«  L’odeur d'encens et de rose du lobby m’ont donné des migraines…» : les signatures olfactives des hôtels pour se sentir chez soi… ou pas

«Le Royal Monceau, le Crillon, le Park Hyatt, le Meurice… J'identifie chacun de ces lieux à leur parfum, confie Éric, habitué des déjeuners d'affaires dans les palaces parisiens. De la même manière que de belles boiseries, une moquette épaisse et une musique en sourdine, la signature olfactive participe à l'impression de luxe. D'ailleurs lorsque je rentre dans un lieu qui n'a pas d'odeur, il me paraît tout de suite moins cossu. Pire, quand un parfum trop fort ou trop cheap saisit le nez dès le lobby, cela fait baisser, selon moi, le standing. » Des sillages 5 étoiles qui, lorsqu'ils sont mal ciblés, frôlent la faute de goût. « Si l'objectif est de créer une sensation immédiate de confort et de bien-être, critères in dispensables pour un hôtel, certains ingrédients peuvent vite devenir clivants comme l'oud et le patchouli, très puissants, convient Stéphane Arfi, fondateur d'Emosens, spécialisé dans le marketing olfactif. À l'inverse des compositions aromatiques et légères, fleuries et hespéridées, bien plus consensuelles. Par exemple, la fleur d'oranger plaît beaucoup, elle a un côté propre, une douceur naturelle vraiment agréable. Même chose pour la figue, très populaire depuis qu'elle a parfumé la boutique Colette dans les années 2000. Le concept store parisien a beau avoir fermé ses portes en 2017, nos clients sont nombreux à nous demander le même genre de senteur. Elle a tellement marqué l'identité du lieu qu'ils en espèrent un impact similaire. Mais on ne parfume pas un palace de l'avenue Montaigne comme un hôtel branché du quartier du Marais. »  

Des bougies pour des senteurs moins envahissantes 

Faire l'unanimité parmi la clientèle hétéroclite d'un établissement - hommes et femmes, voyages d'affaires et touristes en goguette, Gen Z et boomers - n'est pas toujours chose aisée. Christine se souvient ainsi de son dernier séjour marseillais : « En deux jours, j'ai beaucoup circulé dans le lobby de mon hôtel, mais le mélange d'encens et de rose était si désagréable qu'au bout d'un certain temps, j'ai choisi de le contourner en faisant un détour par l'extérieur ! J'en ai eu des migraines… » Quant à Marie, elle remonte instinctivement son pull devant son nez lorsqu'elle entre dans ce palace du centre parisien : « Ni chic ni luxueuse, l'odeur plutôt vulgaire attaque les narines et devient tout de suite entêtante. Cela s'atténue heureusement au niveau du restaurant mais lorsque les serveuses circulent, on a l'impression qu'elles sont imprégnées de ce même sillage qui flotte tout autour d'elles. » 
 

Pour ne pas brouiller les sens, la puissance de diffusion importe tout autant que les accords eux-mêmes. Et pour mieux programmer l'intensité, la plupart des hôtels utilisent désormais des technologies de nébulisation, c'est-à-dire des microparticules sèches qui passent par les gaines de soufflage du système de climatisation. D'autres préfèrent l'ambiance plus discrète obtenue grâce aux diffuseurs par capillarité, bougies et autres céramiques parfumées. « Les bougies permettent de cibler plus précisément l'espace en créant des sphères de senteur moins envahissantes. On n'a pas toujours envie d'être poursuivis par une odeur jusque dans l'ascenseur ou dans la salle de gym de l'hôtel, une séance de cardio n'est pas franchement compatible avec un air saturé de notes ambrées, prévient Julien Pruvost, directeur de la création de Trudon qui fournit de nombreux hôtels en bougies parfumées. Nous conseillons à nos clients de s'en tenir aux espaces communs comme le lobby, les salons de réception et certains couloirs. À l'inverse, cela reste très compliqué d'imposer un parfum en chambre, l'espace le plus intime qui soit. Le Waldorf Astoria d'Amsterdam a pourtant eu la bonne idée d'installer, dans les couloirs, un trolley avec notre collection de senteurs afin que chaque client puisse concevoir sa propre atmosphère. C'est assez malin car après tout, recréer un cocon intime et relaxant est l'essence même de l'hôtellerie. »