Regard sur le déficit croissant nos filières en fruits et légumes
Gérard Le Puill
Peu visibles sur le Salon de l’Agriculture, les filières françaises des fruits et légumes voient leur déficit commercial augmenter d’année en année. Faire croître les volumes de tomates, des fraises, de pommes et de pêches importées permet aux enseignes de la grande distribution de faire baisser les prix payés aux producteurs français, en spéculant sur le fait que ces produits sont rapidement périssables.
Depuis plusieurs années, la coopérative bretonne Savéol est présente sur le Salon de l’agriculture et fait déguster ses tomates-cerises et ses fraises de Plougastel-Daoulas aux visiteurs. Présidée par Pierre-Yves Jestin, cette structure au chiffre d’affaires annuel de plus de 225 millions d’euros voit la production de ses différentes variétés de tomates atteindre 86% du chiffre d’affaire annuel contre 12% pour la fraise, les trois autres productions étant le concombre, le poivron et la salicorne. Savéol, en langue bretonne, signifie « lever du soleil ». C’est la seule coopérative européenne à élever des insectes polinisateurs qui sont lâchés dans les serres au moment de la floraison qui précède la production des légumes et des fruits.
En France, en langage économique, on donne le nom de fruits tempérés aux cerises, pommes, poires, abricots, nectarines, pêches et prunes pouvant être produits sous le climat de notre pays et de ses voisins. En valeur, les importations françaises de ces fruits tempérés ont augmenté de 106% entre l’an 2000 et l’année 2023. Du coup, selon FranceAgriMer, le déficit de notre balance commerciale pour ces seuls fruits tempérés était de 1,1 milliard d’euros en 2023. Depuis 2014, ce déficit s’est beaucoup creusé et, par ordre décroissant, les importations proviennent d’Espagne, du Maroc, d’Italie, de Belgique et de Turquie. 78% des fruits qui pourraient être produits en France proviennent de ces cinq pays dont deux ne sont pas membres de l’Union européenne.
Toujours plus d’importations en fruit et légumes de saison !
Toujours selon les chiffres fournis par FranceAgriMer, en légumes frais, la branche commerciale de la France était négative à hauteur de 1,5 milliards d’euros en 2023. FranceAgriMer précise que le déficit « s’est creusé avec l’augmentation des importations provenant des pays membres de l’Union européenne, puis plus récemment, par la hausse des importations provenant des pays tiers ». Ici encore, les principaux fournisseurs de la France en légumes frais sont par ordre décroissant l’Espagne, le Maroc, la Belgique, les Pays Bas et l’Italie. 87% des importations françaises de légumes frais proviennent ces cinq pays. Au total, 40% des légumes frais et 60% des fruits de saison consommés par les Français sont importés. Pour la totalité des fruits et légumes, le déficit de la balance commerciale française était de 3,3 millions de tonnes et de 5,4 milliards d’euros en 2023. La pomme de terre posait d’autres problèmes que nous analyserons dans un prochain article.
À partir des différents documents que nous avons consultés, il apparaît que l’augmentation de la dépendance française aux importations de fruits et légumes est principalement liée à une diminution structurelle de la production nationale plutôt qu’une hausse de la consommation. Mais comme les principaux exportateurs qui livrent nos grandes enseignes sont l’Espagne et le Maroc, les très bas coûts d’une main-d’œuvre surexploitée au Maroc et souvent clandestine en Espagne permettent aux importateurs français d’avoir des fruits et légumes bon marché et des marges plus élevées. En 2020 , la France avait importé 350.000 tonnes de tomates fraîches en provenance du Maroc ; en 2023 ces importations en provenance du Maroc atteignaient 507.000 tonnes. On constate désormais que les nappes phréatiques du Maroc et de l’Espagne sont en train de s’assécher à force d’en pomper l’eau pour l’irrigation des fruits et légumes d’exportation, au point que le recours au dessalement de l’eau de mer y augmente d’année en année.
Des contrats exemplaires en légumes de conserve
Quand on passe des fruits et légumes frais aux produits transformés vendus en boîtes de conserves ou surgelés, on apprend qu’en 2023, 32% des légumes et 21% des fruits produits en France étaient destinés à la transformation. La production s’effectue sur environ 15.000 exploitations agricoles et 153.600 hectares souvent sur la base de contrats annuels avec un prix fixé à l’avance pour un volume donné dans le respect du cahier des charges. Il s’agit souvent de haricots verts récoltés quand ils atteignent la meilleure qualité gustative. Bonduelle, la principale entreprise de ce secteur, signe des contrats annuels de ce type avec ses fournisseurs pour des produits aussi variés que les haricots verts, les petits pois, les carottes, les choux de Bruxelles et le maïs doux vendu en boîte. Lors de plusieurs voyages de presse, les producteurs que nous avons rencontrés ces dernières années disaient apprécier ces contrats annuels dont le respect permet de sécuriser le revenu.
Mais revenons aux fruits et légumes frais produits en France sans le moindre contrat et soumis à la concurrence internationale. Entre 2000 et 2020, le taux d’auto-approvisionnement a chuté de 64,6% à 50,8%, ce qui représente une baisse de 13,8 points. La baisse atteint même 16,8 points pour les fruits frais, contre 10,8% pour les légumes. Les légumes les plus importés en France sont les tomates, les melons et les carottes. En serre ou de plein-champs, ils sont aussi faciles à produire chez nous que les pays dont on les importe.
On nous affirme aussi que les produits importés vendus moins cher dans les magasins permettent aux consommateurs de faire des économies. Mais selon l’Institut de données Kantar, « les achats de fruits et légumes frais pour la consommation courante à domicile se chiffrent à 160,1 kilos par ménage en 2023, enregistrant un recul de 4,7 kilos sur l’année précédente. Par rapport à la moyenne 2018-2022, les achats diminuent de 13 kilos par ménage. En revanche, les dépenses augmentent de 10,5 € par ménage sur un an, ce qui est lié à une augmentation du prix moyen payé à l’achat, passant de 2,87€ par kilo en 2022 à 3,02€ par kilo en 2023 ».
Ce que nous avons souvent dénoncé ici même ces dernières années se vérifie : sous la présidence d’Emmanuel Macron, ancien rapporteur de la Commission Attali en 2007-2008, on enrichit les patrons des grandes enseignes comme Leclerc , Carrefour et Auchan en faisant payer la note aux consommateurs et aux producteurs en même temps.
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