"Arcane" sur Netflix : la série d'animation française qui a conquis le monde
L'époustouflante série d'animation "Arcane", coproduite par l'éditeur américain Riot Games et le studio français Fortiche, tire sa révérence samedi 23 novembre sur Netflix, au terme d'une saison 2 plébiscitée à travers le monde : le programme se classait la semaine dernière à la deuxième place des plus visionnés de la plateforme, derrière le combat de boxe entre Jake Paul et Mike Tyson. La série se payait même le luxe de voir sa première saison, diffusée en 2021, apparaître dans le top 10 mondial.
Cette saison 2 "fait entrer la série dans la légende de l'animation", ose le magazine culturel Télérama, avouant être complètement passé à côté du phénomène. Pour celles et ceux qui auraient raté un épisode, "Arcane" est une œuvre d'animation fantastique où l'action se déroule dans un univers steampunk, esthétique à cheval entre la science-fiction et la technologie du XIXe siècle. Elle mêle intrigues politiques et technologiques à travers la relation entre deux sœurs, Vi et Jinx, originaires de la cité souterraine de Zaun en conflit avec la ville prospère de Piltover.
Au-delà de son scénario inspiré des personnages du très populaire jeu vidéo de stratégie multijoueur "League of Legends", c'est surtout son style visuel innovant et dynamique qui a séduit bien au-delà du cercle des initiés : décors somptueux, mise en scène cinématographique, personnages soignés, "Arcane" se distingue également du tout venant par son animation sublime qui oscillent entre 2D à l'ancienne et 3D dernier cri. Une création qui repose sur une minutie extrême associant savoir-faire artisanal et haute technologie : chaque décor est peint à la main, tandis que des centaines de contrôleurs de mouvements corporels permettent de donner vie aux personnages.
"C'est cet alliage d'approches qui confère à nos productions une esthétique stylisée et reconnaissable. Nos équipes sont à cette image : avec un mélange de graphistes venant de l'animation 3D, de l'illustration ainsi que des profils plus techniques pour faire fonctionner ses différentes sensibilités ensemble", détaille Pascal Charrue, coréalisateur d'"Arcane" et cofondateur du studio Fortiche.
"La série tend vers l'excellence grâce à cette pluridisciplinarité", confirme Thierry Chevalier, expert du secteur et directeur d'AGR l'École de l'Image de Rennes. "Il faut aussi souligner que cette création disposait de moyens considérables pour que les images soient les plus percutantes et les plus pertinentes possibles."
L'éditeur américain Riot Games n'a en effet pas lésiné sur les moyens pour se faire une place au soleil dans l'industrie du divertissement. Selon le magazine Variety, "Arcane" est la série d'animation la plus chère jamais produite, avec un budget d'environ 250 millions de dollars pour les deux saisons.
La "Fortiche touch"
Le studio de Los Angeles a suivi une stratégie marketing bien connue consistant à puiser dans un jeu vidéo riche en récits la matière pour des séries, des événements d'e-sport, des bandes dessinées, de la musique ou encore des jeux de société.
L'intérêt d'un tel écosystème consiste à créer un cercle vertueux où les produits dérivés servent à attirer des nouveaux joueurs et vice-versa. Exemple en 2019 avec la série "The Witcher", adaptée de la série de livres et des jeux vidéo du même nom. Son succès sur Netflix avait permis de doper les ventes des livres d'Andrzej Sapkowski et celles du troisième volet du jeu développé par le studio polonais CD Projekt.
Pour mener à bien le projet "Arcane", Riot Games s'est associé dès 2013 au studio parisien Fortiche, réputé pour son travail visuel avec les groupes Gorillaz et Limousine. "Il y avait des studios plus établis en Amérique […] qui auraient été un pari plus sûr", se remémore auprès de l'AFP le directeur créatif de Riot Games, mais Fortiche a "un style si unique, un instinct créatif et une passion" tels que "cela méritait d'investir et de les aider à se développer", ajoute Christian Linke.

Depuis le carton surprise de la première saison d'"Arcane", récompensée par neuf Annies et quatre Grammy Awards, le studio fondé en 2009 par Pascal Charrue, Arnaud Delord et Jérôme Combe a changé de dimension. L'appui financier de Riot Games, devenu actionnaire en 2022, permet également à Fortiche d'avoir les reins assez solides pour mener plusieurs projets simultanément.
"Le studio a connu une croissance exponentielle ces dernières années. Nous sommes passés d'une équipe initiale de trois personnes en 2009 à environ 100 collaborateurs en 2017, avant d'atteindre 450 personnes pour la production de la saison 2 d'"Arcane", explique Pascal Charrue. "Ce succès a non seulement permis d'accroître nos capacités de production, mais aussi de faire exister Fortiche à un niveau international en devenant une référence dans le monde. Ça nous donne les moyens d'explorer de nouvelles opportunités très inspirantes comme le long métrage", se réjouit le producteur, rappelant que le studio sortira sur grand écran en 2026 "Penelope of Sparta", un film d'animation librement inspirée de "l'Illiade" et "l'Odyssée", et de la mythologie grecque.
Explosion du nombre de contenus
Après les productions Made in France, "Super Mario Bros" et "Ninja Turtles : Teenage Years", "Arcane" confirme la confiance accordée aux studios tricolores sur des licences d'envergure internationale. "Il y a vingt ans, il y avait une frontière entre le jeu vidéo et l'animation", se souvient Anthony Chevalier. "Cette frontière existe toujours, mais elle s'est beaucoup réduite, car aujourd'hui un jeu vidéo est presque fabriqué comme un film d'animation. Ça a tendance à booster la demande pour la 3D."
"L'idée d'adapter des jeux vidéo en séries ou films ne date pas d'hier, mais les résultats n'ont pas toujours été au rendez-vous. Ce qui a changé récemment, c'est une véritable montée en qualité. Avec 'Arcane', nous avons vu à quel point la communauté des joueurs est exigeante. Elle attend des adaptations qui enrichissent l'univers du jeu tout en respectant sa complexité", décrypte Pascal Charrue.
Avec son solide réseau d'écoles spécialisées, une créativité courtisée à travers le monde et un soutien constant des pouvoirs publics, les studios français d'animation disposent de toutes les armes pour jouer les premiers rôles dans l'adaptation d'univers vidéoludiques. D'autant que le secteur devrait aussi tirer profit du dynamisme du marché de la vidéo à la demande.
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Face à l'explosion annoncée du nombre contenus, le plan gouvernemental "La grande fabrique de l'image" prévoit un investissement de 350 millions d'euros d'ici à 2030 pour le cinéma, les séries, les jeux vidéo ou encore les effets spéciaux. Ce plan doit aussi permettre de renforcer les capacités de formation dans l'Hexagone.
"L'animation française a le vent en poupe et attire beaucoup de nouveaux étudiants, mais on ne sait jamais de quoi demain sera fait", prévient toutefois Thierry Chevalier. "Pour tenir notre rang, il ne faut pas nous reposer sur nos lauriers et nous adapter à l'évolution des métiers de l'animation", ajoute l'expert pointant notamment du doigt "le risque" des progrès de l'intelligence artificielle générative qui, comme d'autres secteurs, suscite autant d'espoir que d'inquiétude.