Elections en Allemagne : pourquoi Elon Musk fait campagne pour le parti d'extrême droite AfD

"Les enfants ne devraient pas se sentir coupable des péchés de leurs parents, de leurs arrières grands-parents". Ces mots prononcés par Elon Musk lors d'un meeting pour le parti d'extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), fin janvier, font clairement référence au passé nazi de l'Allemagne. "On se concentre trop sur la culpabilité passée, il faut dépasser cela." Depuis l'automne, le milliardaire américain affiche un soutien clair à ce parti. "Seul l'AfD peut sauver l'Allemagne", a-t-il martelé à plusieurs reprises.

Les Allemands sont appelés aux urnes dimanche 23 février pour élire leurs 630 représentants au Bundestag lors des législatives anticipées. En novembre dernier, la coalition au pouvoir, emmenée par Olaf Scholz, s'est effondrée à cause de désaccords budgétaires. Le chancelier a décidé de se soumettre à un vote de confiance des députés, qu'il n'a pas obtenu. Dans l'impasse, il était dans l'obligation de dissoudre le Bundestag et d'organiser de nouvelles élections.

Avec 32% d'intention de vote selon les derniers sondages, la droite est donnée favorite, juste devant l'AfD, créditée de 20% et soutenue par l'homme le plus riche du monde. Depuis décembre, Elon Musk s'implique personnellement dans la campagne. Le patron de X, Tesla et SpaceX multiplie les appels à voter pour le parti d'Alice Weidel, à base de messages sur son réseau social, de tribunes dans la presse et de déclarations polémiques. Mais comment expliquer cet intérêt soudain pour le scrutin outre-Rhin ? 

Une proximité idéologique

Pour le politologue Erwan Lecœur, le milliardaire américain défend ce parti avant tout par connivence idéologique. Les opinions politiques de celui qui a déclaré avoir voté démocrate lors des présidentielles américaines de 2016 et 2020 ont bien évolué depuis. "Son engagement a glissé vers une droite très conservatrice, voire vers l'extrême droite depuis le confinement", constate le journaliste Boris Manenti, auteur de Elon Musk, le bonimenteur.

Dans une tribune à Die Welt, il justifie notamment ce soutien par la "politique d’immigration contrôlée" qu'entend mettre en place l'AfD et les promesses du parti d'extrême droite de "réduire les impôts" et de "déréglementer le marché". Des positions très proches de celles de Donald Trump, dont Elon Musk est le nouveau bras droit. En janvier, il a intégré la Commission de l'efficacité gouvernementale, devenant l'un des plus puissants conseillers du président américain.

Un panneau représentant Alice Weidel et Elon Musk lors d'une manifestation contre l'extrême droite, le 25 janvier, à Cologne (Allemagne). (YING TANG / AFP)

Dans ses interventions, Elon Musk s'efforce d'ailleurs de renier le lien entre l'extrême droite et le nazisme. Début janvier, il a demandé sur X à Alice Weidel ce qu'elle pensait des accusations récurrentes de filiation entre les idées de son parti et celles d'Adolf Hitler. La leader de l'AfD a répondu en assurant que le dictateur nazi n'était "pas un conservateur" mais "un communiste et il se considérait lui-même comme un socialiste", ce qui est largement contesté par les historiens.

Une façon de faire tomber "le barrage mental dans la politique allemande qui associe l'extrême droite au nazisme", relève Paul Maurice, spécialiste de la politique allemande. Alternative für Deutschland est pour autant sous surveillance renforcée par l'Office fédéral de protection de la Constitution et l'un de ses leaders, Björn Höcke, a été condamné à deux reprises pour avoir employé des slogans nazis.

Des discours typiques de l'extrême droite

Pour soutenir l'AfD, "Elon Musk utilise l'insulte outrancière, l'absurde, la désinformation", observe Erwan Lecœur. Et le politologue de remarquer qu'il s'agit d'"un mode de discours habituellement utilisé par les groupuscules d'extrême droite". Le milliardaire a par exemple qualifié le chancelier allemand Olaf Scholz d'"imbécile incompétent" après l'attentat sur un marché de Noël en décembre. Pour Tristan Mendès France, maître de conférences spécialisé dans les cultures numériques, ces provocations font partie de sa stratégie de communication.

