Bruno Retailleau largement élu président des Républicains : l’homme de Beauvau, nouvel espoir de la droite

Il est des pertes irréparables et dont on parle avec pudeur. «La douleur de cette famille transperce le cœur», confie Bruno Retailleau, quelques semaines après le meurtre de Philippine, violée et tuée par un étranger sous obligation de quitter le territoire français. Ce jour d’automne, le ministre de l’Intérieur quitte les studios d’une radio. Il est tôt, le cortège file dans les rues de Paris quand retentit la sonnerie de son portable. Sur l’écran, «Philippine», prénom sous lequel il a dans un premier temps enregistré le numéro du père de la jeune femme. Les deux hommes échangent régulièrement. Ensemble, ils ont prié dans l’intimité du domicile familial. «Cet événement a été fondateur pour lui», témoigne l’un de ses proches. Un visage humain qui vient appuyer de toute sa tragédie l’exhortation de Bruno Retailleau, martelée dès les premières heures de sa prise de fonction : «Rétablir l’ordre, rétablir l’ordre, rétablir l’ordre.»

De la Vendée à la Place Beauvau, et de la Place Beauvau à la présidence des Républicains, après avoir récolté 74,3% des adhérents face à Laurent Wauquiez, le pas est immense. Une revanche peut-être alors qu’en 2022, cet ancien compagnon de Philippe de Villiers avait échoué à prendre la tête du parti. Des années passées dans l’ombre des couloirs princiers du Sénat, une école où l’on apprend à ménager avec une courtoisie presque aristocrate les sensibilités singulières. Ce lieu, celui de la recherche du compromis, lui va bien. Au Palais du Luxembourg, l’on décrit un homme «retenu», d’un «commerce agréable» qui «bosse ses dossiers». Qu’on ne s’y trompe pas : «Derrière le gentilhomme qui maîtrise à la perfection les codes de la bienséance, c’est un fin politique», prévient un sénateur LR. Après avoir quitté la rive gauche de la capitale pour succéder à Gérald Darmanin au gouvernement, Bruno Retailleau n’a guère été étouffé par le sentiment d’être dépassé : «Tout mon parcours m’y a préparé.» Michel Barnier, alors premier ministre, lui donne carte blanche, lui qui pourtant avait demandé aux autres membres de son équipe gouvernementale de ne pas faire dans le clinquant. Cela tombe bien, «Bruno, c’est la tempérance», dit souvent son entourage. S’il doit prendre la lumière, ce n’est pas en se mettant personnellement en scène, assure-t-on. Mais en définissant un «cadre d’action», martèle-t-il, fondé sur la «polémique positive». Celle qui, au fond, est de nature à déplacer le curseur idéologique du débat médiatico-politique «parisien», comme il aime à le fustiger.

«Un homme qui a des convictions profondes»

Et voilà que par un improbable alignement des planètes, celui que certaines langues narquoises chez LR qualifiaient de «personnage secondaire» se voit propulser sur le devant de la scène. S’en rend-il compte ? Bruno Retailleau devient l’un des ministres les plus exposés. En privé, il assure que cette notoriété soudaine ne lui fait «ni chaud, ni froid». En attendant, ses fidèles, Vendéens eux aussi, n’y sont pas insensibles. Peu à peu, on songe à la chaise vide de la présidence du parti. On le presse. Mais les encouragements se heurtent à une forme d’imperméabilité. «Tout le monde est prêt. Mon plus grand problème, c’est lui», répétera l’un de ses amis. Une autre de ses connaissances, qui gravite dans le cercle politique et littéraire, relève cependant : «C’est un homme qui a des convictions profondes et qui n’en dérogera pas. Son ambition est de les porter, il ne faut pas sous-estimer un petit côté messianique. C’est le propre des types maigres. Bruno de Nazareth ! Mais ce n’est pas un fou comme Emmanuel Macron, par exemple. Bruno Retailleau est un être à deux dimensions, plutôt du genre à lire Le Grand Meaulnes que Les Nourritures terrestres Un petit côté monacal, charrie affectueusement Hervé Marseille. «Bruno, quand il fait la fête, il boit de l’eau avec des bulles !», image le chef des centristes au Sénat.

L’entourage de Bruno Retailleau, lui, qualifie cela de «sobriété». À leurs yeux, c’est un atout : «Les Français en ont marre des types flamboyants qui se rêvent un chemin jusqu’à l’Élysée.» Sans doute le Vendéen (catholique, ce n’est guère un secret), ne croit-il pas au concept du destin : rien n’est joué d’avance et il serait fort imprudent de croire que l’on peut forcer les événements. Ce qui le met en mouvement, répète Bruno Retailleau, c’est «l’utilité». Et tout le reste est jouer aux dés, comme l’écrit Aragon.

