TRANSPARENCE. Comment les journalistes de France Télévisions recoupent-ils leurs sources dans le conflit entre Israël et l'Iran ?
Deux pays en guerre, deux dispositifs bien différents pour la rédaction de France Télévisions, qui est représentée en Israël mais pas en Iran. Dans le cadre de notre rubrique Une info transparente, Samah Soula, cheffe de service adjointe Actualités internationales, explique comment nous informons dans ce contexte.
Franceinfo : Nous avons des équipes en Israël et nous n'en avons pas en Iran. Pourquoi ?
Samah Soula : C'est assez simple. En Israël, France Télévisions a un bureau permanent basé à Jérusalem, avec une équipe complète qui couvre toute l'actualité du Proche-Orient. Lorsque la guerre a éclaté entre Israël et l'Iran, nous avons donc été capables de faire des directs, des reportages [comme celui-ci], de se rendre sur les lieux. En Iran, nous n'avons personne. D'abord, nous n'avons pas de bureau à Téhéran. Ensuite, il est difficile en général de se rendre à Téhéran. Il faut des visas qui sont compliqués à obtenir. Les autorités iraniennes les délivrent au compte-goutte, selon leur bon vouloir et leur agenda. Donc, pour l'instant, nous n'avons pas de journalistes de France Télévisions à Téhéran.
Il y a donc un déséquilibre de moyens entre les deux couvertures. Commençons par Israël. Comment fait-on pour y vérifier les informations ?
Nos journalistes racontent ce qu'ils voient. Ils vont filmer lorsqu'il y a un bombardement, des dégâts. Ils ont les moyens de se rendre sur ces lieux, de poser des questions aux témoins oculaires, aux victimes. Ensuite, ils ont accès aux autorités israéliennes. Ils peuvent les interroger, les interpeller sur des éléments qui n'auraient pas été assez clairs. Ils font un travail de journaliste de terrain. Ainsi, nous pouvons couvrir "facilement" Israël.
Et pour l'Iran ?
Pour l'Iran, c'est beaucoup plus compliqué puisque nous n'y sommes pas avec nos yeux et nos oreilles. Nous nous appuyons sur des contacts privilégiés tissés au travers de nos reportages, de nos expériences. Il y a beaucoup de journalistes de France Télévisions qui sont allés en Iran ces dernières années. Tout cela constitue de précieux contacts. Ces personnes témoignent, nous racontent ce qu'elles voient, ce qu'elles vivent. Elles peuvent parfois filmer pour nous. Pour la plupart, nous ne les montrerons pas, ne donnerons pas leur identité parce que nous protégeons cette source très précieuse. Nous les protégeons tout simplement des représailles possibles de la part des autorités.
"Nous nous servons beaucoup des réseaux sociaux parce que les Iraniens eux-mêmes postent des contenus. Mais cela ne veut pas dire qu'on prend tout ce qu'il y a sur les réseaux sociaux et qu'on vous le reverse ! Absolument pas !"
Samah Soulacheffe de service adjointe Actualités internationales
Nous disposons d'une équipe de vérificateurs qui s'appelle Les Révélateurs de France Télévisions, des journalistes extrêmement pointus, capables de vérifier la date d'une image, sa véracité, sa géolocalisation très précise [comme dans ce reportage]. Et avec tout ça, nous arrivons plus ou moins à équilibrer la couverture. Mais ça ne vaut jamais le terrain ! Nous bénéficions également du travail des agences internationales d'images. Il y a quelques agences qui sont présentes à la fois en Israël et en Iran qui fournissent des images que nous utilisons.
Quelles agences ?
Nous travaillons avec [l'agence américaine] Associated Press et avec l'Agence France-Presse, qui sont les deux agences [mondiales] auxquelles nous sommes abonnés. Il en existe une autre [britannique], Reuters, mais France Télévisions n'y est pas abonnée.
Les informations côté iranien sont plus difficiles à obtenir. Elles vous demandent plus de travail, mais en fin de compte, arrivez-vous à fournir des informations fiables ? Je pense en particulier aux bilans...
Je pense que le bilan iranien est invérifiable. C'est très clair : nous nous fondons sur les informations officielles données par les Iraniens, qui annoncent un bilan de plus de 200 morts depuis le début du conflit. Nous répercutons ce bilan, mais nous le sourçons. Nous ne vous disons pas : "Il y a 220 morts", comme si nous les avions comptés. Dans les conflits, on se fie toujours aux bilans officiels. Donc nous disons : "Il y a eu ce nombre de morts, selon telle source".
Dans ce conflit, comme dans beaucoup d'autres, des deux côtés, même si les régimes ne sont pas comparables, il y a beaucoup de propagande. Comment faire pour ne pas se contenter de renvoyer dos à dos les propagandes ?
Pour ne pas céder à la propagande, nous sourçons systématiquement. Par exemple, si nous diffusons une image qui nous est fournie par telle ou telle armée, tel ou tel gouvernement, nous le précisons dans notre commentaire et nous écrivons à l'écran : "Images fournies par l'armée israélienne" ou "Images de propagande de tel groupe ou tel autre groupe". Cette info-là ou cette image-là ne vient pas de nous, elle nous a été donnée, mais elle peut être intéressante, c'est pour ça que nous l'utilisons. La propagande participe alors à la compréhension de la situation.
"La propagande, c'est un élément constitutif des guerres, et encore plus des guerres contemporaines, avec des réseaux sociaux et leur fake news, qui vont plus vite que nos journaux."
Samah Soulacheffe de service adjointe Actualités internationales
Vous faites confiance à l'intelligence du téléspectateur...
Oui, mais notre principale inquiétude, c'est de le tromper [involontairement] ou de ne pas être assez clair. Nous faisons confiance au téléspectateur pour qu'il nous écoute, qu'il écoute bien les commentaires. Quand on regarde les reportages sans le son, attention ! On n'a pas le sujet dans sa complexité. L'information est partielle. Il faut écouter et regarder en même temps. Nous essayons d'être le plus précis et le plus honnête possible.