"Il sait que cela va susciter de l'indignation et qu'évidemment les médias vont relayer son propos, donc augmenter sa visibilité."

Tristan Mendès France, professeur à l'université Sorbonne-Nouvelle

à franceinfo

"Le fait que ce soit le patron d'une grande plateforme utilisée par beaucoup d'Européens et un membre de l'administration Trump n'est pas anodin", poursuit Tristan Mendès France. Et cela ne manque pas de faire réagir les dirigeants européens. Interrogé par le magazine Stern, Olaf Scholz a jugé problématique le soutien d'Elon Musk à "un parti qui prône un rapprochement avec la Russie de Poutine et veut l'affaiblissement des liens transatlantiques".

Emmanuel Macron a de son côté regretté de voir l'homme le plus riche de la planète soutenir "une internationale réactionnaire" en Europe. Ce n'est en effet pas la première fois qu'Elon Musk promeut des partis d'extrême droite en Europe. En novembre, il a notamment soutenu une pétition en faveur de nouvelles législatives au Royaume-Uni, accusant le Parti travailliste au pouvoir de diriger "un Etat policier tyrannique". Il est également un fervent soutien de Giorgia Meloni, la Première ministre italienne d'extrême droite.

"Depuis plusieurs années, il crée des liens avec tous les autocrates et dictateurs de la planète et l'Europe n'y échappe pas."

Boris Manenti, journaliste

à franceinfo

S'il s'attaque à l'UE, c'est parce qu'Elon Musk abhorre les normes européennes. "Il y a trop de bureaucratie à Bruxelles, trop de contrôle de la part d'une sorte d'élite mondiale", a-t-il affirmé lorsqu'il est intervenu au meeting du parti d'extrême droite. Lors de sa discussion avec Alice Weidel, la leader de l'AfD a également jugé "ridicule" le règlement européen sur les services numériques (DSA), ce à quoi Elon Musk a acquiescé. Son réseau social est d'ailleurs visé par une enquête de la Commission européenne depuis 2023.

Ses intérêts économiques en ligne de mire ?

Elon Musk a aussi des intérêts économiques en Allemagne. Car c'est à Grünheide qu'est installée à la seule usine de voitures Tesla d'Europe. Pour les chercheurs interrogés par franceinfo, il ne fait aucun doute que l'affaiblissement de l'Union européenne serait favorable à l'homme d'affaires américain. Mais sa stratégie est-elle rentable ? 

D'après l'institut Statista, le chiffre d'affaires annuel du réseau social X ne fait que diminuer depuis qu'Elon Musk a racheté Twitter en 2022. Et les ventes de Tesla s'effondrent. En janvier 2025, la marque affiche -63% de ventes en France, -59% en Allemagne et -12% en Californie par rapport à janvier 2024. Certains attribuent ces chiffres à ses prises de parole toujours plus clivantes, même si le coup de frein a débuté au printemps 2024, avant qu'Elon Musk n'affiche son soutien à Donald Trump.

Elon Musk veut "remettre en cause et saper l'ordre démocratique tel qu'il existe en Allemagne", analyse Paul Maurice, chercheur à l'Institut français des relations internationales.

"On observe une vraie tentative de déstabiliser l'Europe et les Etats européens pour imposer les relations bilatérales entre les Etats-Unis et les différents pays membres."

Paul Maurice, spécialiste de la politique allemande

à franceinfo

D'autant qu'Elon Musk prête au scrutin une très longue portée. "Je pense que cette élection qui se déroule en Allemagne est incroyablement importante. Je pense qu'elle pourrait décider de l'ensemble de l'Europe, peut-être même de l'univers", s'est-il emporté lors du meeting de l'AfD. D'après Erwan Lecœur, "il sait très bien que l'Allemagne est le pays qui incarne la résurgence ou non des idées nazies. Si l'Allemagne bascule, l'Europe bascule."