Terrorisme au Sahel : d'où viennent les armes utilisées par les groupes armés ?

Il s'agit de l'une des zones les plus dangereuses au monde. Le Sahel central, et en particulier la zone dite des trois frontières (Mali, Burkina Faso, Niger), a connu une intensification des violences au cours de la dernière décennie, opposant groupes armés non-étatiques aux forces de sécurité nationales et milices communautaires et provoquant des déplacements massifs de population.

Deux groupes terroristes salafistes y ont étendu leur emprise – le Jnim (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans), affilié à Al-Qaïda et l'EIGS (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans) affilié à l'État islamique –, exploitant le vide sécuritaire dans cette zone considérée comme l'épicentre mondial de l'extrémisme violent.

De l'autre côté du Niger, la zone du Lac Tchad – à la frontière entre le Niger, le Tchad, le Nigeria et le Cameroun – est elle aussi confrontée à une crise sécuritaire endémique liée à la présence de deux groupes rivaux issus de la scission de Boko Haram : l'EIAO (État islamique en Afrique de l'Ouest) et le JAS (Groupe sunnite pour la prédication et le jihad).  

Les zones du Liptako-Gourma et du Lac Tchad sont considérées comme les deux épicentres du terrorisme au Sahel.
Les zones du Liptako-Gourma et du Lac Tchad sont considérées comme les deux épicentres du terrorisme au Sahel. © Studio graphique France Médias Monde

En 2024, le Sahel a concentré plus de la moitié des décès liés au terrorisme dans le monde, soit 51 % du total global, un record historique selon le Global Terrorism Index 2025.

Depuis 2015, les enquêteurs de Conflict Armament Research (CAR) répertorient et tracent les armes et munitions récupérées dans ces zones pour en analyser la provenance. Leur rapport, publié lundi 28 avril, lève le voile sur la composition des arsenaux aux mains des groupes terroristes et les dynamiques locales du trafic d'armes.

Chine, Russie et Europe de l'Est

Cette recherche au long cours se base sur l'étude de plus de 700 armes récupérées par les forces de sécurité régionales auprès de groupes salafistes jihadistes, entre 2015 et 2023, dans la région du Liptako-Gourma (Mali, Burkina Faso, Niger) et dans la zone frontalière du lac Tchad.

"Nous travaillons en collaboration avec des services de police, de gendarmerie ainsi que des instances judiciaires, principalement au Burkina Faso, Mali et au Niger" explique Claudio Gramizzi, responsable des opérations de l'organisation en Afrique de l'Ouest. "Ces services conservent sous scellés une partie des armes saisies par les forces de sécurité auprès des groupes jihadistes. C'est ce matériel que nous analysons."

Première constatation, les stocks saisis sont composés quasi exclusivement d'armes de type militaire et en particulier de fusils d'assaut, à près de 80 %, ainsi que des fusils de combat, des lance-grenades, des mitrailleuses, des mortiers ou bien encore des lance-roquettes.

Les fusils d'assaut proviennent en très large majorité de Chine et de Russie, mais également dans une moindre mesure des pays d'Europe de l'Est (Pologne, Roumanie, Bulgarie). Enfin, il s'agit majoritairement de matériel ancien, vieux de plusieurs décennies : environ 65 % des armes ont été produites dans les décennies 1960, 1970 et 1980. Seules 34 des 726 armes analysées ont été produites après 2011, soit moins de 5 % du total.

Détournement du stock des armées

Pour identifier l'origine des armes, les enquêteurs ont analysé les numéros de série indiquant leurs lieux de production. Ils ont ensuite retracé leurs parcours, s'appuyant sur le code de marquage spécifique aux armes livrées au sein de la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest).

Ils ont ainsi pu établir qu'une fraction importante des stocks qui avaient initialement été livrés aux armées régionales, avait été détournée ou récupérée par les groupes jihadistes lors d'attaques. Dans l'enquête des experts, près d'un quart des armes saisies auprès de groupes salafistes jihadistes au Liptako-Gourma proviennent de la garde du Burkina Faso, du Mali et du Niger.

"Il ne s'agit pas de détournement au sens de corruption ou de complicité, bien que quelques cas existent", souligne Claudio Gramizzi. "Ces armes sont le plus souvent perdues ou abandonnées lors d'attaques jihadistes contre les forces armées."

Des butins de guerre régulièrement exposés par ces groupes par le biais de vidéos de propagande, comme récemment au Bénin, après une attaque du Jnim qui a fait plus de 50 morts dans les rangs de l'armée.

"C'est une manière pour les jihadistes de revendiquer leur puissance à des fins de recrutement, mais également de véhiculer des messages politiques et d'adresser des menaces aux États", poursuit l'expert.

