Raphaël Mezrahi ressuscite les débuts des stars de l’humour

Les effluves d’alcool, de papiers et de poussières parfois vieilles de plus d’un siècle chatouillent le nez. Un étroit chemin sinueux permet d’avancer au milieu des piles de bobines, bandes magnétiques, cassettes vidéo, magnétoscopes, écrans, scanners et agrandisseurs en tout genre. Un scalpel traîne sur un clavier. Derrière les portes de ce hangar de la vallée de Chevreuse se cache un paradis pour mystiques du son et de l’image. « Jean Dujardin, son rêve était de jouer Zorro, moi c’est Colombo », lance Raphaël Mezrahi. 

L’humoriste s’est donné pour nouvelle mission de ressusciter à partir de bandes magnétiques abîmées, les premiers spectacles des grands humoristes français. « J’en ai déjà sauvé une dizaine dont ceux de Dany Boon, Élie Kakou , Michel Boujenah et un numéro du “Tribunal des flagrants délires” , l’émission culte de France Inter avec Pierre Desproges et Luis Rego, dévoile-t-il. On peut les voir sur myCanal dans l’onglet Les Trésors de Raphaël Mezrahi. »

Les humoristes et leurs héritiers le remercient 

Dany Boon, le fils d’Alex Métayer, la fille de Sylvie Joly tout comme la sœur d’Élie Kakou lui sont reconnaissants. « Raphaël Mezrahi fait un travail extraordinaire », insiste Brigitte Kakou. Lui s’en sort par une pirouette : « J’aime pas les artistes, je suis amoureux d’eux. Mon vrai nom, c’est service public. Je vis dans le présent, 40 ans plus tard. »

 

Célèbre pour ses interviews décalées de stars et sa Nuit de la déprime, où une foule de vedettes accourt chanter ses chansons les plus tristes (*), ce tchatcheur pour qui « l’humour est un état d’esprit », a un peu disparu des mémoires. À 60 ans, cela ne l’émeut pas plus que ça. « Je n’ai pas d’ego, je ne suis pas en quête de boulot, à mon vieil âge j’ai fait le tour de tout. » Ces jours-ci, notre Indiana Jones de l’audiovisuel ne quitte pas le volant de sa Toyota grise. Quand il n’est pas chez lui dans l’Aube à s’occuper de ses dix-sept chats ou en Normandie auprès des ânesses dont il partage la propriété avec Brigitte Bardot, il roule jusqu’ici. « Je sauve des bandes magnétiques comme je sauve des animaux », explique-t-il tout en versant du mou à un félin qui rôde.

Le soutien de Rachida Dati

En ce début 2025, près de 500 bandes magnétiques couvertes d’une moisissure blanche conservent encore leur mystère. Avec sa bande de geeks dont son ami Sylvain Dietrich en espadrilles « pour ne pas démagnétiser les bandes », Raphaël Mezrahi a fort à faire. Si les archives de France Télévisions et de Radio France sont conservées à l’INA, celles des producteurs privés, notamment ceux qui travaillaient pour TF1 et LCI, ont le plus souvent été jetées et les serveurs écrasés. « Ces bandes se meurent. Il faut faire vite. D’ici à quinze ans, leur contenu disparaîtra à jamais, alerte-t-il. Il faut trois mois de restauration et de 5000 à 20.000 euros avant de découvrir ce qu’il y a dessus. Quels que soient le format de la bande et son âge, des têtes de lecture aux agrandisseurs, j’ai toute la logistique. J’ai une démarche de taré, je suis capable de faire 1000 bornes pour récupérer du matériel dans une zone industrielle. Je fais ce travail dans mon coin sans aucune aide publique. La chaîne Comédie ! a été la première à m’aider pour la restauration. Heureusement, François Bayrou a maintenu Rachida Dati comme ministre de la Culture. Elle connaît par cœur tout ce que je fais. Elle est autant convaincue que moi de l’importance de sauver ce patrimoine. Ces bandes représentent toute une époque. À la rentrée, elle va me présenter les bonnes personnes, si je peux aider à mon tout petit niveau, c’est bien volontiers. »

Mon vrai métier, c’est acousticien 

Raphaël Mezrahi, humoriste

Lui qui déconseille sa « fréquentation » tant il est « une éponge de toute la misère du monde » se révèle être un magicien du son. « On me connaît pour mes interviews mais elles représentent 5 % de mon temps. J’en fais encore. Celle de Jean-Claude Van Hamme reste à diffuser. Mon vrai métier, c’est acousticien », dit celui qui rêve d’organiser le premier concert philharmonique de haut-parleurs à Radio France. Il apportera ceux que Jacques Dutronc lui a offerts : 200 kg chacun.

Cette passion du son, il l’a depuis tout petit. Au début des années 1970, il installe une antenne ampli sur le toit de la maison familiale à Troyes pour capter le réseau de Reims. « J’étais le seul de la région à regarder Casimir et L’Île aux enfants en couleur et à choper FIP en modulation de fréquence. J’ai toutes les cassettes de Radio France de l’époque et trente ans de messages vocaux sur mon répondeur. Ceux qui veulent réécouter leurs proches décédés viennent me voir. Je possède l’archive pas du tout #MeToo de Serge Gainsbourg que tout le monde cherche. Au micro de Carbone 14, il réclame deux filles pour faire l’amour en direct. Tout cela, c’est ma vie. »

Le «Stéphane Bern du patrimoine audiovisuel» 

Avec ce tropisme, se transformer en « Stéphane Bern du patrimoine audiovisuel » a été une évidence. Tout a commencé pendant la pandémie, il a reçu un message sur son adresse courriel : wb9598répondez@gmail (le code du garde-côte dans Flipper le dauphin). Il a sauté dans sa Toyota, direction Belfort. Là, dans la cave de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Raymond Forni, noyées sous un mètre d’eau, il a découvert des centaines de bobines. « Elles y avaient été déposées par son fils qui est un copain mais personne ne savait ce qu’il y avait dessus », explique Raphaël Mezrahi. 

Des biologistes lui expliquent alors comment décoller la moisissure morte en chauffant les bandes. Après trois jours de four et un délicat nettoyage au scalpel, celles-ci sont numérisées. Il y découvre des centaines d’heures d’artistes à leurs débuts : Alex Métayer, Popeck, les Chevaliers du fiel, Yolande Moreau… « Des spectacles que personne n’a jamais vus ! » s’enthousiasme Raphaël Mezrahi en attrapant une nouvelle bande. Celle-ci contient le premier show de Jango Edwards. Lui n’avait pas son pareil dans les années 1980 et 1990 pour arroser les spectateurs de toutes les mousses et liquides possibles et se dévêtir sur scène. Il aimerait que toutes ces curiosités soient visibles sur une chaîne. 

En attendant Raphaël Mezrahi mérite également d’être remis à l’honneur. Au début de cette année, la jeune génération pourra découvrir son état d’esprit à la Groucho Marx grâce à sa « bande à dessiner ». Un album de sa confection où les cases remplies de bulles n’attendent plus que le dessin. « Je suis taré », répète-t-il en refermant la porte du hangar.  

(*) La onzième édition de la Nuit de la déprime aura lieu le 6 octobre 2025 aux Folies-Bergère à Paris (9e).