Lieutenant de l'armée dans l'est de l'Ukraine, Nadija n'a pas raté le débat houleux qui a opposé vendredi Donald Trump et Volodymyr Zelensky, et ce malgré les combats qui secouent le Donbass. À quelques kilomètres de la ligne de front, Nadija dit s'être sentie «vide» devant les attaques de Donald Trump et de son vice-président JD Vance accusant le président ukrainien d'être «irrespectueux» et pas «reconnaissant» vis-à-vis des États-Unis.
Nadija se demande ce que l'Ukraine a bien pu faire aux États-Unis pour mériter un tel traitement. «On a fait tout ce qu'il fallait», explique la soldate. «Par exemple, j'ai 21 ans, je pourrais faire de la danse, chanter. Je pourrais vivre une vie tranquille. Mais au lieu de cela, je me bats», lâche la jeune officier. Dans l'est de l'Ukraine, les combats font rage, notamment près de la ville de Pokrovsk, nœud logistique important de la région.
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Ici, l'armée ukrainienne, moins bien équipée et moins nombreuse que celle de l'adversaire, lutte pour contenir l'avancée des troupes russes et les empêcher de pénétrer dans la région centrale de Dnipropetrovsk. Mais, alors que l'armée manque d'hommes, le débat sans précèdent entre les deux présidents aura au moins le mérite d'éveiller un élan de soutien en faveur du président Zelensky, selon Nadija.
«Je pense que davantage de personnes prêteront attention à la nécessité de servir dans les forces armées», dit-elle à l'AFP, expliquant que l'armée ukrainienne a besoin de «jeunes recrues» pour se «reconstruire».
«Fier» de Zelensky
Si le risque de la fin du soutien américain, vital pour Kiev, se fait sentir, Nadija compte, elle, sur un soutien de l'Europe, persuadée d'un «réveil» des pays frontaliers de la Russie. «Si le soutien s'affaiblit, si Poutine atteint ses objectifs, alors l'Europe sera la prochaine» à être attaquée, dit-elle.
À quelques kilomètres de la ligne de front recouverte de neige, Oleksandre, sergent de 41 ans engagé dans le génie, serre sa tasse de café pour se tenir chaud. Cet imposant sous-officier aux yeux bleus se dit «fier» de son président. Si l'échange de vendredi à Washington a choqué de nombreux observateurs, et alors que Donald Trump semble s'aligner sur la politique de Vladimir Poutine, Oleksandre n'est lui «pas surpris» par un président américain qui «aime les dictateurs». «Je pense même qu'il n'y aura plus d'aide pour faire pression et capituler au plus vite face à la Russie», assène-t-il.
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Une crainte énorme pour Oleksandre, selon lequel «la situation est grave» au front, alors que l'Ukraine se bat depuis 2014 contre la Russie, un pays «qui a des ressources». «Ils ont des alliés fiables, comme la Corée du Nord par exemple, qui fournissent l'équipement nécessaire», fustige le sergent qui ne compte maintenant, lui aussi, plus que sur l'Europe. «Ils nous aideront, mais pas tous», nuance-t-il, assurant que «l'Allemagne, la France et la Pologne le feront», et espérant une «alliance militaire».
«L'Europe va nous aider»
Deux autres soldats répondant aux pseudonymes de Smile et de Rybachok, prennent aussi un café pour se reposer entre les missions. Smile, tête baissée et regard abattu malgré d'intenses yeux bleus, se sent «trahi» et «abandonné». «La façon dont Trump s'est comporté est inacceptable», lâche-t-il, alors que la situation au front «est grave». Il aimerait croire aussi que l'UE et ses alliés feront quelque chose pour aider l'Ukraine, «sinon, que pouvons-nous faire d'autre?»
«Bien sûr que l'Europe va nous aider, j'y crois !», s'emporte Rybachok, son collègue de 38 ans, optimiste malgré un œil en moins et le visage constellé de cicatrices. «Trump, un jour il dit ceci, le lendemain cela... la politique, c'est comme la guerre, c'est un jeu de poings, un jeu de mots.»
Ivan a regardé l'interview alors qu'il était de retour du front pour une pause, pour tenter d'oublier l'horreur. Il a trouvé que le président Zelensky a répondu «comme il fallait» à Donald Trump qui semble se rapprocher de plus en plus du chef du Kremlin. «Et je n'aime pas ça», explique Ivan. Et quand on lui demande si ce rapprochement l'effraie, il répond: «La peur, je ne sais plus ce que c'est».