"Mission: Impossible - The Final Reckoning" : Tom Cruise, le dernier samouraï de la scientologie
"Votre mission, si vous l'acceptez, consiste à porter haut les couleurs de l'Eglise de scientologie. Comme toujours, si vous ou votre carrière venait à souffrir de vos croyances religieuses, l'état-major de l'organisation nierait avoir eu connaissance de vos agissements. Ce message s'autodétruira dans cinq secondes." C'est presque le message qu'aurait pu recevoir Tom Cruise quand il s'est converti, voilà presque quarante ans. Alors qu'il va grimper – sans courir, pour une fois – les marches du palais des Festivals de Cannes, mercredi 14 mai, pour présenter le huitième opus de Mission: Impossible - The Final Reckoning, l'acteur demeure associé à l'une des organisations religieuses les plus opaques de la planète. Une fidélité au long cours qu'il a d'abord tenue discrète, avant de l'étaler à la face du monde. Ce qui n'a pas été sans dommages pour la carrière de l'acteur le plus puissant d'Hollywood.
Tout était écrit dans les livres de L. Ron Hubbard, l'auteur de science-fiction devenu créateur de la scientologie. Dès 1955, il conçoit le "Project Celebrity" pour requinquer des stars sur le déclin et ainsi disposer de VRP acquis à sa cause. Quand Tom Cruise embrasse la pensée scientologue (au commencement était l'extraterrestre Xenu qui colonisa la Terre il y a 75 millions d'années...), c'est un acteur en pleine ascension, qui collectionne les succès comme Top Gun. Le 9 mai 1987, il se marie avec l'actrice scientologue Mimi Rogers. La date n'est pas choisie au hasard, souligne Tony Ortega, référence mondiale sur la scientologie via son site The Underground Bunker : l'ouvrage fondateur de Ron Hubbard, La Dianétique, a été publié le 9 mai 1950. "Qu'il se marie selon le rite scientologue, précisément le jour plus important du calendrier de ce culte, atteste qu'il est devenu convaincu en très peu de temps."
Une agente au taquet night and day
L'idylle fait les gros titres, mais l'adhésion de Tom Cruise à la scientologie demeure secrète jusqu'à ce que la journaliste people Janet Charlton vende la mèche dans le tabloïd Star en juillet 1990 : "Ça a causé une sacrée pagaille", raconte-t-elle dans le livre Di$h: How Gossip Became the News. "Les scientologues sont devenus fous furieux et ont cherché à tout prix à remonter à ma source."
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Qu'à cela ne tienne, c'est bientôt de l'histoire ancienne. La com de Cruise (et de crise) est gérée d'une main de fer par la redoutable Pat Kingsley, son attachée de presse. Son mot d'ordre ? "Je n'aime pas les articles intéressants. Plus c'est convenu, mieux c'est." Elle choisit les journalistes, les questions, les citations retenues et les couvertures. "Pourquoi ce seraient les journalistes qui décideraient ?", répond-elle crânement dans Di$h. Heureuse coïncidence, un procès oppose le magazine Time, auteur d'une longue enquête sur la scientologie en 1991, et les adeptes de Ron Hubbard. "Même si l'Eglise a perdu en fin de compte, Time a dû dépenser des millions de dollars pour sa défense, souligne Tony Ortega. Un risque que les autres médias n'ont pas osé courir : ils ont cessé toute couverture de la scientologie." Et cessé d'évoquer le sujet dans les articles consacrés à la star.
Au cœur de la firme
En interne, l'état-major scientologue s'emploie à accroître son emprise sur son étoile. "Tom est entré dans ce que nous appelions le Truman Show [un film avec Jim Carrey mettant en scène un homme dont la vie est diffusée en direct à la télé]", décrit pour franceinfo Michelle*, une ancienne membre de l'organisation. Les gens étaient triés sur le volet pour bosser avec lui. Ils passaient leur temps à consigner ses moindres faits et gestes."
Et à éviter que d'autres ne les rapportent. L'écrivain britannique Wensley Clarkson se rappelle une descente musclée "un dimanche matin" alors qu'il bouclait chez lui une biographie non autorisée de l'acteur. Objet du courroux de ses visiteurs : le chapitre sur les liens entre celui qu'ils appellent "TC" et la scientologie. "Ils m'ont demandé quelques changements mineurs. C'était important pour eux de montrer qu'ils avaient poussé mon éditeur à les accepter."
