrait rassembler une minorité de blocage à partir du refus d’un minimum de quatre pays sur 27 et à condition de représenter 35% de la population européenne. Cela implique d’avoir sans attendre une activité diplomatique sur le sujet.


Mais le président Macron continue de garder le silence sur le sujet depuis la signature de cet accord par Ursula Von der Leyen, présidente de nationalité Allemande à la Commission de Bruxelles. Ajoutons qu’elle avait même obtenu du chef de l’Etat français une réduction des responsabilités qui devaient être attribuées au commissaire sortant Thierry Breton, lequel a préféré démissionner plutôt que de subir cette humiliation.