Il n’empêche, le Vendéen se lance dans la course à la présidence LR, sachant pertinemment qu’il pourrait ouvrir un front avec Laurent Wauquiez. Avant même que le premier ne déclare sa candidature, la relation entre les deux hommes n’était pas au beau fixe. La méfiance, entre les deux camps, grandissante. Chez les «wauquiézistes», on sent venir «le coup de la candidature spontanée». Chez les «retaillistes», on relève les «sales petits coups». «Une nuisance», renchérit-on du côté de Michel Barnier qui estime que s’il n’a pas provoqué sa chute, Laurent Wauquiez n’a «certainement rien fait pour l’empêcher». Il y a une rancœur ancienne et tenace entre les deux hommes qui a fini par matérialiser en le refus de l’ancien négociateur du Brexit de l’intégrer dans son gouvernement. Quelques jours avant que Michel Barnier choisisse ses ministres, il se rend aux journées parlementaires LR à Annecy, son fief savoyard. «Laurent ne voulait pas qu’il vienne», certifie une voix au sommet du parti qui assure avoir échangé avec le patron des députés LR ce jour-là. «Mais tu ne vas quand même pas chasser Michel de Haute-Savoie ?». Finalement, les LR font une belle photo de famille. La droite unie, et un joli sourire au coin des lèvres.

«Retailleau au gouvernement, c’était gravé dans le marbre»

«À force de voir les petites conneries de Wauquiez, Retailleau a fini par être moins naïf», croit savoir un élu LR. Cela importe. Car, à entendre les très proches du ministre, sa candidature est intimement liée au «cas» Wauquiez. «Je ne peux pas laisser notre famille politique entre les mains de quelqu’un de si brutal», dit-il en privé. Alors que Michel Barnier est sérieusement menacé par la censure, Laurent Wauquiez fait part de toute sa défiance devant les députés LR : «Notre engagement en septembre ne valait que pour Michel Barnier». Quand Bruno Retailleau, lui, après la chute du premier ministre, conditionne sa participation au futur gouvernement à cette seule ligne rouge : «La nomination d’un premier ministre de gauche.»

François Bayrou est finalement choisi par Emmanuel Macron. Le président du MoDem veut reconduire le ministre de l’Intérieur. «C’est la seule personne qu’il voit, avant même sa nomination. Il ne le connaissait pas mais cela s’est très bien passé.» Après s’être croisés à l’inauguration de Notre-Dame, les deux hommes se donnent rendez-vous dans les jours qui viennent. «Retailleau au gouvernement, c’était gravé dans le marbre», raconte un visiteur du soir à Matignon.

François Bayrou lance les consultations. Les patrons des différentes forces politiques se rendent à Matignon. Gabriel Attal, Édouard Philippe... et Laurent Wauquiez, à quelques jours de Noël. Les murs ont des oreilles. Auprès du premier ministre, le patron des députés LR suggère une liste de noms parmi lesquels Nicolas Daragon, qui le soutiendra plus tard dans la campagne interne. Comme l’Assemblée nationale n’a pas de majorité et que les oppositions venaient de prouver qu’un gouvernement pouvait tomber, François Bayrou tâte le terrain. LR se placera-t-il parmi les forces politiques d’appoint ? «Wauquiez l’a coupé et lui a dit qu’il n’était pas venu pour parler de ça», glisse-t-on. «Le sujet, ce n’est pas les autres, le sujet c’est moi. Je veux Bercy», lance le député de Haute-Loire.

Au départ, le premier ministre se montre plutôt ouvert à son entrée au gouvernement. «Laisse-moi réfléchir.» Un jour passe quand l’hôte de Matignon lui propose un «grand ministère du Travail». «Tu passes ton temps à ne parler que de ça, de travail, d’assistanat et moi, je veux défendre la réforme des retraites.» Wauquiez refuse. C’est Bercy ou rien. Le portefeuille ne lui revient pas. «À partir de là, Retailleau au gouvernement est plus que jamais devenu un sujet dans sa tête», glisse une source gouvernementale.

