Tout comprendre à la polémique autour de l’autoroute A69

Le chantier très décrié de l’A69 qui aurait relié Toulouse à Castres est mis à l’arrêt, a-t-on appris jeudi 27 février auprès des avocates des opposants et du concessionnaire. Le tribunal administratif de Toulouse a donc répondu favorablement aux recours déposés par les opposants au projet, qui luttent contre l’artificialisation des terres, notamment agricoles. L’État a d’ores et déjà indiqué, par l’intermédiaire du ministère des Transports, faire appel de la décision

Cette lutte contre l’A69 avait obligé, en octobre 2023, le gouvernement à saisir la «cellule anti-ZAD» pour évacuer les opposants à massés dans une Zone à défendre à Saïx (Tarn). Près de 9500 personnes, selon les associations organisatrices (Soulèvements de la Terre, La Voie est libre et Extinction Rebellion) s’étaient regroupés sur le chantier. Un violent incendie avait même éclaté dans les locaux d'une entreprise engagée dans la construction de l'A69, tandis qu'une autre était victime d'importantes dégradations.

Des scènes de chaos qui se sont répétées à de nombreuses reprises face à ce vaste projet qui cristallisait les tensions, entre partisans du désenclavement et du dynamisme économique et ceux qui dénonçaient la politique destructrice de l’environnement menée par le gouvernement. Le Figaro vous explique ce qu’il faut savoir sur ce chantier polémique.

Un manifestant lors de l’évacuation de la ZAD, à Saïx, dimanche 22 octobre. VALENTINE CHAPUIS / AFP

Le projet sort des cartons en 1994. Cette année-là, l’ambition est d'élargir la route nationale, la N126, qui assure déjà la liaison Toulouse-Castres, en deux fois deux voies. En 2010, retournement de situation : les pouvoirs publics optent pour une autoroute concédée, privée et à péages, l'A69. C'est à la société Atosca qu'échoit, en avril 2022, la mission de construire et exploiter pendant 55 ans la future voie rapide. Un chantier à 450 millions d'euros, dont 23 millions d'argent public (6% du budget), annulé par le tribunal administratif de Toulouse ce jeudi.

Un véritable gain de temps ?

Sur son site, Atosca affirme que le temps de trajet entre Toulouse et Castres aurait été diminué «de 25 minutes (en heures creuses) à 35 minutes (aux heures de pointe)». Une estimation corroborée par la préfecture, pour qui l’A69 aurait permis d’économiser 25 minutes en moyenne entre la sortie de l’A68 et l’entrée de la rocade de Castres. Les opposants au projet avancent quant à eux un gain de seulement 15 minutes. Mais ce gain de temps... a un prix. De 2.71€ à 6,77€ selon le type de véhicule et si l’utilisateur souscrit ou non un abonnement.

Le concessionnaire prévoyait «une future fréquentation journalière estimée à 8400 voitures et 800 poids lourds». Dans les prévisions, le trafic se «densifie aux abords de Castres» avec environ 15.000 véhicules légers et 1000 poids lourds, est-il précisé dans l’étude d’impact. De même, cette autoroute aurait permis de «nettement restreindre le trafic routier autour des zones urbanisées» et de «réduire les nuisances associées : moins de bruit avec l'installation d'écrans acoustiques et de modelés de terre et davantage de sécurité pour les riverains de la RN126», est-il assuré sur le site du concessionnaire.

Renforcer le ferroviaire et développer la N126 ?

Les détracteurs, eux, estiment que cette autoroute n'est pas nécessaire car l'actuelle Nationale 126 n'est pas congestionnée. Ces derniers plaident plutôt en faveur d'un réaménagement de cette portion. Une position balayée par la préfecture dans un arrêté de mars 2023. «L’aménagement alternatif de l’existant sur la RN 126 apporte un niveau de service inférieur à celui de l’autoroute en termes de confort et de sécurité, tout en coûtant plus cher à la collectivité», avait-elle assuré. Tout en affirmant que l’aménagement en deux fois deux voies «ne permet pas de réduire les impacts écologiques et agricoles».

Le renforcement de la liaison ferroviaire Toulouse-Castres (1h10 de trajet en moyenne) avait aussi été écarté par la préfecture. «La comparaison entre le fer et la route sur l’itinéraire Castres-Toulouse est défavorable au mode ferroviaire», précise le même document.

Créer des emplois : un argument tangible ?

Du côté des emplois qu’aurait permis l’autoroute, les personnes en faveur du projet avançaient l’argument du désenclavement des territoires ruraux. «Cette autoroute est vitale pour redonner de l’attractivité au sud du Tarn» où vivent 200.000 personnes, soutient le président (PS) du département Christophe Ramond. «Si nous cédons aux menaces et aux chantages d'une minorité ennemie de la libre entreprise, les dommages sur la démocratie et l'économie locale seront irréversibles !», assuraient de leur côté 550 chefs d’entreprise dans une pétition initiée par la Chambre de commerce et d’industrie(CCI) départementale. La création d’emplois est de même un argument mis en avant par Atosca : «1000 emplois créés en priorité au service des habitants de proximité».