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Tom Cruise devient le protégé de David Miscavige, le tout-puissant successeur de Ron Hubbard à la tête de l'Eglise. "Dans tous les évènements, il est à la place d'honneur aux côtés du chef", souligne Carole Cusack, chercheuse spécialiste de l'organisation à l'université de Sydney (Australie), auprès de franceinfo. Ce dernier n'est pas que le témoin de son mariage avec Nicole Kidman, mais un influent conseiller. Le tournant des années 2000, quand l'interprète de "Maverick" congédie Pat Kingsley, nomme sa sœur pour ses relations publiques et se met à parler de scientologie à tout bout de champ, porte sa marque.
Tom Cruise se retrouve à justifier la présence de soigneurs scientologues, aux T-shirts jaune canari, sur les décombres fumants de Ground Zero pour soigner les pompiers new-yorkais intervenus le 11-Septembre à l'aide de mystérieuses serviettes mauves, rapporte le livre Tom Cruise, anatomie d'un acteur. Il envisage même une tournée de promotion scientologue à l'occasion de la sortie du film Le Dernier Samouraï (2003), avant que son agente ne parvienne à l'en dissuader, relate The Hollywood Reporter.
C'est autour de La Guerre des mondes, de Steven Spielberg, que les choses s'enveniment. Première pomme de discorde : le barnum scientologue installé sur le plateau de tournage, à la demande expresse de l'acteur. "Tom Cruise s'est ensuite fâché avec Spielberg, qui lui reprochait de plus faire la promo de sa foi que de son film", décrit Régis Brochier, réalisateur du documentaire Tom Cruise, corps et âme, diffusé sur Arte. Une sortie de route qui culmine avec le pathétique épisode du canapé d'Oprah Winfrey. Un Tom Cruise hystérique bondit comme un cabri en clamant son amour pour sa nouvelle conquête, Katie Holmes, que la scientologie lui a mise dans les pattes quelques semaines plus tôt. "Mike Rinder [ancien cadre de la scientologie] m'a assuré que c'était une idée de Miscavige, commente Tony Ortega. Quand il ordonne quelque chose, Tom s'exécute." Quitte à mettre en danger sa carrière pour de longues années.
Scientologie, protocole fantôme
C'est encore Miscavige qui envoie Tom Cruise en service commandé à Bercy en août 2004 pour l'opération Nicolas Sarkozy. Celui qui détient le maroquin de ministre des Finances constitue une cible idéale pour l'organisation religieuse : "Sarko" ne cache pas ses ambitions présidentielles, lesquelles passent par le soutien des "cultes minoritaires". Le contexte est favorable : à l'époque, l'administration française est infiltrée par la scientologie, comme l'a démontré le journaliste Serge Faubert dans son livre Une secte au cœur de la République. "En face, vous avez Tom Cruise, qui présente bien, et qui a l'entregent pour pousser les portes et affirmer que la scientologie est une religion tout à fait sympathique", souligne Arnaud Palisson, ancien analyste au sein du groupe "Cultes et sectes" de l'équivalent actuel de la DGSI. Le spécialiste a été éconduit par sa hiérarchie au ministère de l'Intérieur en 2002, une fois sa thèse sur la scientologie publiée, après des pressions venues de toutes parts.
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Nicolas Sarkozy nie avoir évoqué tout sujet religieux, quand l'acteur, qui a trouvé le futur président français "formidable", assure le contraire devant la presse quelques mois plus tard. "Ce qu'on a moins remarqué à l'époque, c'est que Tom Cruise n'est pas venu seul, mais avec Tommy Davis, le porte-parole de l'Eglise, quelqu'un qui traite des dossiers à l'échelle internationale", remarque Arnaud Palisson. Ce dernier défend plutôt la version de l'Américain, qui a rodé son numéro de charme en Espagne ou au Royaume-Uni. Peu importe qui dit vrai, c'est tout bénef pour la scientologie. "Avant, on disait le mot 'scientologie' dans n’importe quel ministère, la porte était fermée", se félicite sur Canal+ Danièle Gounord, porte-parole de l'organisation. "Maintenant, il y a des contacts, une écoute, on a l’impression d’exister comme des citoyens à part entière. Enfin presque."
Dans la foulée, le même Tom Cruise se fend d'une visite d'inspection au Celebrity Centre de Paris, une sorte d'espace VIP de l'organisation. Ludovic Durand y officie à l'époque : "Je suis resté enfermé dans un bureau. J'avais bien trop peur de le croiser. Les missions d'inspection, ce n'était pas la Stasi, mais presque. Surtout qu'elle était commanditée par Miscavige en personne." Trouvant le bâtiment vétuste, Tom Cruise repart furibard de la capitale. Un comportement hautain qui ne le rend pas très populaire parmi les ouailles scientologues. "La fameuse vidéo interne [qui a fini par fuiter en 2008], il fallait qu'on la regarde trois fois dans la semaine où on l'a reçue, ordre direct du management, poursuit Ludovic Durand. Miscavige avait fait passer la consigne que Tom Cruise, c'était l'exemple à suivre. Mais quel exemple ?" En dehors de son sourire ultrabrite, l'acteur n'a pas rameuté tant d'adeptes que ça, une des missions dévolues aux célébrités. "La seule personne qu'il a jamais ramenée, c'est Nicole Kidman."
