Notre critique d’A Normal Family, un thriller coréen glaçant, d’une subtilité rare

Les liens du sang ne sont pas tout. Même si leurs prénoms se ressemblent, il n’y a pas plus différents que ces deux frères. Jae-wan est un avocat cynique et âpre au gain. Jan-gyu, lui, exerce la chirurgie avec une humanité qui inspire le respect. L’un, veuf et remarié, roule en Bentley et vient d’avoir un bébé. L’autre héberge chez lui leur mère atteinte d’Alzheimer. Cela ne va pas sans problèmes. Ne vaudrait-il pas mieux la placer dans un établissement spécialisé ? Évidemment, l’avocat est pour cette solution. Il ne s’agit pas du seul point de friction entre eux. Chaque mois, ils se réunissent en compagnie de leurs épouses au cours d’un dîner dans un restaurant huppé. Les quatre occupent un salon privé. Un grand cru de bordeaux est de rigueur. Les désaccords atterrissent assez vite sur la nappe. Les dents grincent. Le ton monte. Les frangins en viennent aux mains. Les couverts valsent. Les dames ne sont pas en reste, s’adressant des piques plutôt venimeuses. On se croirait parfois dans du Reza sauce coréenne.

Le film débute par une altercation à un feu rouge de Séoul. Un chauffard en Maserati s’en prend à un père de famille qui a massacré son bolide avec une batte de base-ball. Résultat : un mort (le papa en SUV) et une fillette à l’hôpital, entre la vie et la mort. Le fait divers se complique étant donné que le cadet soigne la blessée et que l’aîné défend l’assassin. Ambiance. Il y a autre chose. Un soir, leurs enfants (le garçon du médecin, harcelé dans son école, et sa cousine à qui on donnerait le bon Dieu sans confession) ne trouvent rien de mieux que de rouer de coups de pied un SDF endormi dans une ruelle.

Les gamins sont aussi monstrueux que chez Haneke

Aucun remords chez ces adolescents qui se pourlèchent du spectacle de vidéos à la violence non simulée, comme s’ils assistaient à un jeu de société. Pas de chance pour eux : la scène a été filmée par une caméra de surveillance. La police s’en mêle. Le docteur et le champion du barreau sont aux abois. Que faire ? Les dénoncer ne paraît pas envisageable. Devant des mets raffinés, les beaux principes volent en éclats. Le vernis craque. La civilisation ne tient qu’à un fil. Les gamins sont aussi monstrueux que chez Haneke. L’un s’amuse à écraser une coccinelle avec son doigt, en attendant mieux.

Le film glace le sang. Il est d’une subtilité rare, pose des cas de conscience, évite les dilemmes ampoulés. Le bien et le mal ne sont plus alors que des mots. Il faut louer les acteurs, et surtout leurs partenaires féminines qui se glissent des regards lourds de sens, affichent en public un visage lisse qui n’est plus vraiment le même dans le privé. Hur Jin-ho adapte un roman néerlandais, le situant dans son pays. Il en brosse un tableau clinique, élégant, décrit les affres d’une famille déchirée, dévoile les dessous de l’innocence, sonde les reins et les cœurs. Le réalisateur a retenu les leçons du cinéma classique, efficacité, surprise, fin qui agit à la façon d’un uppercut. Vous aimez vos enfants ? Attention, ils cachent bien leur jeu. Vous ne les connaissez pas. Les bonnes intentions n’y feront rien.

La note du Figaro : 3/4.