LE FIGARO. - Vous êtes attendue à Toulon comme présidente d’honneur de l’édition 2025 . Passer de la Côte d’Émeraude à la Côte d’Azur, ce n’est pas trop violent ?
Aurélie VALOGNES. - Je vais assurément faire une insolation et finir rouge écrevisse, mais je m’assurerai de vous apporter le soleil de Bretagne.
Passer la publicitéPlacée sous le signe de l’émancipation féminine, cette édition rendra hommage à Françoise Sagan, qui la symbolise. L’écrivain vous touche-t-elle ?
Tous les auteurs féminins qui ont eu l’audace d’assumer plume et personnalité, fond et forme révolutionnaires, me touchent intimement. Sagan (et son Bonjour tristesse en 1954), donc, mais aussi Annie Ernaux, Marguerite Yourcenar, Emily Dickinson, Patti Smith ou Virginia Woolf. Elles ont ouvert la voie et aujourd’hui, grâce à elles, le mot « écrivaine » existe et permet à certaines femmes d’oser d’écrire.
Dimanche, au salon, vous avez choisi d’inviter un bioacousticien, Olivier Adam. Vous êtes intéressée par le sanctuaire Pelagos et ses mammifères marins. Un sujet qui vous tient vraiment à cœur ?
J’ai la chance d’habiter au bord de la mer, et la protection du vivant, l’émerveillement face à la beauté de la nature et à sa poésie sont au cœur de ma vie et de bon nombre de mes romans. D’ailleurs, dans La Fugue, je me suis appuyée sur la biologiste marine Rachel Carson et la philosophe Simone Weil pour ancrer leur prise de parole « précurseuse » dans notre époque.
Pour aimer et protéger, il faut d’abord connaître. Si, grâce à cette carte blanche, certains Toulonnais découvrent les merveilles qui se cachent juste sous leurs yeux, peut-être auront-ils envie de s’engager, de protéger et de faire connaître ses espèces à leur tour. Car il n’y a pas besoin de partir au bout du monde pour aller observer baleines, cachalots, globicéphales, dauphins et autres tortues caouannes. On peut tous, à notre échelle, agir et prendre soin des paysages qui nous entourent et des êtres qui y vivent. Et puis, la Méditerranée a autant besoin de nous que nous avons besoin d’elle. Le livre de Simonetta Greggio et Olivier Weber, Un été en mer, le montre très bien.
Passer la publicitéSinon, on peut toujours relire Moby Dick, de Herman Melville, ou Séquoias, de Michel Moutot, pour se remémorer un temps pas si lointain où l’humain causait déjà des dommages irréversibles, tout aussi graves que les collisions et les pollutions sonores d’aujourd’hui.
Sensibiliser sur l’urgence climatique et sur l’importance de la lecture, qui est elle aussi à encourager et à sanctuariser dans nos vies, ce sont les deux grandes causes de ma vie. Et de mes romans.
C’est unique de passer une semaine entre femmes, à vivre ensemble dans une même maison, dans un esprit d’idiorythmie et d’entraide, coupées du monde, du travail et de la famille, à ne faire qu’écrire et parler littérature
Aurélie Valognes
Votre dernier roman, La Fugue , est l’histoire d’une femme qui fait le choix de tout quitter pour se reconstruire en achetant une maison à retaper dans le Finistère. Est-ce en achetant la maison qu’occupa trente ans Jane Birkin que vous est venue l’idée du livre ?
C’est plutôt l’inverse. J’avais l’idée d’écrire un roman sur une femme qui, décidant de tout quitter, part dans une nature sauvage, trouve une cabane et se reconstruit seule grâce à des livres. J’ai une obsession depuis toujours pour les récits d’ermite, comme celui de Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, ou ceux de Thoreau, de Jack London ou des Québécoises Hélène Dorion et Gabrielle Filteau-Chiba et son Encabanée. Je voulais faire vivre à mon héroïne la fugue sauvage dont j’avais toujours rêvé. Et finalement, je me suis demandé ce qui me retenait de chercher moi aussi un lieu à moi, où je pourrais écrire et lire, au bord de l’eau, dans le silence et la solitude, avec de grands arbres et de petits animaux. Et j’ai trouvé une maison dans le Finistère, loin de tout, loin surtout d’être une petite cabane…
Est-ce que cette maison dégage des ondes positives ? Autrement dit, tombe-t-on amoureux d’une maison comme d’une personne ? Et y avez-vous écrit sur place ?
