Syrie : plusieurs chancelleries prennent attache avec le nouveau pouvoir en place
Les chancelleries étrangères, au départ prudentes, multiplient les démarches pour établir un contact avec le nouveau pouvoir islamiste en Syrie, une semaine après la chute de Bachar el-Assad. Le Figaro fait le point sur la situation.
Rencontre avec l’envoyé spécial de l’ONU
En visite en Syrie, l'envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, a rencontré Abou Mouhammad al-Jolani, chef du groupe radical islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTC), à la tête de la coalition de groupes rebelles qui a chassé Bachar el-Assad du pouvoir, a annoncé la coalition sur sa chaîne Telegram.
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«Nous devons veiller à ce que la Syrie reçoive une aide humanitaire immédiate accrue pour la population et pour tous les réfugiés qui souhaitent rentrer», a déclaré plus tôt dans la journée Geir Pedersen, dont la visite est la première d'un haut responsable de l'ONU depuis la fuite de Bachar el-Assad en Russie. Le 8 décembre, la coalition rebelle est entrée à Damas et a annoncé le renversement du pouvoir, après une offensive fulgurante qui lui a permis de s'emparer d'une grande partie du pays en 11 jours. Lâché par ses alliés iranien et russe, Bachar el-Assad a fui à Moscou.
HTC, ex-branche syrienne d'Al-Qaïda, affirme avoir rompu avec le djihadisme, mais reste classé «terroriste» par plusieurs capitales occidentales, dont Washington. Plusieurs pays et organisations avaient salué la chute d'Assad, disant cependant attendre de voir comment les nouvelles autorités, musulmanes sunnites, allaient traiter les minorités du pays multiethnique et multiconfessionnel.
États-Unis, France, Qatar...
Entre-temps, plusieurs ont annoncé avoir établi un contact avec elles. Après Washington samedi, le Royaume-Uni, par la voix de son chef de la diplomatie David Lammy, a annoncé dimanche avoir établi des «contacts diplomatiques» avec HTC, classé comme une organisation par Londres. De son côté, la France a annoncé l'envoi d'une mission diplomatique mardi à Damas, la première depuis 12 ans, pour «établir de premiers contacts» avec les nouvelles autorités.
Doha a annoncé la réouverture mardi de son ambassade en Syrie après l'arrivée dimanche d'une délégation qatarie dans le pays où elle a rencontré les nouvelles autorités. La Turquie, acteur majeur dans le conflit en Syrie et soutien des nouvelles autorités, avait déjà rouvert samedi son ambassade à Damas après plus de 12 ans de fermeture. Voisine de la Syrie, elle s’est dite «prête» à fournir de l’aide militaire si le nouveau gouvernement syrien le lui demande, selon son ministre de la Défense, Yasar Güler. Il a en outre affirmé que les nouvelles autorités s’étaient engagées à «respecter toutes les institutions gouvernementales, l’ONU et les autres organisations internationales», et promis de signaler toute trace d’arme chimique à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques.
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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a pour sa part annoncé vouloir fournir à titre humanitaire à la Syrie des céréales et d'autres produits agricoles.
«Garantir les droits de tous»
Après 50 ans de règne sans partage du clan Assad et d'une répression implacable, les nouvelles autorités s'emploient à rassurer la communauté internationale. Le nouveau premier ministre chargé de la transition, Mohammad al-Bachir, a promis de «garantir les droits de tous», alors que les Syriens tentent de reprendre leur vie normale. Dimanche, une partie des élèves ont repris le chemin de l'école dans la capitale, où les universités ont également rouvert leurs portes. «On se sent libérés! On peut enfin dire ce qu'on pense sans avoir peur», lance Yasmine Chehab, une étudiante en littérature anglaise à l'Université de Damas.
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Commerces et entreprises ont aussi rouvert. Et la messe du dimanche a été célébrée à la cathédrale Notre-Dame de la Dormition à Damas, en présence de nombreux fidèles. «Dieu merci, notre situation est bonne», a déclaré une fidèle, Ibtissam al-Khouli, à l'AFP. «Tout le monde se sent bien, il n'y a pas de crainte».
Découvertes macabres
Mais chaque jour qui passe depuis la chute de Bachar el-Assad donne aussi lieu à des découvertes macabres, témoignage des pires exactions du pouvoir déchu. À la morgue de l'hôpital al-Moujtahed de Damas, des habitants ont afflué après que des combattants de HTS ont ramené 35 corps, dont 21 ont déjà été identifiés par leurs familles. Photos de jeunes hommes disparus à la main, des familles se pressent autour des 14 corps restants. «Je cherche mon fils», dit Fatima Marakbawi, la quarantaine. «Ils l'ont pris il y a 11 ou 12 ans. Il y a 9 ans, il était à Saydnaya, maintenant il n'y est plus et mon coeur est brisé.»
Israël place ses pions
Autre voisin de la Syrie, Israël a approuvé dimanche un projet visant à doubler la population dans la partie du Golan syrien annexée, mais dit n'avoir aucun intérêt à entrer en conflit avec la Syrie, après avoir pris le contrôle de la zone tampon surveillée par l'ONU séparant les deux pays sur le plateau du Golan. Israël a conquis une partie du Golan, dans le sud-ouest de la Syrie, lors de la guerre israélo-arabe de 1967, avant d'annexer ce territoire en 1981. Seuls les États-Unis, durant le premier mandat de Donald Trump, ont reconnu cette annexion en 2019.
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D'intenses frappes israéliennes ont par ailleurs ciblé dans la nuit de dimanche à lundi des sites militaires dans la région côtière de Tartous en Syrie, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme. «Des avions de combat israéliens ont lancé des frappes» sur plusieurs sites, dont des unités de défense aérienne et des «dépôts de missiles sol-sol», selon l'ONG, évoquant les «frappes les plus lourdes depuis 2012» dans cette région côtière qui abrite une base navale russe.