La confiance rompue entre Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau

Quand, dans une lettre aux militants, le ministre annonce se lancer, le camp adverse crie à la traîtrise et dénonce la rupture d’un pacte que les deux hommes auraient passé l’été dernier : Bruno Retailleau au gouvernement, Laurent Wauquiez au parti. Dans Paris Match, ce dernier affirmera plus tard : «Chez nous en août, il disait à Charlotte [l’épouse de Laurent Wauquiez] : “Je soutiendrai Laurent jusqu’en 2027, quoi qu’il arrive. Je vous le promets”». En privé, Bruno Retailleau s’étonne. Un proche rapporte : «Il n’a jamais dit ça. Jusqu’à cet été, Bruno croyait vraiment en Laurent. Il l’a confié au couple Wauquiez mais plutôt sur le mode de ‘‘Qui d’autre pour LR ?’’.» La confiance entre les deux hommes s’étiole, les ambitions s’aiguisent. «Quand il a soulevé le capot, il a compris. Bruno n’aura plus confiance.»

La campagne traîne. La mission ministérielle conjuguée aux réunions publiques impose un rythme haletant. Bruno Retailleau n’est pas le plus gros des dormeurs mais en voiture, en train ou dans l’avion, il s’octroie de petites siestes. «Alors, comment ça se présente ?», le presse François Bayrou quand il le croise. «Tu vas gagner !», l’encourage Gérald Darmanin. «En quoi puis-je t’aider ?», lui écrit François Fillon dans la dernière ligne droite. «Tout le monde s’intéresse à cette campagne», s’enthousiasme une source gouvernementale macroniste. Emmanuel Macron compris, à en croire son entourage. «Pour Macron, Retailleau est une case comme tous les autres. S’il est populaire, il s’en sert», avance une source qui connaît bien les deux hommes. «Tout ce qui peut affaiblir Attal et surtout Philippe, il prend.»

Un ancien président de la République, naturellement, prend le pouls. Nicolas Sarkozy et Bruno Retailleau échangent régulièrement. Il y a quelques jours, l’ex-chef de l’État estime dans un cadre très privé la probable victoire du ministre de l’Intérieur. «Mais il devrait taper plus fort sur Wauquiez», médite en substance Nicolas Sarkozy. Chacun son style. «Retailleau, c’est un sénateur. Pas le genre à mener une guerre.» Plus marin que soldat, le ministre de l’Intérieur sait bien que qui tient la mer, opiniâtre, tient la terre. La mer, ce sont les imprévus de son ministère : l’issue, inconnue, de son bras de fer diplomatique avec l’Algérie ; l’impatience de ceux qui attendent des résultats sur la sécurité et l’immigration ; la preuve d’une liberté d’action pourtant entravée par l’absence d’une majorité au Parlement. La terre, c’est la maison LR qui guette la moindre action de la droite enfin au gouvernement après une si longue absence.

«Il lui faut inventer quelque chose»

«Il est resté lui-même», se félicite l’un de ses proches, relevant le dernier numéro de Paris Match dans lequel le ministre pose. «C’est le contraire de Wauquiez qui pose avec sa femme, ses enfants et son chien.» D’ailleurs, quand le magazine conditionne sa «Une» à une photo de famille, le locataire de Beauvau rétorque : «Alors dans ce cas, je n’aurai pas la Une.» Pas son genre. Pas convaincu que ce type de mise en scène ne serve à quelque chose. Récemment, Bruno Retailleau a croisé l’un de ses professeurs à Sciences Po, Pascal Ory. «Je me souviens très bien de vous, vous étiez différent.» A l’un de ses interlocuteurs, Bruno Retailleau développe : «J’étais un paysan, pas habillé comme les autres et qui rentrait au Puy du Fou tous les week-ends.» L’historien poursuit : «Il y a une chose qu’on ne peut pas vous retirer : quand je vous écoute, je me dis que l’homme devant moi n’a pas varié depuis l’étudiant.»

À présent qu’il est à la tête de LR, tout l’attend. Le plus gros dossier étant : son double statut de président de parti et ministre au sein d’un gouvernement alors que «sonne la fin de l’ère macroniste». Un poids lourd centriste médite : «J’espère qu’il y aura une vraie animation du socle désormais.» Ou bien, cela peut-il finir par une démission prochaine ? Ses adversaires ne manqueront pas d’appuyer sur ce point avec, toujours en ligne de mire, l’échéance de 2027. «Il lui faut inventer quelque chose. Mais il restera fidèle à ce qu’il est», assure-t-on. Dans sa sacoche, le ministre a un petit calepin. Le réceptacle de prises de notes, de chiffres, d’idées... et parfois de citations. Dont celle-ci : «Fidèle enfin au sang qu’ont versé dans ma veine Mon père vieux soldat, ma mère vendéenne». Victor Hugo.