Un optimisme toutefois douché par le rapport d’enquête publique de février 2023, organisée par les préfectures du Tarn et de la Haute-Garonne. La conclusion estimait que «hormis quelques affirmations sur l'effet positif qu'ont eues des infrastructures similaires ailleurs en France, aucune démonstration concrète n'est présentée ni aucun chiffrage évalué». Et d’ajouter que «seuls sont indiqués le volume d'emplois nécessaires au chantier (les 1000 emplois cités par Atosca, NDLR) et ses conséquences sur le commerce local».

Préoccupations environnementales

En septembre 2022, le Conseil national de la protection de la nature - une instance d'expertise scientifique et technique dépendante du ministère de la Transition écologique, composée de 60 experts indépendants et compétents en matière de protection de la biodiversité - rendait un avis défavorable sur le projet. Il le jugeait «en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d'objectif du zéro artificialisation nette et du zéro perte nette de biodiversité, ainsi qu'en matière de pouvoir d'achat». «L'absence de solutions alternatives satisfaisantes prête à débat, et les arguments du pétitionnaire ne sont pas convaincants», concluait le document.

Le projet de l’A69 prévoyait l’artificialisation de 100 hectares de terres pour «réaliser les chaussées», détaille Atosca. Les opposants parlaient, eux, de 360 hectares naturels détruits. Dans les faits, Atosca distingue les 110 hectares artificialisés pour y construire la chaussée et le reste de l’emprise foncière de la future voie rapide qui, de facto, va perdre son usage agricole. Au total, ce sont bien 343 hectares de terres agricoles qui auraient été artificialisées avec le projet.

Atosca avait prévu de recréer ailleurs les environnements détruits sur une surface quasi identique - promettant notamment de planter cinq fois plus d’arbres que le chantier n’en aurait abattus - et s’était engagé à prendre des mesures dites ERC (Évitement, réduction et compensation) qui ont pour objectif d'éviter les atteintes à l'environnement et de réduire celles qui n'ont pu être suffisamment évitées. Pour autant, estime le rapport d’enquête public, «il est indéniable que cette autoroute aura des conséquences lourdes et définitives» sur l’environnement. Et de citer l’«impossibilité de compenser les espaces consommés», les «impacts sur le paysage et la qualité de vie» ou encore la «disparition pour plusieurs décennies de grands arbres».

Le 1er septembre 2023, sept platanes centenaires ont été abattus pour que le chantier se poursuive, malgré la mobilisation de plus de 200 militants. Si d’autres arbres seront replantés, il faudra attendre de longues années avant que ces derniers soient aussi performants pour absorber du CO2 que les arbres centenaires.

Qu’en disent les Tarnais et les Haut-Garonnais?

Récemment, un sondage Ifop réalisé auprès de la population du Tarn et de la Haute-Garonne, révèle que 61% des sondés étaient favorables à l'abandon du projet d'autoroute et qu'ils étaient 82% à se prononcer pour un référendum local. Globalement, 58% jugeaient toutefois le projet «utile mais pas indispensable». Près de sept sondés sur dix considèrent que le projet d’autoroute aurait eu un effet négatif sur la biodiversité du territoire, quand 57% jugeaient que l’impact sur l’attractivité économique et touristique y serait positif.

Signe que le sujet clive, un autre sondage dit tout le contraire. Publiée en mars dernier, cette enquête Odoxa commandée par Atosca révélait que 79% des sondés sont favorables à la construction de l’A69. Plus d’un sondé sur deux pense que l’autoroute lui fera gagner du temps, quand 42% jugent que l’A69 permettra d’améliorer l’accès à l’emploi pour un plus grand nombre d’habitants du territoire.

De nombreuses actions militantes

Plusieurs manifestations ont eu lieu sur le tracé du chantier ces dernières années. Parmi les plus récentes ces derniers mois - outre celle du samedi 21 octobre - des grévistes de la faim s'étaient rassemblés le 3 octobre, à Toulouse, pour ériger un mur symbolique en parpaings contre le projet d'autoroute.

Des manifestants font face aux gendarmes dans la zone à défendre, à Saïx, le 22 octobre. VALENTINE CHAPUIS / AFP

En septembre, le militant écologiste Thomas Brail s’était pour sa part installé pendant dix jours en haut d’un platane à paris en face du ministère de la Transition écologique. En grève de la faim puis de la soif, il a finalement été délogé par les pompiers. En avril, une marche de 12 kilomètres était également organisée par quatre associations et s’était déroulée sans incident.

Début 2025, alors que le Tribunal administratif de Toulouse débutait l’examen des recours des opposants à l’A69, ces derniers avaient décidé de camper dans les arbres faisant face au tribunal.