Le retour de la couleur de l'argent
Dans les salles obscures aussi, c'est le creux de la vague. Le seul nom de Tom Cruise ne fait plus déplacer les foules. Le film Walkyrie (2008), où la star campe un gradé nazi qui fomente un attentat contre Hitler, est accusé par des médias (ici le Berliner Zeitung) et des intellectuels allemands de chercher à réhabiliter la scientologie en Allemagne, où elle a mauvaise presse. Le seul produit estampillé Tom Cruise qui cartonne en cette fin de décennie, c'est la biographie non autorisée que lui a consacrée Andrew Morton. La version britannique du livre ne verra jamais le jour, l'éditeur ayant préféré l'annuler plutôt que de sabrer dans le texte, "sinon il ne resterait plus rien dans le bouquin". Mais outre-Atlantique, elle caracole en tête des ventes. Pas sûr que les énièmes menaces de procès de la scientologie n'aient pas offert une caisse de résonance inédite à l'ouvrage.
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C'est quand Tom Cruise renoue avec le personnage d'Ethan Hunt pour Mission: Impossible - Protocole fantôme (2011) qu'il retrouve les cimes du box-office. "Cette incarnation du dernier héros du cinéma d'action à l'ancienne, façon Belmondo ou Jackie Chan, n'est pas incompatible avec le discours de la scientologie, relève Régis Brochier. Quelque part, il est devenu un superhéros. A la différence des autres acteurs, il se confond avec ses personnages." Karen Pressley, ancienne scientologue, abonde dans ce sens dans la biographie Tom Cruise, sa vraie histoire : "Mission: Impossible est fascinant parce que dans Ethan Hunt, je voyais David Miscavige. Tout comme David vivait à travers Tom Cruise, je voyais Tom devenir lentement David. Cette transposition était en soi digne d'un scénario de film."
Mouth wide shut
Ce retour en grâce coïncide avec un profil bas sur ses convictions religieuses et l'embauche d'une attachée de presse chevronnée. Le mal est fait, pourtant, à en croire l'acteur lui-même dans une interview à Playboy en 2012 : "Si je ne parle pas de religion, ils disent que je fuis le sujet. Et si j'en parle, on m'accuse de prosélytisme. Désormais, quand je fais la promotion de mes films, je ne veux pas être pris par autre chose, y compris par ma vie privée." Ce qui ne veut pas dire que Tom Cruise et la scientologie sont en froid, tant s'en faut. L'acteur s'est ainsi déplacé aux deux derniers galas londoniens de l'organisation, le principal raout scientologue annuel, rapporte The Underground Bunker.
Il s'est aussi affiché en vedette américaine sur le toit du Stade de France lors de la cérémonie de clôture des JO de Paris. Que la tête de gondole de la scientologie soit choisie pour incarner le passage de relais vers Los Angeles constitue une formidable opportunité pour l'organisation. "Los Angeles est l'un des deux plus gros fiefs de la scientologie dans le monde, pointe Arnaud Palisson. Ils y ont tissé un réseau qui est absolument colossal. Là-bas, les autorités, de la municipalité à la police, sont dans les petits papiers de Miscavige. Ils jouent très gros là-dessus."
Car le nombre de scientologues chute année après année. "Ma règle, c'est de diviser le nombre qu'ils avancent par sept, minimum, glisse Tony Ortega. Selon mes calculs, il doit y avoir environ 40 000 scientologues dans le monde. De source interne, leur pic, au début des années 1990, n'a pas dépassé les 100 000 membres [quand l'organisation en revendiquait encore "plusieurs millions", rappelle le site du journaliste]." De quoi laisser songeur quand l'Eglise de scientologie inaugure de gigantesques antennes, comme le siège français de Saint-Denis, à deux pas du Stade de France. "C'est de l'esbroufe, pour que les gros donateurs continuent de croire que l'organisation se développe, tranche le spécialiste. Sans Tom Cruise, la scientologie aurait un mal fou à exister aujourd'hui." Contactée par franceinfo, la scientologie n'a pas souhaité réagir.
* Le prénom a été changé à la demande de l'intéressée.
La Miviludes considère la scientologie comme une association, mais son activité demeure sous étroite surveillance. Deux de ses structures ont été condamnées en 2013 à des amendes pour "escroquerie en bande organisée".