La Fenice de Venise se rebiffe contre Beatrice Venezi, sa nouvelle directrice musicale trop proche de Giorgia Meloni

Tempête sur la lagune. À Venise, la nomination, le 22 septembre, de Beatrice Venezi à la tête de l’orchestre de la Fenice ne passe pas. Selon ses détracteurs, cette cheffe et pianiste toscane de 35 ans, proche du parti au pouvoir, ne dispose pas des compétences nécessaires pour prendre la direction musicale de la Fenice, comme elle doit le faire à partir d’octobre 2026 pour quatre ans.

Quelques jours seulement après l’annonce de sa nomination, une lettre des musiciens de l’orchestre en a exigé l’annulation. « Nous considérons qu’il est inacceptable de sacrifier la confiance d’un public fidèle, construite et maintenue au fil du temps malgré d’énormes difficultés, pour une nomination qui ne garantit ni la qualité artistique ni le prestige international », tempêtent-ils auprès du surintendant de la Fondation du Théâtre de la Fenice, Nicola Colabianchi.

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Ils regrettent non seulement le profil choisi, mais aussi un manque de « transparence » dans la sélection. Ils font également état de résiliations déjà opérées par des abonnés inquiets de cette nomination. La fronde s’est rapidement élargie, avec des soutiens exprimés par les syndicats des opéras de Milan, Florence, Vérone et Bologne.

Un CV pas «digne» de la fonction

Dans l’une de ses communications, le surintendant Nicola Colabianchi, lui-même arrivé en mars à la Fenice, a tenté de minimiser la portée de la nomination de Beatrice Venezi. « Il s’agit de diriger une soirée majeure, trois concerts et deux opéras par saison. Cela signifie que la grande majorité de nos activités seront, comme toujours, animées par des chefs d’orchestre de renommée internationale, aux styles variés. »

Pour justifier son choix, il avait estimé que la jeune femme ajouterait une « valeur ajoutée significative au travail du théâtre en termes de professionnalisme, de visibilité internationale, de dynamisme et de renouveau ». Nicola Colabianchi, dont la fonction englobe celle de directeur artistique, la qualifiait de « rare figure féminine à occuper un rôle de premier plan dans le panorama des grandes maisons d’opéra internationales ».

Je l’ai vue diriger dans certaines vidéos : elle n’est pas à la hauteur d’une telle tâche. J’espère qu’elle le comprendra

Fabio Luisi, directeur musical de l’Orchestre de Dallas

C’est là où le bât blesse. Ex-cheffe invitée principale de l’Orchestre de Toscane, Beatrice Venezi n’afficherait pas, en réalité, le cursus idoine. « Quiconque connaît un tant soit peu le sujet dont nous parlons (...) sait que le CV de cette dame n’est pas digne d’un directeur musical de ce qui, au XIXe siècle, avec La Scala et le San Carlo, formait la trinité des théâtres “d’excellence” (...). Pour ce rôle, il existe au moins vingt chefs d’orchestre nationaux dotés d’une plus grande substance musicale », assure le critique lyrique Alberto Mattioli, dans Il Foglio . Tout en estimant qu’il faut laisser sa chance à la trentenaire.

Les doutes sont appuyés également chez Cristiano Chiarot, ancien surintendant de la Fenice, qui s’est exprimé dans Il Manifesto . « J’ai rencontré Beatrice Venezi : jeune, déterminée et déjà largement reconnue pour son apparence physique plutôt que pour son esthétique musicale. Elle m’a demandé l’opportunité de jouer et je l’ai acceptée : quelques concerts dans le cadre du programme régional (du festival Maggio Musicale Fiorentino, NDLR). (...) Personne n’a ressenti le besoin de la rappeler. »

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Un choix «politique»

Mais le désaveu le plus cinglant reste celui de Fabio Luisi. Directeur musical de l’Orchestre de Dallas, ce musicien italien chevronné exhorte l’opéra à faire machine arrière dans le Corriere della Sera  : « Je l’ai vue diriger dans certaines vidéos : elle n’est pas à la hauteur d’une telle tâche. J’espère qu’elle le comprendra (...) Beatrice Venezi devrait prendre du recul. Je dis cela dans son intérêt. La Fenice n’est pas un terrain de formation pour un jeune chef d’orchestre ; Il lui faut un nom qui renforce sa qualité, et non quelqu’un qui en profite pour sa carrière. »

Pour s’installer dans le fauteuil qui a été occupé par Myung-whun Chung ou Marcello Viotti, Beatrice Venezi aurait d’abord bénéficié de sa proximité avec Giorgia Meloni. Elle occupe un poste de conseillère auprès du ministre de la Culture. Dans une vidéo de 2022, on la voit s’exprimer à la tribune lors d’une conférence de Fratelli d’Italia, le parti de la présidente du Conseil. Elle est par ailleurs la fille de Gabriele Venezi, ancien leader du parti néofasciste Forza Nueva. Interrogé par La Stampa, celui-ci a tenté de la défendre. « Beaucoup ont écrit que ma fille Beatrice Venezi n’a pas les compétences pour la direction musicale du Teatro La Fenice de Venise parce qu’elle est la fille d’un voyou d’extrême droite, faisant référence à mon passé. Pourtant, j’ai cessé d’être actif en politique il y a 15 ans, pour éviter que cela ne soit un obstacle à sa carrière », explique-t-il. Giuseppe Vessicchio, chef d’orchestre habitué du Festival de la chanson italienne de Sanremo, lui reconnaît des qualités et regrette les proportions prises par la polémique. Il pointe du doigt un manque de communication, épinglant une « nette déconnexion entre le gouvernement central, la municipalité et la profession artistique ».

Concert annulé

Samedi, à la Fenice, la fronde a pris la forme d’une distribution de tracts par des spectateurs. « La musique est un art, pas un divertissement », pouvait-on lire sur ces textes confiés, au début du concert, par la phalange. Quant à Beatrice Venezi, qui a déjà été chahutée lors de concerts en France en raison de sa proximité avec le pouvoir italien, elle dénonce des « attaques aussi violentes qu’infondées ». Elle annonce engager une avocate afin d’évaluer la possibilité d’actions en justice. Face à la polémique, elle a annulé le concert qu’elle devait donner, vendredi dernier, à Mestre, près de Venise. Pour éviter, dit-elle, « toute nouvelle controverse ». Dans un an, en octobre 2026, la jeune cheffe est censée diriger la tempétueuse Fenice.