Une nouvelle attaque record, qui a cette fois frappé le cœur du pouvoir à Kiev. Les forces russes ont envoyé 810 drones et tiré 13 missiles sur l'Ukraine dans la nuit du 6 au 7 septembre. C'est la plus grande offensive russe de drones et de missiles depuis le début de l'invasion du pays, il y a trois ans et demi. Au moins cinq personnes ont été tuées, et un missile est même venu toucher le siège du gouvernement ukrainien dans la capitale – une première depuis 2022.
Face à "des vagues de centaines de drones et de missiles russes" nuit après nuit, un collectif français, Skyshield, a récemment plaidé pour une initiative : la défense du ciel ukrainien par les alliés européens de l'Ukraine. "Nous appelons tous nos pays à rejoindre formellement la coalition Skyshield et, en particulier, le président Emmanuel Macron et le Premier ministre [britannique] Keir Starmer, en engageant leurs moyens aériens et logistiques pour protéger l’espace aérien ukrainien", défend ce collectif dans une pétition. Mardi 9 septembre, le texte avait recueilli près de 45 000 signatures.
Un premier objectif, "protéger certaines villes"
Très concrètement, cette protection des airs s'organiserait en deux volets : l'installation de radars et de systèmes d'interception "directement en Ukraine", et des "patrouilles aériennes" déployées près des frontières ukrainiennes, en Pologne ou en Roumanie par exemple. Cette ligne de défense serait "loin de la ligne de front", et servirait exclusivement à "intercepter les missiles et drones visant les civils dans les zones arrière", défend le collectif.
L'objectif "est de protéger certaines villes" qui ne sont pas proches de la ligne de front, développe auprès de franceinfo Xavier Tytelman, l'un des initiateurs de la pétition. Celui-ci évoque Lviv à l'ouest de l'Ukraine, Kiev ou Odessa dans le sud, près de la Moldavie et de la Roumanie. "D'abord, on protège deux, trois ou quatre villes. Si on protège uniquement [la moitié] ouest de l'Ukraine, on parle d'une quinzaine de villes et de points importants" tels que des centrales nucléaires, anticipe le consultant en aéronautique et défense.
Dans un tel scénario, l'ancien militaire estime qu'une "trentaine" de batteries de défense antiaérienne sont nécessaires, tout comme un maximum de "2 000 hommes" dédiés à cette protection. Quant aux forces aériennes en Pologne ou en Roumanie, "il faudrait deux ou trois avions [mobilisables] proches de chaque ville frontalière que l'on veut protéger", comme Lviv ou Odessa, avance Xavier Tytelman.
"Ensuite, c’est un jeu de chaises musicales : les Ukrainiens peuvent récupérer un certain volume de forces [de défense antiaérienne], qu’ils vont pouvoir redéployer sur des villes plus proches du front."
Xavier Tytelman, co-initiateur du collectif Skyshield Franceà franceinfo
Derrière cette pétition française, l'ONG Price of Freedom (Le prix de la liberté), fondée en mars par l'ancienne députée ukrainienne Lesia Orobets, a également développé sa vision d'un "bouclier du ciel" au-dessus de l'Ukraine. Il s'agirait de mettre en place une "zone de protection aérienne intégrée dirigée par l'Europe" pour la moitié ouest du pays, à l'aide de "patrouilles aériennes de combat". Ses demandes sont plus élevées que celles de la pétition, puisqu'elle évoque 120 avions européens prêts à intervenir pour cette défense antiaérienne. Grâce à ces appareils, "Skyshield peut avoir un
L'obstacle d'un "manque de volonté politique"
Les défenseurs du projet appuient notamment sur un argument : le fait que des pays occidentaux ont déjà mené des campagnes aériennes "bien plus larges", comme au Kosovo en 1999. "Nos armées [française notamment] ont déjà intercepté des drones houthis visant des navires commerciaux en mer Rouge, et des missiles iraniens lancés contre Israël", ajoute le collectif Skyshield France dans sa pétition.