Contrôle "strict" de l'arsenal 

Outre ce trésor de guerre, ces groupes possèdent également d'importants stocks d'armes issus de conflits antérieurs. Celles-ci circulent sur des marchés illicites régionaux, indique le rapport, vendues et achetées par différents acteurs, trafiquants, jihadistes ou membres de milices locales.

Selon les enquêteurs, les groupes terroristes vendent parfois des armes pour financer de nouveaux achats de matériels ou payer leurs recrues, notamment sous forme d'or. Mais ce phénomène demeure limité ; ils conservent le plus souvent un "contrôle strict" de leur arsenal.

"Dans ces zones, les armes sont très facilement accessibles car il s'agit d'un espace qui a été saturé pendant des décennies", souligne Claudio Gramizzi. "Il s'agit principalement d'armement d'infanterie peu élaboré, dont le fusil type Kalachnikov est le symbole, qui nécessite un minimum d'entretien et peut être conservé très longtemps."

"Rien ne suggère que le trafic d'armes représente une source de revenus importante pour les groupes jihadistes. Ils préfèrent conserver, voire faire grossir leur stock et bénéficient d'autres activités plus rentables comme le kidnapping, l'imposition de taxes aux populations et de la prédation des ressources locales."

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Approvisionnement local

Pour comprendre les circuits d'approvisionnement, les experts ont mené une analyse comparative entre les armes saisies auprès de différents groupes. Au sein d'un même territoire, les différents acteurs utilisent la même typologie d'armes, issues du trafic ou provenant des armées locales. Les enquêteurs n'ont pas identifié de réseaux d'approvisionnement entre les groupes du Liptako-Gourma et du Lac Tchad partageant la même idéologie – comme par exemple l'EIGS et l'EIAO –, ni de circuit incluant de quelconques acteurs extérieurs.

Des conclusions qui invalident le récit véhiculé parfois par les régimes militaires sahéliens, et notamment le dirigeant du Burkina Faso Ibrahim Traoré, faisant état de soutiens militaires aux groupes jihadistes venus de l'étranger.

Le rapport indique, au contraire, que le mécanisme d'approvisionnement demeure limité à un périmètre très restreint. À titre d'exemple, les armes de Libye, qui avaient circulé en grand nombre après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, ne représentent qu'un faible pourcentage – seulement 7 % - des armes identifiées par les enquêteurs. L'étude indique qu'elles ne sont arrivées qu'en petit nombre au Liptako-Gourma, vendues sur les marchés clandestins locaux.

"Les armes de Libye ont certes alimenté le trafic mais se sont probablement taries assez vite, du fait de la diminution des stocks mais aussi de la détérioration de la situation sécuritaire dans le pays, plongé dès 2015 dans la guerre civile", analyse Claudio Gramizzi.

Expertise menacée

Outre sa visée purement informationnelle, l'expertise du Conflict Armament Research a pour objectif d'accompagner les acteurs locaux, enquêteurs et praticiens du secteur pénal dans leur travail pour endiguer la prolifération du trafic d'armes. Il permet également de surveiller l'évolution des arsenaux aux mains des groupes jihadistes.

Une mission de plus en plus difficile, reconnaît Claudio Gramizzi. "En 2016 et 2017, nous avions pu visiter tous les tribunaux de grande instance au Burkina Faso. Mais déjà en 2021 et 2022, les conditions sur le terrain n'étaient plus les mêmes, il nous a été fortement déconseillé de retourner dans certaines localités dans le nord, le sud-ouest et du sud-est du pays. Il a fallu que le matériel nous soit acheminé", explique-t-il.

En plus de la dégradation de la situation sécuritaire, l'organisation doit composer avec un contexte politique de plus en plus tendu depuis l'arrivée des juntes militaires au pouvoir dans les trois pays. "Certains de nos partenaires, notamment l'Union européenne et le Canada, sont réticents à collaborer avec des régimes non-institutionnels et nos financements diminuent", regrette l'expert. "Il est également plus difficile d'obtenir des visas pour travailler dans ces pays, notamment pour les chercheurs ayant un passeport français."

En parallèle de la rédaction de leur rapport, les équipes de CAR ont continué à scruter les évolutions des flux d'armement au Sahel. Une tendance en particulier inquiète Claudio Gramizzi : l'augmentation du pourcentage de munitions très récentes au sein des stocks détenus par les groupes jihadistes. "Cette observation reflète la montée en puissance des armées régionales. Or cette course à l'armement alimente indirectement les stocks adverses. La réponse militaire est bien sûr nécessaire mais elle ne peut être l'unique facteur de solution. Le renforcement de la chaîne pénale et les mesures sociales sont également des facteurs essentiels."