Passer la publicitéCette maison a été un coup de cœur. Une évidence. Pourtant, ayant grandi au septième étage d’une tour HLM de Massy, ce n’était pas écrit d’avance. Mais c’était comme si je rencontrais la maison dont j’avais toujours rêvé, celle qui était faite pour moi. Pour mes aspirations de liberté, de littérature et d’appel sauvage. J’ai tout de suite senti qu’elle m’accueillait, qu’elle me laisserait la place sans jamais m’écraser, et j’ai succombé. Je savais que j’y serais bien. Ce lieu a une âme artistique et poétique, par son histoire, d’abord, mais aussi par son architecture, sa verrière, sa bibliothèque et son jardin. C’est un havre de paix, où j’ai eu la chance d’écrire le premier jet de La Fugue, inspirée par le temps changeant et le silence des lieux, par les marées et les saisons. Pendant l’écriture, la maison, comme une muse, soufflait vers moi le vent de l’inspiration, me suggérant d’en faire une héroïne à part entière. J’ai longtemps résisté parce qu’il s’agissait de ne surtout pas raconter ma vie, mais celle de tant de femmes qui, un jour, font le pari de leur émancipation. J’ai fini par abdiquer et y ai glissé quelques rares détails, comme la bibliothèque qui accueillait encore quelques livres de Cornouailles, le mur vert anglais et les roses du jardin.
Vous avez décidé d’en faire, deux fois par an, la « Maison des écrivaines ». Où en êtes-vous de ce projet ? Et pourquoi cette envie ?
Quand je suis entrée dans cette maison bien trop grande, compte tenu de la cabane que j’avais imaginée, je me suis dit qu’elle ne serait pas trop grande si j’y abritais le bon projet. Il m’a suffi d’y déambuler seule pour sentir que cette maison voulait accueillir la vie et qu’il fallait la partager. J’ai donc aussitôt décidé d’en faire la « Maison des écrivaines », afin d’y recevoir, deux fois par an, cinq femmes, pour qu’elles avancent sur l’écriture d’un manuscrit déjà commencé. C’est un projet que j’aurais imaginé pour ma retraite, pas à 42 ans, mais c’est une initiative aussi inattendue et inespérée que passionnante et enrichissante. Une session test a eu lieu en septembre avec cinq aspirantes « écrivaines », talentueuses et travailleuses, que j’ai sollicitées une à une, mais qui ne se connaissaient pas entre elles. L’idée était de vérifier, avant l’ouverture officielle lors des sessions de mai et juin prochains, l’aménagement des chambres et des espaces communs, ainsi que les recettes de mon amie cuisinière.
Cette retraite d’écriture fut une expérience formidable, une véritable source de joie, de transmission et d’apprentissage, même pour moi. C’est unique de passer une semaine entre femmes, à vivre ensemble dans une même maison, dans un esprit d’idiorythmie et d’entraide, coupées du monde, du travail et de la famille, à ne faire qu’écrire et parler littérature. C’est encore rare aujourd’hui pour une femme de faire passer son projet d’écriture en priorité.
Et ces « écrivaines »-là n’ont pas chômé. Déjà, en octobre, trois d’entre elles m’ont confié leur manuscrit, je les ai lues et les ai aiguillées, elles les ont retravaillés, et un premier roman est en lecture auprès d’éditeurs dont j’aime les textes qu’ils défendent. J’espère qu’ils seront sensibles à cette histoire de mer, de grands cétacés et d’espoir et j’espère aussi que le livre sortira au printemps afin que nous assistions, l’auteur et moi, à certains salons ensemble. J’ai d’ailleurs fini d’écrire mon nouveau roman, le douzième, auprès de ces femmes, dans cette maison, où mes thèmes les plus chers étaient réunis : transmission, liberté, littérature, poésie et émerveillement.