Pourraient-elles faire de même au-dessus de villes ukrainiennes ? Sur le plan des batteries de défense antiaérienne, "l'idée serait d'avoir un système Patriot par grande ville (…) Cela me paraît jouable", analyse auprès de franceinfo Ulrich Bounat, chercheur associé à Euro Créative et auteur de La guerre hybride en Ukraine, quelles perspectives ?. "Si ce système se met en place, on peut s'attendre à voir deux ou trois systèmes Patriot arriver dans les prochains mois." A titre de comparaison, les forces ukrainiennes ont reçu huit batteries de défense antiaérienne Patriot en trois ans et demi, selon l'Institut Kiel, un centre de recherche allemand documentant le soutien à l'Ukraine. Elles ont aussi obtenu des dizaines d'autres systèmes pour la défense des airs. L'ordre de grandeur envisagé par le collectif Skyshield France semble donc réaliste.
"Le vrai problème, c'est qu'après, il faudra fournir les personnels et les missiles. Cela pose une question de soutenabilité, de tenabilité à long terme."
Ulrich Bounat, spécialiste de la guerre en Ukraineà franceinfo
Un problème également soulevé par Léo Péria-Peigné, chercheur au centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (Ifri). "Les quantités sont limitées, et ce sont des armes pensées pour des menaces pointues, mais peu nombreuses", développe le spécialiste auprès de franceinfo. "Là, on fait face à des menaces de 800 drones par soir" en Ukraine. Quant aux patrouilles menées par des avions basés hors de l'Ukraine, "on peut le faire si la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne et des pays nordiques déploient quelques appareils". L'objectif de 120 avions disponibles semble néanmoins très, voire trop élevé à ses yeux. "Et cela requiert une mission complexe, une coordination assez fine."
Au-delà des ressources existantes, il existe un certain "manque de volonté politique", observe Léo Péria-Peigné. "Des options sont envisagées pour après la signature d'un cessez-le-feu", comme les garanties de sécurité présentées par la "Coalition des volontaires", le 4 septembre. "C'est très différent de s'investir directement pour fermer le ciel ukrainien."
"Il y a une crainte des réactions des opinions publiques s'il y a des morts. Il y a également la question du coût. Skyshield est faisable s'il y a une volonté politique."
Léo Péria-Peigné, chercheur à l'Institut français des relations internationalesà franceinfo
La question de personnels européens en Ukraine, en appui des systèmes de défense antiaérienne, est en effet clivante. "Certains pays sont peut-être prêts à le faire (…), mais le déploiement de forces européennes sur des systèmes de batteries me semble improbable sans cessez-le-feu, réagit Ulrich Bounat. L'option est peut-être une force aérienne basée en Pologne ou en Roumanie, si les Américains sont d'accord et s'engagent à garantir la sécurité de cette opération." Ce soutien des Etats-Unis, pour le spécialiste, sera "clé".
La réaction russe en question
Car une implication européenne en Ukraine fait craindre un risque d'escalade avec la Russie à certains experts. "On ne ferait qu'intercepter des missiles qui visent des cibles illégitimes. Ce n'est pas une escalade de protéger des civils", défend l'ancien militaire Xavier Tytelman. Néanmoins, "c'est le Kremlin qui décidera s'il s'agit d'une escalade ou non", note Ulrich Bounat. Le président russe, Vladimir Poutine, a récemment affirmé que toute force occidentale en Ukraine serait une "cible légitime", "surtout maintenant". "Au-delà de la posture rhétorique, les Russes prendraient-ils la décision de frapper ces troupes [européennes] ? Difficile à dire. Ils ont quand même conscience des risques qu'ils prennent", développe Ulrich Bounat.
Une réplique russe n'est pas impossible en cas de "bouclier du ciel" européen en Ukraine, mais "ménager la Russie n'a mené à rien" ces dernières années, poursuit le chercheur Léo Péria-Peigné. Et lancer une telle protection "serait une démonstration de puissance assez importante de la part de l'Europe", estime-t-il. Jusqu'à pousser le Kremlin à négocier un cessez-le-feu et la paix avec Kiev ? Les défenseurs de Skyshield veulent y croire.